C’est à la hussarde, sans s’encombrer de scrupules, que Giovanni Agnelli, ancien officier de cavalerie, bâtit l’empire Fiat au début du siècle. Dans les années 60, il passe la main à son petit-fils, Gianni, un playboy élégant et désinvolte. Mais sitôt maître de l’entreprise, le noceur se mue en patron redoutable et anticonformiste …

"Mon grand-père n’était à son époque ni le plus riche, ni le plus compétent en affaires pour donner naissance à Fiat. Il a seulement eu l’intuition de l’automobile au niveau des masses,"

confiait Gianni Agnelli à un journaliste de La Stampa. Visionnaire et organisateur hors pair, Giovanni Agnelli est devenu, en quelques années, le plus riche et le plus gros industriel d’Italie.

Grand et solidement charpenté, cet ancien officier de cavalerie habitué à parler fort se taille un véritable empire sans, il est vrai, s’embarrasser de scrupules. Un grand capitaine d’industrie… avec des méthodes de corsaire ! Touchant bientôt aux domaines les plus divers, de l’automobile à l’aviation en passant par la chimie, la sidérurgie, la presse et même le tourisme, Fiat s’érige en véritable institution. C’est un état dans l’Etat, et même pendant les premières heures de la dictature fasciste, tout le monde sait que c’est Giovanni Agnelli qui commande à Turin. L’homme est fort et il vaut mieux s’en faire un allié.

Agnelli se laisse courtiser, mais ne fait pas de courbettes. Nommé sénateur à vie, il ne supporte les contraintes étouffantes du régime que pour mieux servir les intérêts de Fiat ou de sa fortune. Il mène sa partie de "donnant-donnant" avec le régime totalitaire avec arrogance et un âpre réalisme. A 60 ans, Giovanni Agnelli a bâti une immense fortune. Il est dans la force de l’âge, mais c’est un homme seul qui a perdu ses deux enfants.

Après le décès de sa fille Aniceta, en 1928, la famille est touchée par un autre drame, sept ans plus tard. Edoardo, le fils aîné du sénateur, disparaît dans un accident d’hydravion. S’accommodant bien, en apparence, d’un père écrasant, goûtant les avantages de la fortune, Edoardo attendait son heure sans inquiétude et sans hâte.

Gianni, dauphin de l’empire à 14 ans

Son accession à la succession de son père ne coulait pourtant pas de source. En effet, Vittorio Valetta, un gestionnaire aussi habile qu’autoritaire, avait été nommé dès 1928 directeur général du groupe. Pendant vingt ans, il sera un régent intraitable mais d’une loyauté absolue. Se considérant longtemps comme le meilleur remplaçant possible du défunt, il ne fera rien pour faciliter l’accession au pouvoir de Gianni, le petit-fils de Giovanni, devenu à quatorze ans l’héritier de l’empire.

Adolescent à l’âme rebelle, farceur et élève plus insolent que studieux, Gianni n’est d’ailleurs ni prêt, ni préparé à la succession. Son grand-père va devoir reprendre en main son éducation. Un arrêt de justice fait de lui le tuteur légal de Gianni et de ses six frères et sœurs. Leur mère, Virginia, est née princesse Bourbon del Monte. Libertine et mondaine, le symbole même aux yeux du sénateur de l’aristocratie romaine oisive et décadente, elle est évincée sans plus de manières.

Des années pénibles de procès, de rébellions des petits-enfants unis dans le refus d’obéissance, vont suivre avant de déboucher enfin sur une réconciliation. Gianni, alors âgé de seize ans, en est le principal artisan. Il tient le langage de la raison qui apaise le grand-père sur l’essentiel. Turbulent et insoumis, il vient de lui prouver sa maturité ; désormais, des relations d’homme à homme s’instaurent entre eux. Deux ans plus tard, elles seront tout à fait complices lorsque Giovanni lui dira sur le ton de la confidence : "Profite un peu de la vie. Quand tu te sentiras prêt, alors tu viendras aux affaires."

Gianni n’a aucunement besoin de conseils en la matière. Il est le chef de la tribu et avec sa joyeuse bande, il mène une vie dorée hors de toutes les conventions pesantes de l’époque. Mais jamais il ne perd de vue son origine. "Rappelez-vous toujours que vous vous appelez Agnelli," lui répétait sa gouvernante anglaise. Il ne l’a pas oublié. En toutes circonstances, il saura tenir son rang et faire face. Élève officier de cavalerie, il refuse la "planque" que lui offre l’état-major pendant la seconde guerre mondiale et part sur le front russe avec son régiment de chars, avant de se faire muter en Lybie. Précédant la chute des régimes totalitaires, il finira par rejoindre les rangs des Alliés lors de la libération de l’Italie.

Homme d’action plus que de convictions, il revient avec, plus que jamais, un formidable appétit de vivre. Mais en 1945, la fête tourne court sur les ruines. L’heure est davantage à l’épuration sauvage et aux sournois règlements de compte. Dans ce climat insurrectionnel, Giovanni Agnelli et Valetta font de remarquables cibles. Fiat est menacée de collectivisation. Privé du simple droit d’entrer dans ses usines, le sénateur, âgé et malade, ne se relèvera pas de ces épreuves. Il meurt en décembre sans savoir que son œuvre est sauvée.

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