La trahison des clercs, c'est globalement l'idée que nos élites ont comme oublié l'intérêt général pour exacerber leur cas particulier, au point de provoquer l'effondrement de l'ensemble. Une subversion intéressée qui a été avancée pour expliquer la débâcle de 1940. Voilà un parallèle fort. Surtout qu'il s'agit là de comprendre la décadence d'un pan industriel français à l'aune de la réussite du même secteur allemand. Une pente glissante.


Certains, pourtant, l'ont prise. Prenez le cas du démographe Emmanuel Todd. Récemment, sur un plateau de télévision, il n'y ait pas allé par quatre chemins: "Le problème n'est pas de juger l'Allemagne" a développé l'intéressé. «Mais elle a besoin de l'euro pour concurrencer, exterminer ses partenaires, pour exterminer ce qui reste d'industrie dans les pays de sa couronne". Puis vient la conclusion qui saisit d'effroi : «le patronat allemand veut une élimination de la concurrence européenne".


Dame ! Voilà le bouc émissaire tout trouvé et le dénommé Todd cuistot d'un chaudron au remugle sulfureux. Les termes et la cible ont un sens historique lourd. Ce raccourci suffit-il à tout expliquer ? Rien n'est moins certain. Car l'automobile française a d'abord été une vache à lait que l'on a épuisé pour mieux la destiner à l'abattoir. Et le voisin n'y est pour rien. C'est bien le taulier en charge qu'il faut stigmatiser.


Car enfin quoi ! En 1955, date de la sortie de la révolution DS, il y avait en France, cinq grands constructeurs : Renault, Citroën, Peugeot, Simca, Panhard, à peu près le même nombre qu’en Allemagne. La production française était alors de 725 000 voitures contre 908 500 en Allemagne. En 2011, la France a produit 2,3 millions de voitures, l’Allemagne 6,3 millions. Dixit Alain Goetzman, Président de Delta Inter Management. Que s'est-il donc passé ? Aucune invasion. Mais une capitulation en rase campagne fruit d'une inconséquence qui met en péril les 400.000 salariés recensés du secteur.


Faisons l'inventaire : un carburant fortement taxé, installation d'une vignette en 1956 qui détourne les marques tricolores du haut de gamme, une fiscalité hostiles oscillant historiquement entre une TVA à 33,33% et une taxe annuelle sur les véhicules de société, sans parler d'un système de récupération ubuesque. En 1973, les limitations de vitesse s'installent. On ne leur enlèvera pas leur contribution à la sécurité routière, mais on s'interrogera sur leur orientation fiscale et sur la pertinence de leur maintien, et bientôt de leur aggravation, sur les autoroutes. En Allemagne, de tout ceci, que nenni.


On pourrait dire que notre verte contrée, devant tant d'hostilité pour se constituer un haut de gamme, aurait pu se rattraper sur les petites voitures. Rentables si elles se conjuguent avec de forts volumes. A une période, pourquoi pas. Mais à l'air de la présente mondialisation, face aux usines des ex-pays de l’est ou du Maghreb, la partie est pipée et perdue d'avance.


Alors ? Mesdames et Messieurs nos élites, l'automobile française ne vous dit pas merci. L'Histoire donne raison à l'Allemand et à ses voitures haut de gamme à forte valeur ajoutée. L'heure est venue d'assumer ses choix.