Pilote et ambassadeur

Restée à l'écart du conflit, épargnée par les destructions, l'Argentine, grande exportatrice de viande et de denrées alimentaires, connait une rare prospérité. Une richesse qui va servir les intérêts du général Peron, soucieux, comme tous les dictateurs, du prestige et de la grandeur de son pays. En plus de la constitution d'une industrie automobile, il mise sur le sport, fédérateur de tous les chauvinismes, pour flatter l'orgueil national. C'est ainsi, qu'il décide de la construction d'un autodrome moderne aux portes de Buenos Aires, fait débloquer des crédits pour faire venir les meilleurs pilotes européens à "sa" tournée de gala. Seuls "Gigi" Villoresi et Achille Varzi répondent à l'invitation. Leurs Maserati se jouent de la concurrence locale parmi laquelle Fangio se montre le plus affuté. Le pilote argentin mesure à ce moment tout le fossé qui existe entre le pilotage européen et les raids fougueux dans la Sierra, entre une vraie voiture de course et une "Especial", bricolée pourtant avec génie.

Si Fangio, lucide, retire de cette confrontation un enseignement précieux, Peron, lui voit rouge. Il ne supporte pas que ses "poulains" se soient faits humilier. Par l'entremise de l'AC d'Argentine, il négocie l'achat de deux Maserati pour la seconde édition de son tournoi. Fangio et Oscar Galvez, son rival des courses routières héritent du volant des monoplaces italiennes pour la "Temporada", une série de quatre courses organisées en janvier 1948. Varzi et Villoresi sont revenus cette fois en compagnie de Farina et de Jean Pierre Wimille, le meilleur pilote du moment. Cinquième et premier "local" à Mar del Plata, la seconde épreuve, Fangio est convié à prendre le volant de la seconde Gordini aux côtés de Wimille. Très agiles, les petites voitures bleues font merveille sur le tracé tourmneté du GP de Rosario. Wimille ne parvient pas à décrocher son nouvel équipier qui va s'offrir son premier record du tour avant d'être contraint à l'abandon. La presse exulte, Fangio est soudain devenu le héros de tout un peuple. Amédée Gordini, lui aussi, sous le charme, décide de lui confier l'une de ses monoplaces pour le prochain GP de l'ACF en juillet.

Victime de casses mécaniques dans les deux courses de la réunion, le notoriété de cet espoir argentin ne dépassera pas le cadre des rubriques spécialisées. De retour en Argentine, la série noire va se poursuivre. Au cours du GP routier, le vieux coupé Chevrolet de 1940 sort de la piste au Pérou et tombe dans un profond ravin.

Son fidèle équipier, Daniel Urrutia, éjecté, succombe à ses blessures quelques minutes plus tard. "Quand je suis parvenu à m'extraire de la carcasse de la voiture, il était mourant et je ne pouvais rien faire au fond de ce ravin." Une épreuve terrible pour Fangio qui songe alors à renoncer à la compétition. Bien des années plus tard, il n'a pas oublié et choisira toujours de partir seul dans les courses "marathon" comme les Mille Miles ou la Carrera Panaméricaine. De retour dans sa ville natale, il puise dans le soutien inconditionnel des siens, la force de surmonter la tragédie. Il apprend, bientôt qu'il a été désigné pour une nouvelle campagne européenne. Cette fois les moyens se veulent plus importants : deux nouvelles Maserati 4 CLT, une Gordini, le soutien de la compagnie nationale des pétroles YPF...

L'équipe a fière allure et, salués avant leur départ, pilotes et officiels se voient décerner par Peron, toujours pompeux, le titre officieux d'Ambassadeurs Extraordinaires du Sport Automobile Argentin. Plus simplement, la petite colonie établit ses quartiers en Italie, à Galliate, près de Milan, dans une maison prêtée par Menotti Varzi, le père du champion récemment disparu en course. En souvenir des liens d'amitiés existants entre son fils et Fangio, il lui cède tous son matériel de course et convainc Amadeo Bignami, le chef-mécanicien personnel d'Achille, de prendre la direction de la petite équipe plus enthousiaste que vraiment expérimentée. Dès lors, la dynamique du succès ne va pas tarder à se mettre en marche. Fangio, avec sa Maserati, aux couleurs nationales bleue et jaune, semble irrésistible. Une victoire en ouverture de la saison à San Remo, puis à nouveau le succès à Pau, Marseille, Perpignan... Il débute dans la cour des grands à l'occasion du GP de Belgique mais, la Maserati poussée dans ses derniers retranchements avoue bientôt ses limites, cassant tous ses moteurs avec une belle régularité. Qu'importe, l'AC d'Argentine, dans l'euphorie ambiante, n'hésite pas à achèter une Ferrari 166, plus performante. A son volant, Fangio s'impose à Monza devant les Ferrari officielles d'Asacri et Villoresi. En quelques mois seulement, cet espoir de...38 ans est devenu la révélation de l'année et à son retour à Buenos Aires, il reçoit un accueil digne d'un chef d'état.

Champion du Monde

Pendant que l'Argentin dispute son dernier GP routier et la traditionnelle "Temporarada", Alfa Romeo prépare activement son retour à la course. La firme milanaise qui a décidé d'aligner les Alfetta dans le cadre du championnat du Monde de F1 nouvellement instauré cherche un troisième pilote pour complèter son équipe déjà forte de "Nino" Farina et du vétéran Luigi Fagioli. Alessio, le directeur sportif, contacte alors Fangio qui s'empresse d'accepter "cette offre merveilleuse". Pourtant, le 16 avril 1950, à l'occasion du GP de San Remo, où Alfa effectue son retour en compétition, rien n'est encore signé. Farina est blessé et Alessio, conscient des enjeux, hésite à aligner son nouveau pilote. Fangio force le décision et s'impose facilement en dépit de la pluie battante. L'Argentin se souvient de l'enthousiasme d'Alessio : " il voulait me faire signer le contrat à l'hôtel et insistais pour que je lui dise quelle somme d'argent je désirais. J'ai simplement signé et lui ai dit de mettre les zéros !! Je crois l'avoir estomaqué, mais je panse avoir été honnête. Il s'agissait de la meilleure voiture du monde et il me donnait la chance de la conduire." Constamment améliorées depuis leur naissance en 1938, les Alfetta souveraines en 1947 et 48, vont, en effet, survoler ce premier championnat du Monde. Avec leur 8 cylindres à compresseur développant plus de 350 ch, elles remportent 6 succès en 6 grands prix : 3 pour Farina et 3 pour Fangio, qui s'incline de trois points au championnat face à son équipier. Dès la saison suivante, l'invincibilité des Alfetta est sérieusement ébréchée parles nouvelles Ferrari animées par un gros V12 de 4.5 litres. Gonzalez s'impose en Angleterre, Ascari devance Fangio en Allemagne avant de gagner en Italie. Tout va se jouer en Espagne lors de la dernière épreuve de la saison.

Alfa joue la carte du bluff en faisant circuler le bruit que ses Alfetta vont disputer toute la course sans s'arrêter pour ravitailler. Ferrari "intoxiqué" équipe alors ses monoplaces de réservoirs supplémentaires et de pneus plus résistants. Alourdies par des réservoirs supplémentaires et des gommes moins performantes, les Ferrari ne peuvent rien contre l'Alfetta de Fangio qui s'impose après un traditionnel ravitaillement... A 40 ans, l'Argentin enlève son premier titre de champion du monde. Après ce deuxième succès, Alfa Romeo conscient que ses voitures étaient désormais dépassées et n'ayant plus les moyens financiers pour réaliser une nouvelle monoplace décide d'abandonner les Grands Prix. Pas question d'année sabbatique pour le champion du Monde. En effet, s'il reste fidèle à la marque milanaise pour les épreuves sport, il accepte aussi les offres de Maserati pour le championnat du monde et de BRM pour les épreuves de formule libre.

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