« Pollution de l'air, le coût de l'inaction » : au moins le titre du rapport conduit par les sénateurs Jean-François Husson (LR) et Leila Aïchi (EELV) est-il clair. Dès l'avant-propos, les mots claquent : « […] votre commission d’enquête constate que ce sont les mêmes mesures qui sont incessamment proposées, étudiées, non appliquées, oubliées puis proposées à nouveau. Il en est ainsi des zones de restrictions à la circulation dans le projet de loi relatif à la transition énergétique qui, sur le modèle des Low Emission Zones britanniques, sont en réalité une nouvelle version des zones d’action prioritaires pour l’air, mises en place au moment du Grenelle de l’environnement. Car s’il est simple de fixer le cadre de mesures contraignantes, il est plus difficile de les prendre et de les assumer. » Pour donner aux enjeux écologique plus de consistance et impulser une réaction politique plus durable, les membres de la commission se sont attachés à évaluer le coût réel de la pollution de l'air chaque année en France. Celui-ci s'élèverait à 101,3 milliards d'euros, dont au moins un tiers est représenté par le coût sanitaire global (entre 68 et 97 milliards d'euros) et son impact sur la sécurité sociale (à hauteur de 3 milliards). Quant au coût non sanitaire (baisse des rendements agricoles, dégradation des bâtiments...), il s'élèverait à 4,3 milliards. Il s'agit toutefois d'évaluations a minima, et les parlementaires précisent que les effets de certains polluants restent difficiles à mesurer, notamment l'effet-cocktail en présence de plusieurs polluants.

Pour parvenir à ces chiffres, la commission a notamment mené 50 heures d'audition auprès de ministres ou représentants d'organisations spécialisées, à la suite de quoi ont été établies quelques 61 propositions visant à améliorer la qualité de l'air, dont la pollution n'est plus limitée aux sites industriels mais se répand par les transports, le chauffage (au détriment aussi de la qualité l'air intérieur) ou l'agriculture.

Comme il fallait s'y attendre, les transports, considérés comme l'un des principaux facteurs de pollution, font partie des leviers d'action privilégiés par le rapport. Il est notamment question de mesures fiscales, la principale visant à aligner à l'horizon 2020 les fiscalités du gazole et du sans plomb, mais aussi d'initiatives plus réglementaires et techniques, comme celle qui consisterait à définir des objectifs similaires entre moteurs essence et diesel dans une future norme Euro7. Reste que le rapport fait preuve d'un certain optimisme quand il estime, par exemple à la page 182, que « l'érosion constatée du marché du diesel permet au Gouvernement d'espérer que les constructeurs tourneront d'eux-mêmes la page et que le diesel disparaîtra progressivement des ventes de nouveaux véhicules pour les particuliers d'ici 2030. » Or, si l' on constate effectivement une baisse des ventes de voitures diesel en France, ce type de motorisation continue de croître à l'échelle de la planète. Dans ces conditions, on imagine mal nos constructeurs faire une croix sur une énergie qu'ils ont fortement promue jusqu'ici (souvent à l'excès, notamment sur les petites voitures – mais ils en reviennent).

Quoi qu'il en soit, la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal a, dans la foulée de la publication du rapport, annoncé que dès la semaine prochaine seraient prises des mesures « extrêmement fermes » de lutte contre la pollution de l'air : « Il ne faut plus que les gens rouspètent, que les gens disent « ce n’est pas le moment, on verra demain ». Il faut aussi que les maires des grandes villes prennent leurs responsabilités dès lors que la loi de transition énergétique va leur donner des moyens d’agir, notamment pour créer des zones de restriction de circulation. » Le changement, ce serait donc pour maintenant ?


Interview

Jean-François Husson, Sénateur (LR) de la Meurthe-et-Moselle,

Président de la Commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air


« En monétarisant le phénomène de la pollution, on lui donne de la consistance. »

Pollution de l'air: une facture de 100 milliards par an

Pourquoi quantifier la pollution ?

Cela permet de s'affranchir des positions de principe ou des dogmatismes. La meilleure manière d'objectiver est d'évaluer et de démystifier. En monétarisant les phénomènes, on leur donne plus de poids et de crédit. Il faut maintenant tenir un cap pour que ce rapport, qui a été bien accueilli, ne retombe pas comme un soufflé.


La ministre de l'écologie a en tout cas promis des mesures rapides...

On ne peut lui retirer cette capacité à occuper l'espace médiatique. Mais l'on voit mal comment en 8 jours elle va pouvoir annoncer un plan ambitieux alors que certaines des mesures que nous préconisons ne figurent même pas dans le projet de loi de transition énergétique sur la croissance verte.


Quelle est la part des transports dans les 100 milliards évoqués par le rapport ?

Difficile à dire dans la mesure où les transports ont une responsabilité variable dans la pollution de chaque région. Dans certaines, le problème sera surtout industriel, dans d'autre il sera surtout d'origine agricole.


Quels sont les leviers d'action les plus efficaces pour procéder au changement?

L'écrasante majorité des personnes interrogées privilégie des changements d'ordre réglementaire, qui sont perçus comme les plus justes et les plus équitables. La contrainte fiscale est source de confusion et est souvent perçue comme injuste. Reste la pédagogie ou l'innovation, mais les changements seraient alors plus longs à de dessiner.


Qu'est-ce qui vous a surpris dans le cadre de vos recherches ?

En premier lieu, le montant extrêmement élevé du coût de la pollution. Puis, de façon plus positive, la très grande convergence des personnes interrogées sur l'intérêt de contraintes réglementaires plutôt que fiscales. Il faut aussi signaler que, quel que soit leur camp politique, les membres de la commission ont tous avancé dans le même sens, forts d'un constat partagé et de l'urgence qu'il y avait à y remédier. Le rapport a été adopté à l'unanimité de la commission. Ce n'est pas si courant. Et cela invite à être optimiste pour la suite. Le boulot est maintenant devant nous.