Le ministère de l'Intérieur vient de rectifier l'arrêté de 2004 portant création du système de contrôle automatisé des infractions routières… Poussé par la Cnil* qui lui reprochait de ne pas respecter la loi informatique et liberté de 1978 en ce qui concerne les radars tronçons (ou dits de « vitesse moyenne »), qui ont fait leur apparition sur le bord de nos routes au cours de l'été 2012. Autrement dit, pendant plus d'un an, lesdits automates ont été utilisés et ont fonctionné sans respecter la réglementation sur la protection des données personnelles.

Est-ce à dire que Beauvau a installé ces radars en commettant lui-même une infraction ? Cela en a tout l'air. Et c'est même en toute connaissance de cause qu'il a dérapé, selon nos informations. Car la Cnil avait bien commencé à le titiller sur le sujet, bien avant l'entrée en service du premier tronçon à Besançon, le 26 août 2012. « Il y a vraiment de quoi s'insurger contre ce genre d'attitude ! », comment Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier. « En fait, on savait ainsi qu'il manquait depuis le début un bout du cadre réglementaire, mais cela n'a pas empêché l'Etat de passer outre et de faire fonctionner ces nouveaux radars... C'est quand même très dérangeant ».


Les panneaux toujours pas obligatoires


Les chiffres des tronçons

Entre le 25 août et le 31 décembre 2012, six radars tronçons ont été installés en France. Résultat : sur 11 120 infractions enregistrées, 6 464 ont pu être exploitées et transformées en contraventions, selon les chiffres communiqués par le ministère de l'Intérieur... On aurait pu s'attendre à mieux. Après le premier mois d'activité du premier équipement de ce type implanté à Besançon, le taux de conversion (de flashs en contraventions) frôlait en effet les 74%. Du jamais vu ! Normalement, 40% des clichés partent à la poubelle.

Mais quel est le problème au juste avec ces tronçons ? C'est que contrairement aux autres radars automatisés qui n'enregistrent que les immatriculations des véhicules flashés en excès de vitesse, ceux-là récupèrent tous les numéros qui passent devant eux ! En un point A puis en un point B… Et c'est seulement après le calcul de la vitesse moyenne, à partir des relevés alors effectués, que des infractions sont éventuellement détectées. Par rapport à l'arrêté de 2004 - ancienne mouture, non seulement de nouvelles données sont donc collectées (celles des conducteurs qui ne sont pas en infraction), mais aussi le délai de leur conservation s'en trouve pour partie remanié. C'est pourquoi la Cnil avait très tôt réclamé au ministère de la saisir « d'un arrêté modificatif ». Ce qu'il n'a vraisemblablement pas été pressé de faire…

Cette modification de l’arrêté de 2004, publié ainsi seulement ce mercredi au Journal officiel, ne relève pourtant que de la simple formalité. Dans le fond, la Cnil ne trouve rien à redire au nouveau fonctionnement des tronçons. Il ne lui paraît même pas essentiel d'informer les usagers n’ayant rien à se reprocher que leurs immatriculations sont systématiquement relevées dès lors qu'ils roulent sur une voie sous leur surveillance. Ce qui reviendrait à dire que les panneaux radars seraient dans un tel cas de figure obligatoires, alors qu'ils ne dépendent actuellement que de la bonne volonté des autorités. Sans les informer, comment pourtant leur garantir la possibilité de faire valoir leur droit d'accès au fichier ? Et de leur permettre de vérifier justement que les données les concernant ont bien été supprimées dès lors qu'ils n'ont commis aucun excès ?


Point d'espoir pour les contrevenants


Car la collecte des informations les concernant n'est pas si anodine. Selon la délibération de la Cnil sur le sujet et publié également ce mercredi au JO, il y a ainsi :

  • les « clichés concernant le véhicule et ses passagers ; »
  • en plus des « lieu, date et heure des clichés ; »
  • de la « voie de circulation du véhicule ; »
  • et du « numéro d’immatriculation ».

Selon le nouvel arrêté, toutes ces données doivent être « supprimées dès que possible, dans le délai maximum de vingt-quatre heures », lorsqu'aucune infraction n'est relevée. Et en aucun cas, ces données « ne sont (…) transmises au Centre national de traitement (CNT) », de Rennes ; elles « ne sont donc pas enregistrées dans le système de contrôle automatisé ». C'est seulement en cas d'excès de vitesse, que « les données collectées et la vitesse moyenne calculée correspondante sont transmises au système de contrôle automatisé », dixit le texte.

Au final, l'attitude du ministère ressemble bien à de la précipitation. À se demander s'il ne devenait pas urgent de rentabiliser ces tronçons, près de deux fois plus chers qu'une simple cabine (165 000 contre 90 000 €), et dont le marché remporté par Morpho (ex-Sagem) dès la fin décembre 2010 est estimé à 24,722 millions d'euros. Enfin, pour les conducteurs qui souhaiteraient se servir de ce manquement pour faire annuler leur PV, ils feraient mieux de se raviser. La procédure les concernant paraît bien des plus valides.


* Commission nationale de l'informatique et des libertés