Gianni Agnelli reprend l’héritage tel quel. Valetta, en place depuis 1928, est là pour assurer la transition. Avec sagesse, Gianni le laisse faire son temps et prend le pouvoir tardivement, mais en douceur. Après vingt années pendant lesquelles il défraie plus souvent les chroniques des gazettes mondaines que les colonnes des austères journaux économiques !

Il multiplie les conquêtes féminines, cultive la bravoure physique en relevant les défis les plus fous, flambe dans les casinos avec l’élégance innée d’un aristocrate. C’est un hédoniste alliant une vraie simplicité à un complet raffinement, un esthète courant sans cesse après la beauté au point de nier la laideur, un séducteur latin mais désinvolte et capable d’autodérision. Plus élitiste que snob, il saura toujours où finit la frivolité et où commence la puissance. Dans un pays qui vient d’exiler l’ex-famille royale régnante au profit d’une république chaotique, il est devenu un prince. Le sacre ne peut plus attendre davantage.

Une fois président de Fiat, le dilettante s’impose aussitôt une discipline de fer, tout en préservant son anticonformisme. Il conduit ses affaires d’une manière inédite, en se composant un emploi du temps très souple pour ne pas se laisser piéger par une sinistre routine. "Le prix de la puissance, c’est l’ennui, donc je bouge !" Sa mobilité sera légendaire et son activité planétaire. Bureau, sport, escapades en montagne, sorties en Méditerranée à la barre de son voilier, Gianni Agnelli est partout à la fois, pour ses affaires, pour ses amis ou pour soigner son image et celle de Fiat. Vie publique et vie privée s’imbriquent si étroitement que ses collaborateurs diront de lui : "Nous ne savons pas si c’est un homme qui travaille tout le temps ou un homme qui ne travaille jamais."

Qu’importe, le succès est là et pendant dix ans, Fiat va connaître un essor sans précédent. Agnelli est le symbole de l’Italie qui gagne et sa voix se confond avec celle du pays. Il a conquis un droit d’entrée permanent dans l’antichambre des "Grands" de ce monde, à tel point que bientôt, on ne sait plus très bien à Turin si l’on fait des automobiles ou de la politique !

Les illusions perdues

Les années de crise vont fissurer l’empire et apporter un cruel désaveu à la gestion de Gianni Agnelli. Profondément laïque, conservateur mais nullement réactionnaire, il tente d’instaurer de nouveaux rapports sociaux : c’est un échec cuisant. Au début des années soixante-dix, les syndicats traditionnels sont dépassés par leur base. Un climat insurrectionnel s’installe dans les usines, en même temps qu’elles deviennent le centre de tous les trafics orchestrés par la mafia. Fiat affiche bientôt le double record de la plus faible productivité et du plus important absentéisme d’Europe… Les pertes deviennent considérables et l’image du groupe est sérieusement égratignée par la piètre qualité de ses produits.

Pour la première fois, Gianni Agnelli avoue son impuissance. Il n’a plus prise sur les événements et voit sombrer à la fois Fiat et son pays dans le chaos et la violence. En bon marin, il ne quittera pas le navire. Le temps des capitulations est terminé, il faut reprendre l’offensive. Il nomme César Romiti administrateur délégué et lui confie les pleins pouvoirs. Ce dernier ne se contente pas de remettre de l’ordre dans les usines en expulsant les mafieux et les "guérilleros" proches des Brigades Rouges, il installe également de nouvelles chaînes robotisées qui vont spectaculairement augmenter la productivité. L’action de Romiti est un modèle de redressement : en cinq ans, de 1981 à 86, Fiat augmente son chiffre d’affaires de 44 % !

Rassuré sur l’avenir financier de son empire, Gianni Agnelli nomme, comme dauphin, son neveu Giovanni et songe à se retirer. En 1996, le visage toujours cuivré mais gravé de rides, le regard déjà aimanté par le grand large, il déclare simplement à son dernier conseil d’administration : "Je vous confie Fiat".

Paroles de et sur Gianni Agnelli

• "Il est plus malin que le diable. Un jour, il les mettra tous dans son sac."

(Giovanni 1 er parlant de son petit-fils Gianni)

• "Nous avons détourné les bénéfices de la prospérité en multipliant les biens de consommation et nous avons ignoré les besoins publics des sociétés modernes ."

(Gianni Agnelli, 1975)

• "J’avais devant moi cet homme, à peu près de mon âge, beau, bronzé, macho, dynamique, à la tête d’une grande affaire florissante, mais qui en outre sautait en avion de Saint-Moritz à Saint-Tropez avec autour de lui des blondes pour toutes les températures. Fichtre ! C’est donc ça diriger une entreprise familiale d’automobiles…"

(Henri Ford II)

• "Il veut toujours faire deux choses à la fois, et si possible à 1 000 km de distance l’une de l’autre ."

(Umberto Agnelli)

• "Gianni pourrait vendre un tapis qui n’existe pas ."

(Cristiana Agnelli, sa sœur)

Les grandes dates

• 1866 : naissance de Giovanni (1 er) Agnelli

• 1899 : fondation à Turin de la F.I.A.T. (Fabbrica Italiana Automobili Torino).

• 1921 : naissance, le 12 mars, de Giovanni (II) "Gianni" Agnelli, petit-fils du fondateur.

• 1935 : décès dans un accident d’hydravion d’Edoardo Agnelli, le père de Gianni.

• 1945 : Giovanni 1 er meurt le 16 décembre, Vittorio Valetta, nommé président de Fiat, assume la "régence".

• 1958 : Fiat prend la contrôle d’Autobianchi.

• 1966 : Gianni Agnelli prend la présidence du groupe.

• 1969 : Fiat prend la contrôle de Lancia et entre pour 50 % dans le capital de Ferrari.

• 1970 : Umberto Agnelli, le frère cadet de Gianni, devient vice-président de Fiat.

• 1979 : création de la société Fiat Auto qui regroupe les marques Fiat, Lancia, Autobianchi, Abarth et Ferrari.

• 1980 : César Romiti est nommé administrateur délégué avec les pleins pouvoirs. Gianni Agnelli demeure le "président emblématique" du groupe.

• 1986 : rachat d’Alfa Romeo.

• 1989 : prise de contrôle de Maserati et d’Innocenti.

• 1996 : Gianni Agnelli quitte la présidence de Fiat. Romiti assure une nouvelle "régence" pendant que Giovanni (III), fils d’Umberto, se prépare au pouvoir.

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