Ce petit bonhomme au visage juvénile n’avait l’air de rien avec ses vieux "jeans" délavés et ses pulls trop grands. Pourtant, sur tous les circuits du monde, il enflammait les foules par sa rage de vaincre, les faisait frissonner par son audace et hurler de plaisir par ses acrobaties. Sur la piste, il y avait Villeneuve et les autres…

Terminer troisième ou deuxième d’un Grand Prix me laisse froid. Seule la victoire m’intéresse se plaisait à répéter Gilles Villeneuve. Et chaque fois, il mettait ce principe en vigueur, au risque de tout perdre, même des points précieux au championnat du monde. Il n’était pas un calculateur et le public l’adorait. Dans sa large majorité, il venait pour Gilles. Pour l’admirer et frémir de plaisir à chacun de ses prodiges d’équilibriste. Son panache, sa fougue, sa folle témérité en avaient fait une idole dans son Québec natal, un dieu vivant en Italie et un sujet de vénération, pour les spectateurs du monde entier. Circuit après circuit, virage après virage, il flirtait avec les limites de l’adhérence. Il allait même souvent au-delà, au point que la piste semblait singulièrement plus étroite quand il la balayait de ses glissades. Alors que chaque travers se solde logiquement par une perte de temps, Gilles s’acharnait à prouver le contraire. Il attaquait à fond quelle que soit la compétitivité de sa monoplace, sans tenir aucun compte des circonstances ou de la météo et faisait tomber les temps !

"La peur, connais pas !"

Aucune bravade, ni de cabotinage dans son comportement. Il n’avait pas besoin de public et encore moins des caméras pour tenter le diable à chaque instant. Il prenait tous les risques : au poker, au casino, dans les airs aux commandes de son hélicoptère ou encore sur la mer avec un offshore dont il avait doublé la puissance en greffant un second V8 de 750 ch ! Ses duels avec son bouillant équipier de chez Ferrari, entretiennent également la légende. Cherchant toujours à s’impressionner mutuellement, ils faisaient régulièrement la course sur les routes italiennes ou dans l’arrière-pays niçois avec leurs Ferrari 308 de "fonction". Un jour, l’une des voitures resta plantée dans un talus tandis que l’autre, froissée et à bout de souffle, ne valait guère mieux. La petite histoire veut que, convoqués par le Commendatore, les deux hommes en soient ressortis avec les félicitations du "jury" et chacun avec le trousseau de clefs d’une nouvelle 308 !

Doue pour la vie, Gilles Villeneuve relevait bien d’autres défis et surtout les plus fous. Avec un Ford Bronco qu’il avait préparé de ses mains, il se plaisait à défier les lois de la pesanteur en gravissant des pentes inaccessibles, il ne faisait pas du 4X4, il pratiquait l’alpinisme automobile. Le jour où son copain Patrick Tambay l’entraîna sur une piste de ski, il se mit face à la pente et la dévala tout droit… Inconscience, brin de folie, immaturité de gamin surdoué, sans doute, mais aussi une formidable maîtrise de soi forgée dès son plus jeune âge lorsqu’il débuta en motoneige. "Il ne se passait pas un hiver sans que je sois éjecté à plus de 150 km/h sur la glace. Une fois même, la lame en carbure d’un patin entama mon casque, alors…" Peu impressionnable, Gilles, mais aussi et surtout dévoré depuis toujours par une passion unique : la vitesse. Il lui a tout sacrifié. Issu d’un milieu modeste, il fut contraint de vendre la maison qu’il avait bâtie pour s’offrir une bonne monoplace de formule Atlantic. Vivant comme un nomade avec femme et enfants dans un bus scolaire, il va sillonner le Canada pendant trois ans, jouant chaque fois son avenir sur un magistral "quitte ou double". C’est sans doute cette approche sans concession de la course et son esprit combatif qui firent de lui un pilote si différent et un personnage hors du commun.

Il était le plus fou, le plus adroit et le plus joueur de tous. La seule lecture de son palmarès ne livre qu’une image faussée de sa formidable présence. Six victoires en soixante-sept GP : un "score" plutôt modeste, mais dans ce cas particulier ces soixante-sept courses se traduisent par autant de coups d’éclats ! Un feu d’artifices en forme de feuilleton avec ce petit plus indéfinissable qui déclenchait parfois le fou rire autant que l’admiration. Du duel inoubliable au GP, de France 1979 avec René Arnoux aux glissades victorieuses d’un GP d’Espagne 1981 en passant par un GP du Canada où Gilles cherche le point de corde en se penchant à chaque virage par la faute d’un aileron avant devenu vertical, il serait trop long de faire le récit de chacun de ces épisodes. Sa course au GP de Hollande 1979, véritable compilation de ses prouesses, mérite cependant un large détour…

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