Présent lors des derniers essais d'intersaison sur le circuit Paul Ricard, ce fut l'occasion de rencontrer pour mieux connaître le troisième homme et de découvrir que malgré un parcours hallucinant, aucune entreprise française d'envergure n'a encore approché le champion. Un élément de plus à ajouter au passif d'une France de plus en plus autophobe et démagogique qui n'est même plus capable de soutenir ses propres talents quand l'Allemagne possède 7 pilotes en F1, l'Angleterre 3, l'Italie, le Brésil et l'Espagne 2 et la Belgique ou la Suisse 1 …


Jean-Eric Vergne n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche mais à côté d'un circuit de kart, c'est un avantage pour les débuts mais pas pour évoluer au plus haut niveau. Il a la stature des pilotes modernes (grand) mais également la sérénité d'un garçon qui sait avoir réuni à la force du poignet (et du coup de volant) le maximum de chances pour parvenir en F1. Le reste, c'est du travail et ça tombe bien, il ne pense qu'à ça !


Rencontre : Jean-Eric Vergne, l'espoir français que la France ignore


Caradisiac : Après votre titre en F3 anglaise l'an dernier vous êtes engagé dans la FR 3.5 en 2011 mais pourtant on vous a vu réaliser des essais F1 à Abu Dhabi. C'était quoi ces essais ?

J-E Vergne : C'était d'abord une récompense pour mon titre, ensuite c'était un test pour jauger mes capacités et c'était aussi un moyen de me faire engranger de l'expérience. Les essais en F1 sont rares et pour un rookie, il est difficile de trouver du temps de roulage F1. C'était une bonne occasion et en 2 jours, j'ai emmagasiné un maximum d'informations concernant la F1.


C : C'est une pratique courante chez Red Bull que de faire rouler le champion F3 GB en F1 ? Cela veut dire qu'ils placent beaucoup d'espoir en vous ?

J-E V : Ça, je ne sais pas. Je pense que s'ils estimaient que je n'ai pas la capacité à rouler en F1, je ne serais pas là de toutes façons. Daniel Ricciardo a été le premier à être invité sur un essai F1 il y a 2 ans, moi, je suis le second.


C : Il n'y a pas un trop grand écart entre F3 et F1 ?

J-E V : Si, bien sûr, il y a un gros écart. Mais ce sont des autos qui se pilotent toutes de la même façon. Une F3.5, ça ressemble en termes de pilotage à une grosse F3 et pour la F1, j'ai quand même beaucoup utilisé le simulateur avant ces essais. Ça aide beaucoup. On est de toute façon là pour ça et on se prépare en conséquence.


C : Quand on est membre de la filière Red Bull, tout est-il écrit jusqu'à la F1 ?

J-E V : Oh non, rien n'est jamais écrit à l'avance, il faut prouver tout le temps. À chaque course, il faut apporter des résultats. Mais c'est normal et c'est la même chose pour tous les pilotes Red Bull, du gars en FR 2,0l à ceux qui sont en F1 comme Alguersuari et Buemi, voire Vettel ou Webber. Seuls les résultats comptent.


C : Autrefois, on disait qu'un parcours parfait, c'était une année pour apprendre, une année pour gagner. Quand je regarde votre palmarès (champion ou vice champion à la première saison), je me dis que ça n'existe plus ?

J-E V : Ouais, on n'a plus le temps, il faut gagner tout de suite. Si on veut être repéré, on est obligé de réussir de suite. Il y a tellement de bons pilotes et surtout de bons pilotes avec de l'argent, que pour se faire remarquer, il faut vaincre dès qu'on arrive.


Cette année chez Toro Rosso, les 2 pilotes vont avoir une énorme pression. Red Bull leur demande des résultats et si ça ne convient pas, des places se libèreront.

C : Mais cette filière Red Bull n'est-elle pas un peu engorgée ? Vettel, Alguersuari et Buemi sont très jeunes et mis à part Webber qui est assez « âgé », ça ne laisse pas beaucoup de places libres pour arriver en F1 ces prochaines années.

J-E V : Ça n'est pas une question d'âge, mais bien de résultats. Tant que Webber sera performant il restera. Par contre, on sait que cette année chez Toro Rosso, les 2 pilotes vont avoir une énorme pression. Red Bull leur demande des résultats et si ça ne convient pas, des places se libèreront. En plus, ils voient arriver Ricciardo qui vient faire les essais du Vendredi, ils savent donc qu'ils vont devoir apporter des résultats. Ce n'est pas parce qu'on est jeune chez Red Bull qu'on est assuré de garder sa place. Et de toute façon, si l'on parle filières, Red Bull reste celle qui offre le plus de places en F1. Tant qu'on gagne avec eux, ils nous aident, leur intérêt est aussi de découvrir un nouveau champion du monde potentiel de F1.

Je suis dans la meilleure équipe de FR 3.5, un championnat sous la F1, j'ai mon avenir entre mes mains, à moi de gagner. Si c'est le cas, il y a de fortes chances pour que je sois en F1 l'an prochain.


C : A ce propos, comment êtes-vous devenu pilote Red Bull ?

J-E V : Je faisais partie de l'équipe de France FFSA et j'ai gagné la Formule Campus (l'Auto Sport Academy aujourd'hui) en 2007. La fédération a réussi à m'intégrer à un test Red Bull, cela se passait à Estoril, il y avait 20 pilotes, nous avions 2 séries de 3 tours en pneus neufs et Red Bull prenait les 2 meilleurs. Au final, c'est Daniel Ricciardo et moi qui avons terminé premier et deuxième.


C : Votre lien avec Red Bull, c'est Helmut Marko, le responsable de la filière. Comment cela se passe concrètement avec lui et avez-vous un manager ?

J-E V : Je l'ai au téléphone quand je gagne mais aussi quand ça va moins bien et qu'il estime que j'aurais pu mieux faire. Et ça, même si j'ai gagné et signé la pole ! Après un week-end comme ça, il m'a parfois appelé pour m'engueuler parce que j'ai raté le meilleur tour en course ! C'est de la pression permanente mais c'est bénéfique, si on n'est pas capable de supporter ce genre de pression dans les petites catégories, on n'a rien à faire en F1.

Non, je n'ai pas de manager, Red Bull s'occupe de tout ce qui concerne la compétition.


C : et pour le reste ?

J-E V : Il reste à notre charge, le logement, les déplacements. C'est un budget sur la saison que je dois trouver. Un ami à mon père nous aide, heureusement. Être pilote de la filière Red Bull ne signifie pas qu'on est payé ! On cherche d'ailleurs toujours des soutiens potentiels qui pourraient faciliter l'arrivée en F1.


Tant qu'on aura des gens influents qui iront dire dans les médias qu'il n'y a pas un pilote en France capable d'aller en F1, que voulez vous faire ?

C : Vous êtes français mais pilote Red Bull qui est une firme autrichienne et champion de GB de F3, avez-vous l'impression d'être soutenu en France ? Et d'ailleurs, est-ce encore nécessaire lorsqu'on est dans cette filière.

J-E V : Je ne sais pas trop. On parle pas mal de Grosjean, Bianchi et moi. Certes, je suis peut-être plus connu en Angleterre où à Goodwood par exemple on me demandait plein d'autographes et les gens me reconnaissaient mais faut pas rêver, je peux me balader tranquillement dans Londres, personne ne me connait hors d'un circuit. Mais ce serait bien d'avoir du soutien en France. L'argent est comme chacun sait, le nerf de la guerre en F1.

Une équipe comme Toro Rosso, même si elle ressemble beaucoup à l'équipe Red Bull, ce ne sont pas du tout les mêmes budgets. L'équipe accepterait d'afficher des sponsors autre que Red Bull si un pilote venait avec un bel apport financier par exemple. Si une entreprise française voulait soutenir le pilote Jean-Eric Vergne, elle pourrait afficher son nom sur l'auto et pour moi, ce serait un gros plus pour arriver en F1. Ensuite, si le pilote montre qu'il peut être rapide dès sa première année, le problème ne se pose plus.


C : En France, vous avez déjà été approché par des entreprises ?

J-E V : Pour être franc, de toute façon, même si il existait des entreprises désireuses d'investir, il y a toujours des gens qui bloquent tout. Tant qu'on aura dans les médias français des gens qui affirment qu'il n'existe pas de relève en France, on n'y arrivera pas. Si un patron d'entreprise entend ce genre de discours sur les radios, comment voulez-vous qu'il décide d'investir ?