Professeur à l’Ecole des Ponts, Emile Quinet a été interviewé par Libération. Il y décrypte la stratégie d’Air France et annonce les conséquences potentielles pour les différents acteurs du marché ferroviaire.

Voici l’entretien publié sur le site du quotidien.

Air France veut lancer ses propres TGV. Est-ce un tournant pour les transports en Europe?

C'est un tournant attendu. L'Union européenne a cherché à introduire la concurrence dans les chemins de fer. D'abord dans le fret, et désormais pour les voyageurs sur les marchés internationaux. On peut analyser cette situation comme un développement de la compétition entre l'avion et le train, ce dernier étant privilégié pour les courtes distances. Mais c'est également un développement de l'intermodalité. Air France va miser sur la complémentarité entre l'avion et le train dans des pôles comme Londres ou Paris.

Quelle est la stratégie d'Air France?

Air France voulait mettre un pied dans le domaine ferroviaire. C'est un moyen de collecter des informations sur le marché, mais aussi d'avoir deux fers au feu. Si les coûts pour le transport aérien deviennent trop élevés, en raison de la hausse du prix des carburants par exemple, Air France pourra passer au train dans certains cas. La compagnie entre également sur ce marché pour résoudre des problèmes de capacité. A terme, l'objectif d'Air France sera de développer des correspondances ferroviaires entre des villes françaises, afin de soulager la plate-forme de Roissy, si celle-ci vient à saturer. Par exemple, on peut imaginer voir un train Air France-Veolia faire la liaison entre Toulouse et Paris. Une fois à Roissy, les voyageurs prendront un vol Air France vers une destination plus lointaine.

La SNCF doit-elle se faire des soucis?

Le nouvel entrant peut espérer avoir des coûts inférieurs à ceux de la SNCF, en termes d'accords salariaux, de statut du personnel. Mais le principal problème est ailleurs. Air France va pouvoir se concentrer sur les lignes les plus rentables, comme Paris-Londres ou Paris-Amsterdam. Cela va enlever une partie de son bénéfice à la SNCF et peut poser problème pour ses activités les moins rentables, comme le fret. Néanmoins, la SNCF garde une avance incontestable dans le domaine des lignes à grande vitesse. S'il y a des évolutions, elles seront assez lentes.

Même si la SNCF a une "longueur d'avance", elle devrait songer à revoir ses prix d'ici 2010 pour garder ses clients. En tout cas, le train se développe sur le territoire européen et c'est une excellente chose, tant pour la mobilité de chacun que pour l'environnement.