En lançant dans la bataille ses nouveaux prototypes à moteur 7 litres, Ford va pousser Ferrari dans ses derniers retranchements. Si les voitures américaines finissent par renoncer, la Scuderia ne sort pas non plus indemne de ce duel, perdant toutes ses voitures au fil des heures. Ferrari doit finalement son salut à la 275 LM alignée par l'équipe de Luigi Chinetti menée à la cravache par Jochen Rindt et Masten Gregory.

Commencé en 1964, le duel Ford-Ferrari ne cesse de monter en puissance et suscite déjà l'intérêt croissant du public et des médias. Rapides, mais trop neuves les Ford GT 40 avaient dû se contenter de faire le spectacle en 1964 avant de laisser très vite le champ libre aux Ferrari. Pendant l'intersaison, les voitures passées sous la bannière de Carroll Shelby ont gagné en robustesse, en tenue de route et en qualité de préparation. Des progrès spectaculaires qui se sont concrétisés par deux succès à Daytona et à Sebring, mais en l'absence des Ferrari "officielles". La campagne européenne face aux nouvelles Ferrari P2 est, en revanche, nettement moins favorable aux voitures américaines et dans ce contexte, l'état major de Ford décide d'accélérer le développement des prototypes à moteur 7 litres. Impressionnantes, trappues et livrant une incroyable impression de puissance, les Ford Mk II entrent en lice au Mans et dès lors, la "chronique d'une nouvelle victoire annoncée" de Ferrari ne semble plus aussi évidente pour le public qui se fait beaucoup plus dense que prévu autour du circuit.

Les forces en présence

Ford se pose bien sûr en challenger numéro 1 de Ferrari avec ses nouvelles Mk II. Plus volumineuses que les GT 40, elles sont animées par une version très musclée (500 ch) du V8 de la Galaxie et deux voitures sont confiées à Phil Hill-Amon et McLaren-Miles. L'effectif des prototypes Ford est complété par quatre GT 40 dont l'engagement sur le terrain est placé sous la responsabilité des équipes Filipinetti (Herbert Müller-Bucknum), Rob Walker (Bondurant-Maglioli), Ford Advanced Vehicles (Whitmore-Ireland) et Ford France (Trintignant-Ligier). Carroll Shelby souverain depuis le début de saison en GT vise un second succès consécutif au Mans et aligne quatre coupés Cobra Daytona pour Gurney-Jerry Grant, Sears-Thompson, Johnson-Payne et Schlesser-Alen Grant. L'effectif est complété par un coupé engagé par la Scuderia Filipinetti pour les Britanniques Harper-Sutcliffe.

Ferrari vainqueur des cinq éditions précédentes fait logiquement figure de favori d'autant que les nouvelles P2 se sont imposées à chacune de leurs sorties en 1965.

Animées par le V12 double arbre en version 4 litres (330 P) ou 3.3 litres (275 P), elles marquent une nette évolution dans la série des prototypes à moteur central avec leur carrosserie mieux profilée et surtout leur châssis tubulaire rigidifié par des panneaux d'aluminium. Surtees-Scarfiotti et Guichet-Parkes se partagent les deux 330 alors que Bandini-Biscaldi pilotent une inédite 275 en version coupé. Les P2 officielles sont soutenues par les versions 365 (4.4 litres à simple arbre) du NART (Pedro Rodriguez-Vaccarella) et de Maranello Concessionaires (Bonnier-Piper). Cinq modèles 275 LM complètent la présence Ferrari, mais ces voitures à mi-chemin entre prototype et GT ne peuvent prétendre aux premiers rôles. La jolie petite Dino à moteur V6-1600 cm3 confiée à Baghetti-Casoni et la nouvelle 275 GTB alignée par l'Equipe Francorchamps pour Willy Mairesse et "Beurlys" effectuent leurs débuts sur la piste mancelle. Aux côtés de ces deux géants, la nouvelle Maserati à moteur V8 central, confiée à Siffert-Neerspach ainsi que l'Iso Grifo animée par un V8 Chevrolet semblent vraiment trop esseulées pour espérer autre chose que de brefs coups d'éclats.

Dans la catégorie deux litres, Porsche survole les débats avec ses 904. Une version à moteur 8 cylindres pour Mitter-Davis et deux 6 cylindres pour Linge-Nocker et Klass-Glemser sont alignées en catégorie Prototype, alors que quatre modèles GTS à moteur 4 cylindres visent la victoire en GT moins de deux litres. Dans cette classe, la seule opposition sérieuse provient des Alfa Romeo GTZ alignées par la nouvelle équipe Autodelta, directement liée au constructeur milanais. Les couleurs françaises sont représentées par la seule marque Alpine Renault qui aligne six voitures dont deux nouveaux prototypes M 65 à moteur 1300 cm3 qui ont fait sensation en tournant à près de 190 km/h de moyenne aux essais. Enfin, selon une tradition bien établie, les Britanniques sont venus nombreux mais avec plus d'enthousiasme que de réelles ambitions. Ainsi quatre Triumph Spitfire côtoient une MGB, deux Austin Healey Sprite et une Elva-BMW, alors que la Rover-BRM à turbine est de retour. Pilotée par Graham Hill et Jackie Stewart, elle se distingue du modèle 1963 par sa carrosserie mieux profilée et nettement plus élégante.

La débâcle des favoris

Dès les essais, les Ford 7 litres font parler la poudre. Phil Hill signe la meilleure performance en 3' 33"à plus de 227 km/h de moyenne reléguant à plus de cinq secondes la meilleure Ferrari pilotée par Surtees. Le début de course confirmera les résultats des essais et les Ford se montrent réellement très impressionnantes. Phil Hill bat de près de 12 secondes son record du tour établi en 1964 avant de céder le commandement à l'autre 7 litres de Bruce McLaren. Les Ferrari surclassées en vitesse de pointe subissent la domination des Ford pendant les deux premières heures de course avant de reprendre l'avantage. La transmission des Ford ne supporte pas la débauche de puissance et peu après 22 heures tout est joué dans le camp américain. L'exhibition tourne à la déroute, d'autant que toutes les GT 40 ont disparu depuis longtemps après une épidémie touchant les joints de culasse. Parkes-Guichet sur la 330 P2 héritent alors du commandement suivis de près par Surtees-Scarfiotti et la 365 P2 de Bonnier Piper alors que les voitures de Bandini-Biscaldi et celles de Rodriguez-Vaccarella ne sont pas loin.

Tout semble rentrer dans l'ordre pour Ferrari dont les voitures, débarrassées de toute menace se retrouvent en nombre en tête de la course. Cette fois pourtant la belle machine va se gripper. Souffrant d'un préparation hâtive et contraints d'adopter un rythme élevé en début de course, les prototypes connaissent bientôt une cascade d'ennuis. La 365 de Bonnier-Piper cède la première (échappement cassé), puis c'est l'autre 365 du NART qui perd plus de deux heures pour remplacer son embrayage. Les voitures officielles ne sont pas épargnées non plus. Parkes-Guichet perdent le commandement à la suite de problèmes de boîte alors qu'au même moment le coupé 275 rétrograde sur des ennuis de freins, avant de renoncer (moteur cassé). Surtees-Scarfiotti en tête connaissent les mêmes soucis (disques de freins fendus) avant d'être confrontés à des problèmes de boîte qui les contraindront à l'abandon. Retardés Parkes-Guichet tentent de revenir, mais le V12 surchauffe et le joint de culasse finit par céder. Pendant ce temps, c'est l'inattendue 275 LM de Dumay-Gosselin qui a hérité du commandement et tourne sagement tenant à distance respectable les Porsche 904, devenues par le jeu des éliminations, les seules rivales "possibles". Elle précède l'autre 275 LM du NART pilotée par Rindt et Gregory. Les deux hommes ne s'entendent absolument pas et ils étaient partis avec la volonté d'en finir le plus vite possible avec cette corvée. Ralentie d'abord par des ennuis de démarreur puis de condensateur, la LM a trouvé son second souffle et les deux hommes décident d'oublier leurs différends et de jouer le tout pour le tout. Menée à la cravache bien au delà du régime maximum prescrit par le stand, la LM "américaine" remonte sur sa cousine "belge" usant un nombre considérable de pneumatiques. Profitant d'un déchappage de sa rivale vers midi, elle prend le commandement et franchit en tête la ligne d'arrivée offrant à Ferrari une neuvième victoire au Mans. Un succès qui se complète par la victoire en GT de la nouvelle 275 GTB qui réussi ainsi à s'imposer dès sa première sortie au Mans et qui surtout venge la défaite subi par les GTO en 1964 face aux Cobra.

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