Après notre petit tour de manège sur glace en Dacia Duster, le Prof est venu nous rejoindre pour une discussion à bâtons rompus et sans langue de bois sur l'Andros, sur lui, la F1 ... etc

PG : Qu'est ce qu'il vous a manqué pour décrocher le titre ?

Alain Prost : Beaucoup de choses. Il faut être honnête, il nous a manqué pas mal. Je ne pense pas qu'il soit si simple que ça de gagner en Andros avec une voiture neuve. Nous avons signé le programme seulement fin septembre l'an dernier, il était impossible de faire des essais avant le début de la saison, nous avons simplement fait du roulage sur asphalte une semaine avant le début du championnat et la saison dure seulement 2 mois, c'est très court. Entre Noël et Jour de l'an, nous pensions pouvoir rouler mais ce n'est pas la meilleure période. Par exemple, nous n'avons qu'une seule cartographie moteur.

PG : Il y a quelques années, vous vous étiez entrainé sur Terre, ce n'est pas une alternative intéressante ?

AP : À l'époque je débutais et ces essais étaient plus là pour découvrir l'auto et se familiariser avec elle. Pour le reste, à part tout pourrir -il a fallu 15 jours pour la nettoyer ! - ça n'a pas servi à grand chose. En fait, le pilotage n'a rien à voir sur la terre. À la limite, sur asphalte, c'est mieux car on arrive à retirer des enseignements utiles sur le moteur par exemple. Les essais que nous faisons aujourd'hui et demain, ce n'est pas vraiment du développement d'ailleurs, on est là pour comprendre l'auto et identifier au mieux les problèmes, ce qu'on n'a pas pu faire l'an dernier. On travaille pour l'an prochain.

PG : Mais vous avez déjà signé pour l'hiver prochain ?

AP : Non, mais on fait tout comme ... c'est l'objectif. Ce qu'on fait aujourd'hui est vachement important.

PG : Comment jugez-vous votre rival JP Dayraut ? Dans le duo auto+pilote, quel part lui accordez-vous dans le succès de son équipe ?

AP : En pilotage, incontestablement c'est depuis quelques années le plus rapide ou un des plus rapides, c'est clair. Depuis l'an dernier, sa voiture a également énormément progressé. Si l'on se fie aux résultats d'Olivier (Panis) lorsqu'il a disposé de la voiture de Dayraut et où il fait une fois deuxième, une fois premier, je pense que l'auto joue aussi pas mal. De ce que je sais, il y a un gros écart moteur. L'an dernier, sur la Toyota qui était en fin de développement, j'étais beaucoup mieux de ce côté.

PG : En terme de pilotage, vous êtes très différents. Les trajectoires de Dayraut et les vôtres n'ont rien à voir ?

AP : Comme je vous le disais, ils sont nettement mieux que nous en moteur. Même s'il y a plusieurs façon d'aller vite sur la neige, donc des types de pilotage différents, cette saison, j'ai piloté en fonction de l'auto. Je peux même dire que je n'ai jamais piloté comme ça auparavant. J'ai pris plusieurs fois le mur de neige sans explications, l'auto est difficile et il a fallu composer avec ça. L'auto dicte aussi le style lorsqu'il n'y a pas osmose.

PG : Vous recherchez une auto facile, comme on le dit souvent en rallye ?

AP : Non, je me méfie des autos dites faciles. Dans toutes les disciplines, une auto facile est généralement lente. Il vaut mieux une auto qui vous donne un bon feedback, qui répond bien même si elle est compliquée. C'est ce que je n'ai pas aujourd'hui. Je ne veux pas faire de langue de bois, on a du travail, c'est pour ça qu'on est là. Il faut qu'on quantifie les responsabilités entre le moteur et le châssis. Malgré notre expérience (avec Tork Eng) sur les autos précédentes, implanter un nouveau moteur dans un châssis, ça change tout en termes de répartition des masses et, sur la glace, ça joue beaucoup.

PG : Les autos du Trophée sont en fait de vraies prises de tête pour le pilote ?

AP : La glace c'est une vraie prise de tête. Et puis, avec moi, les autos sont toujours des prises de tête (rires). Là, on a un ou 2 trucs qui ne fonctionnent pas et qu'il faut solutionner. Le moteur marche très bien en haut mais à bas régime, c'est pas ça. Ici, je passe en 2 là où Dayraut doit pouvoir passer en 3 ou 4. Il y a aussi la dégradation du terrain qui nous handicapait et qu'on n'arrivait pas à gérer correctement.

PG : Finalement, la 2eme place est presque inespérée ?

AP : Oui, c'est bien surtout avec une toute nouvelle voiture. En plus, on a été vachement réguliers. Il y a juste que je n'arrivais pas à m'arracher pour progresser comme je le faisais les années précédentes. Dès que je tentais de pousser, je commettais de petites erreurs car la voiture était trop difficile. En restant à 95%, c'était plus régulier, je manquais de confiance. En fait, on débutait plutôt bien les week-end mais nous n'arrivions pas à progresser contrairement aux autres.

PG : Est-il possible au pilote de compenser ces défauts ?

AP : Le pilote comme dans tous sports mécanique est tributaire de sa voiture. Il est parfois possible de compenser pour certains pilotes dans certaines conditions mais là nous n'avions à mon sens pas la voiture pour aller chercher Dayraut qui je le répète a, selon moi, passé un cap depuis l'an dernier. Le pilotage est très psychologique et il faut de la confiance pour aller vite. Dayraut, ça fait 15 ans qu'il est là et il progresse encore. Pour moi, c'est pareil. Je pense que l'on apprend toujours en sports mécaniques et encore plus ici. Mais le pilote ne progresse jamais seul, il le fait avec sa voiture. Il faut trouver l'osmose.

PG : C'est à la mode actuellement, est-ce que votre expérience dans le Trophée Andros ne vous incite pas à retenter l'expérience en Rallye ?

AP : J'ai toujours été fan de rallye. J'en ai fait un mais c'était toujours trop compliqué à mettre en place. Et maintenant, c'est un peu tard. À la limite faire un ou deux rallye, pourquoi pas. Il faudrait bien les préparer et bien les choisir, ne pas s'engager dans un rallye trop dangereux. Ce genre de discipline nécessite une énorme expérience, c'est en cela que c'est dangereux pour celui qui n'a pas l'expérience. Les gars font du rallye depuis tout jeune et connaissent bien les spéciales. En Andros, j'y suis depuis 6/7 ans, je sais qu'ici, par exemple, il y a une pierre sous la glace dans ce virage et qu'en course, elle va "sortir" à un moment. C'est toujours la même pierre... c'est con mais tu sais comment la piste va évoluer et les 2 premières années, c'est ce qui me manquait le plus. En rallye, l'expérience te permet de savoir quand il faut attaquer, quand il faut gérer, comment lire la route. Le pistard arrive sur un rallye avec un état d'esprit différent. Sur le rallye que j'ai fait où j'ai abandonné rapidement accélérateur bloqué, le peu que j'ai roulé, c'était souvent très chaud. On arrive sur les freins dans le virage, on se fait peur là où un pilote de rallye freine plus tôt et sait prendre une marge de sécurité. Avant d'être au top en rallye, il faut beaucoup rouler.

PG : Un petit Arctic Rally entre les murs de neige, ça ne vous plairait pas ?

AP : Ah oui, voilà. Ça, ce serait parfait. J'ai regardé le calendrier mais c'était fin janvier et on courait à Super Besse le même week-end. Lors de ma première année, nous sommes allés faire des tests pneumatiques en Laponie et j'ai eu l'occasion d'essayer les pneus cloutés du WRC. On faisait 9 secondes de mieux sur un tour avec leurs pneus. C'était un pied monumental, des sensations inouïes.

PG : Et sur le bitume, vous ne courrez plus ?

AP : oh non ... le bitume maintenant, c'est le vélo !

PG : Pourtant, on vous voit derrière votre fils lorsqu'il est en essais ou en course en LMS. Ça ne vous démange pas de tester la Lola ?

AP : Pas du tout. Je suis devenu complètement claustro avec l'âge. Je ne suis pas sûr que je pourrais rester longtemps dans ce genre de voiture fermée. Déjà dans l'Andros, il faut que je sois sûr que la portière fonctionne bien ....

Sur la F1 et les nouvelles règles :

AP : c'est dommage que sur les pneus, on continue à imposer de passer 2 types différents durant la course. Quoique je ne sais même pas si ça n'a pas encore changé. Lorsque nous avions été consulté, on avait demandé à ce que les pilotes partent avec le pneu utilisé lors des qualifications mais qu'ensuite il n'y ait pas d'obligation, le manufacturier offrant 2 ou 3 types de gommes au choix sur le GP. La fin des ravitaillements, c'est bien, ça va dans le bon sens car les stratégies seront différentes et les fins de course pourraient être surprenantes et à suspense. La consommation, c'est un défi pour la technique mais aussi pour le pilote. Je me rappelle qu'à mon époque, j'avais des consommations inférieures de 3 à 7% avec mes coéquipiers, c'est énorme.

Sur le retour de Schumi :

AP : Mon cas personnel avec mon année sabbatique plus ou moins imposée en 1992 n'est pas comparable avec Schumacher. Je me souviens qu'à l'époque, je n'ai véritablement cessé de piloter que durant 6 mois. Pour lui, c'est 3 ans. Certes, il n'a pas complètement arrêté durant 3 ans mais mentalement pour se remettre dans le bain, ça va être dur. Les voitures sont faciles, il sera dans le coup mais est-ce qu'il sera capable d'être au même niveau qu'avant ? Je pense que ce sera très très dur. Tout dépend aussi de sa voiture. Si elle va bien, ce sera peut-être plus facile. L'âge n'est pas un problème mais entre l'intention et la réalité des essais, de l'implication nécessaire, de la course c'est autre chose. Mais c'est vraiment fou comme choix.

Sur les nouvelles équipes :

Il y a des gens qui rêvent, qui croient qu'il suffit d'être en F1 pour toucher le jackpot. Certains n'ont pas le niveau, on croirait des équipes de F3. Mieux vaut 10 bonnes équipes que 13 dont un tiers sont très moyennes. On veut une F1 qui apporte à l'automobile mais mis à part les constructeurs, personne n'est capable de la financer. C'est cher de développer de nouvelles technologies et les petites équipes seront incapables d'aller dans ce sens. Leur arrivée compense les départs des constructeurs mais ça ne va pas forcément donner une bonne image de la F1.