Après une heure et demi de routes interminables ponctuées de bouchons implacables et parsemées de radars sans pitié, nous arrivons enfin à Wellingborough, petite ville du Northamptonshire de 72 000 habitants perdue à 130 km de Londres dans la si verte campagne britannique, juste à temps pour assister à la naissance. Ici, notre Étoile du Berger a été le GPS tandis que nos présents se limitent à un calepin, un stylo et un appareil photo. Le papa s'appelant GT-R et la maman Juke, le rejeton s'appellera donc le Juke-R qui allie des traits maternels à un cœur paternel. Une tête un peu bizarre certes, mais des muscles de brute qui ne donnent pas envie de se moquer. En guise d'étable, il faudra se contenter des ateliers de RML.

comment monter moteur, transmission, trains avant et arrière, freins et roues de la grosse GT-R sur la petite Juke ?

Cet acronyme de Ray Mallock Limited ne vous dit probablement pas grand chose, tout comme la région où nous nous trouvons. Pourtant, nous sommes au cœur de l'immense savoir-faire britannique en matière de sport mécanique : pas moins de 90% des Formule 1 sont construites dans les environs et nous nous trouvons à un jet de pierres (précieuses) de Newport Pagnell, berceau historique d'Aston-Martin. Quant à RML, ils se sont notamment illustrés en gérant l'écurie officielle Nissan en BTCC jusqu'à la victoire au championnat en 1997 et 1998 avec la Primera GT, championnat où ils sont toujours présents aujourd'hui avec le team Chevrolet et ses Cruze au volant desquelles Jason Plato fait des merveilles. Mais ça n'est pas tout, puisque RML a aussi développé la SLR 722 GT pour Mercedes, la S7 et la S7R pour Saleen et, en 2005, une Micra très particulière, la 350 SR. Commandée par Nissan Europe, elle rassemblait des pièces de pas moins de quatre véhicules de la marque : une caisse de Micra donc, un moteur de 350Z en position centrale arrière, une boîte de vitesses de Murano et quelques autres babioles en provenance de l'Almera. Ce cocktail détonnant fera grand bruit dans la presse spécialisée de l'époque.

Aujourd'hui, RML a de nouveau été commissionné par Nissan Europe pour développer un autre mutant, la Juke-R. Ou plutôt les Juke-R, puisqu'il y en aura deux identiques en tout point à la seule exception de l'emplacement du volant. Les ingrédients sont simples mais la recette s'annonce compliquée : comment monter moteur, transmission, trains avant et arrière, freins et roues de la grosse GT-R sur la petite Juke ? Ce sera avant tout, comme souvent, une histoire de concessions : le crossover devra faire avec la largeur du coupé et ce dernier devra accepter l'empattement du premier. La GT-R est construite comme une voiture de course : les ensembles moteur et train avant, et boîte transaxle et train arrière forment des blocs pouvant être démontés en quelques instants par en dessous, comme vous pouvez le voir dans les photos du portfolio. La décision a été de garder ces blocs et donc d'adapter au maximum la caisse du Juke pour qu'elle accepte la greffe telle quelle. Cela passera entre autres par un recul de la cloison pare-feu, et donc du pilote qui se trouve maintenant au niveau du pied-milieu, pour pouvoir placer derrière le train avant le V6 3,8l biturbo de 485 ch et 588 Nm, la donneuse étant curieusement une GT-R 2010.

Une étape de franchie, avant bien d'autres.

Nous sommes arrivés à la seizième semaine de construction du Juke-R en conduite à gauche, le plus avancé, pour assister au montage définitif du bloc moteur/train avant, du réservoir et du bloc boîte de vitesses/train arrière. Curieusement, la partie avant sera boulonnée en quelques minutes, tout comme le réservoir, et c'est la partie arrière qui donnera le plus de fil à retordre. Après quelques minutes de « massage », l'énorme mécano ne fait qu'un. Une étape de franchie, avant bien d'autres.

D'ici mi-novembre, date estimée de la dernière vis serrée, il y aura en effet d'autres écueils : parvenir à intégrer radiateurs et intercoolers dans la face avant plus menue du crossover, élaborer un kit carrosserie élargissant la caisse de 13 cm afin d'absorber les jantes de 20 pouces en 9,5 pouces à l'avant et 10,5 pouces à l'arrière, terminer l'intérieur pour marier le célèbre écran de la GT-R à l'atypique console centrale du Juke et mettre la dernière main à l'ensemble de l'électronique, ECU et autres capteurs dont les premiers tests sur une GT-R à l'empattement raccourci (!) ont miraculeusement révélé que seuls quelques réglages seraient nécessaires.

Quelles performances peut-on espérer du Nissan Juke-R ? Ses concepteurs restent évasifs. Les 1 400 kg de la Juke d'origine sont un lointain souvenir depuis le montage de l'arceau tentaculaire et des nombreux renforts mais on nous garantit un poids « inférieur à celui de la GT-R », ce qui paraît être la moindre des choses, tandis que le 0 à 100 km/h est annoncé en « moins de 4 secondes ». Pour en avoir le cœur net, il faudra donc l'essayer...