Les vieux de la vieille chez Lotus sont si habitués à faire face à des crises que même les rumeurs les plus inquiétantes sur la santé financière de la marque ne les font pas trembler. Mais si un jour vous visitez l'usine et que les gens ont l'air d'avoir perdu un ticket de loterie gagnant, parlez juste de la Lotus Omega. Ils souriront tous à coup sûr. La Type 104, comme elle est appelée intimement chez Lotus, est un projet dont les ingénieurs d'Hethel adorent se rappeler. Et ils ont bien raison, car même selon les standards d'aujourd'hui, la Lotus Omega de 377ch est une sacrée voiture.

General Motors a racheté Lotus au milieu des années 80 et, sans surprise, voulait utiliser son nom, qui apparaissait encore à l'époque sur les F1. Bob Eaton, patron de GM en Europe, et Mike Kimberley, directeur de Lotus, joignirent ainsi leurs forces et décidèrent de créer une rivale pour la BMW M5, basée sur l'Omega 3000 24v.

Une excellente idée, mais seulement si vous n'étiez pas responsable du budget chez GM. Il n'y aura plus jamais de voitures comme la Lotus Omega, et surtout il n'y aura plus jamais de voitures construites comme la Lotus Omega. Les Opel Omega 3000 24v, totalement terminées et peintes dans la couleur unique vert Imperial, sortaient des lignes des usines Opel de Rüsselsheim en Allemagne, et étaient envoyées à Hethel, chez Lotus. Là, sur une ligne de production en forme de U, le long de laquelle les voitures étaient poussées entre chaque étape de la construction, les 3000 étaient vidées entièrement et reconstruites. L'ensemble moteur-boîte était renvoyé en Allemagne afin d'être réutiliser, le moteur 3.6l étant construit à partir de pièces faites par Lotus, mais de nombreux éléments partaient directement à la poubelle, comme le système de freinage complet.

Mais n'allons pas trop vite. Entre le feu vert donné au projet fin 1987 et la présentation du modèle de production en 1990, se déroulèrent de nombreux tests fiévreux afin de résoudre une multitude de problèmes. « Il n'y a pas eu une seule pièce de la voiture qui ne nous a pas causé un problème à un moment ou à un autre », se rappelle Andrew Arden, ingénieur motoriste responsable du développement. « On ne nous avait pas donné de chiffre à atteindre pour la puissance maximum, mais comme elle devait concurrencer la BMW M5, nous avions une idée de combien l'Omega avait besoin. Bien sûr, comme nous utilisions des turbos, nous pouvions augmenter leur pression pour atteindre la valeur souhaitée, avec la fiabilité pour seule limite. A part quelques composants comme la chaîne de distribution, nous avons changé chaque pièce du moteur. Afin de refroidir les pistons, nous avons développé un système d'injection d'huile, mais cela posait des problèmes d'arrivée d'huile, comme l'ajout d'un circuit pour lubrifier les deux turbos. Nous devions donc développer une pompe à huile de plus grand volume. »

L'énormité de la tâche à accomplir par les ingénieurs parût évidente après une première visite sur la piste de test de Nardo. « Là, vous pouvez rouler à fond autant de temps que vous le souhaitez. » raconte Kevin Burrows, qui était responsable du développement du châssis. Tout de suite, l'équipe dût faire face à de nombreux problèmes intervenant à haute vitesse, à part celui d'avoir à faire le plein toutes les 20 minutes.

« Tout ce qui pouvait surchauffer l'a fait. » selon Arden. « Le moteur, la boîte et les différentiels. La voiture finit les tests avec des radiateurs d'huile pendant de tous les côtés. L'un d'eux fût d'ailleurs arraché en reculant dans le ferry, à Calais. »

La quasi-totalité des fournisseurs de GM furent mis à contribution dans le développement ou la production de pièces particulières, souvent à des tarifs absolument effrayants. « ZF a retravaillé le mécanisme de changement de vitesse sur la boîte à 6 rapports de la Corvette, ce qui a coûté un paquet », confie Arden. « Et Mobil a conçu une huile spéciale pour la faire fonctionner. AP Lockheed a fourni les énormes disques de 325mm, mais cela nécessita aussi de nombreux tests avant d'obtenir quelque chose d'acceptable. »

Le banc de puissance de Lotus était bien occupé à la fin des années 80. Non seulement une partie des ingénieurs travaillait sur le moteur biturbo de l'Omega, mais il y avait aussi une autre équipe qui développait le V8 LT5 à quatre arbres à came destiné à se glisser sous le capot de la Corvette ZR-1. « Il y avait une légère rivalité entre les deux équipes », se rappelle Arden. « Nos premiers moteurs développaient environ 360ch au banc, ce qui n'était pas considéré comme suffisant. Les suivants produisirent 375ch, une puissance très similaire à celle de la Corvette. »

Les chiffres publiés parlèrent ensuite de 377ch à 5200tr/min et de 57.9mkg à 4200tr/min. Seulement 950 Lotus Omega furent produites, dont 284 en conduite à droite sous le nom de Lotus Carlton, l'Opel Omega s'appelant Vauhxall Carlton de l'autre côté de la manche, et 59 en France. Visiblement, 74 000€ était vraiment trop pour une Opel, même si celle-ci était capable d'atteindre 283km/h.

Source : Evo