C’était un combat absurde que la défense du 80 km/h sur une des rocades les plus encombrées de l’hémisphère nord, ce quasi parking annulaire où la vitesse limite n’est praticable que de nuit et au mois d’aout. Sauf « fermeture pour travaux » bien sûr.

J’entends encore leurs arguments : Ah la bonne vitesse que voilà, la parfaite allure de croisière qui permet de passer la 5 ème pour moins consommer et polluer. Ils ont été entendus en haut lieu : vous avez aimé le 80 sur le périph ? Vous allez l’adorer sur la route.

C’était malin comme argument. D’ailleurs, on verra bien s’ils parviennent à passer la 5ème à cette allure. Personnellement, j’aime trop mes coussinets de bielle et mes sièges de soupapes pour m’y risquer.

Pour le moment, il ne s’agit que de projets d’expérimentations dans quelques départements volontaires. Mais le nouveau premier ministre est très favorable à sa généralisation. Quels arguments opposer aux 450 vies épargnées qu’il brandit ?

Cherchons un peu.

1/ Le pognon : J’ai lu une subtile étude qui parle de millions d’heures de travail perdues et des dommages induits pour l’économie. Mouais… Autant dire qu’on pourrait redresser l’économie, rembourser la dette et racheter la Chine en pointant tous à 80 en ville et à 130 sur départementale.

2/ L’inutilité. Certains éminents confrères prédisent que cette nouvelle limitation ne sauvera pas de vies. Ben si, justement, ce n’est pas mathématique comme on l’entend parfois, mais il est établi qu’une baisse de la vitesse moyenne impacte le nombre d’accidents corporels et de tués. C’est même d’une logique imparable. Comment prétendre que la soudaine et forte chute de la mortalité routière fin 2002 et début 2003 ne doit pas grand-chose au choc psychologique de la tolérance zéro puis au déferlement des radars automatiques. Ce prodige serait du à l’airbag, aux ronds points, au SAMU, aux crash test qui, comme chacun sait, n’existaient pas en 2001. Ben tiens, et si c’était la météo …

Alors, 450 vies ? 300 ? Moins, peut être, mais qui soutiendra que 150 ou 100 existences ne valent pas de lever un peu le pied ?

En fait, le véritable argument contre le 80 sur route, c’est que ça nous em… euh, ça nous enquiquine. Et même, ça nous afflige la bonne humeur, ça nous ravine le moral et ça nous désole le peu de plaisir de conduire qu’il nous reste. Moi compris. Tout partisan des limitations de vitesse et des radars automatique que je suis, je n’ai pas du tout envie de me trainer à 80 à l’heure. Ou bien, comme disait Desproges, sous anesthésie générale. Je veux bien jouer le jeu de la limitation de vitesse, mais à condition qu’on ne bidouille pas les règles.

Hélas, ce n’est pas un argument. La Constitution nous garantit la liberté d’aller et venir, pas la vitesse à laquelle défile le paysage.

Il faut trouver autre chose.

Il y a bien ce communiqué de la mairie de Paris qui, en janvier, expliquait sur son site que le 80 km/h était une aberration car la réglementation impose des limitations commençant par des chiffres impairs et graduées par tranches de 20 km/h : 30, 50, 70, 90, 110, 130… C’est dommage, cette puissante synthèse du cartésianisme et de l’arithmétique niveau CE1 a disparu du site. allez savoir pourquoi...

Cherchons encore…

D’abord, à quoi sert de durcir une limitation quand celle-ci n’est que très peu respectée ? Elle ne l’est pas pour une raison bien simple : il est impossible de surveiller 380 000 km de routes départementales et 650 000 km de vicinales et communales, même en décuplant le nombre de radars. Pourtant, c’est là qu’est le nœud de l’insécurité routière, c’est là que l’on dénombre les trois quarts des tués, plus de 2000 si on retranche les accidents en agglomération. C’est bien là qu’il faut agir, pas sur l’autoroute, passée sous les 150 morts par an.

Alors quoi ? La solution est sous notre nez : partout en France, bien avant l’anneau parisien, des limitations ponctuelles à 70 km/h ont été imposées là où 90 c’est trop, et 50 pas assez. Ont ainsi été traitées des portions meurtrières de 2, 5 ou 10 kilomètres de quatre voies péri-urbaines bordées d'accès à des commerces, de départementales côtières très fréquentées, de zones sinueuses ou d’habitat diffus. Et cela pour le millième du coût d'une paire de ronds-points "casse-vitesse" (ceux avec deux sorties) et paradoxalement tout en réduisant moins la vitesse moyenne des automobilistes.

Il n’en a pas entendu parler le premier ministre ? Son chauffeur ne lui en a pas touché un mot ? D’ailleurs, si l’on instaurait partout cette mauvaise moyenne du 90 et du 70, qu’en ferait-on de ces limitations à 70 ? Les convertir au 60 ? Et donc les agglomérations au 40 avec des zones 30 converties au 20 ? Avec radars pour les cyclistes pressés ? Et toute la signalisation à remplacer ? Vu le tarif unitaire de la rondelle rétro réfléchissante, je ne suis pas sûr que cette réforme cadre bien avec les 50 milliards d’économie projetés par le gouvernement. Le 80 km/h tombera t’il par le panneau ?