Pour tout amateur de Formule 1 qui se respecte, il faut impérativement aller voir Senna dans les quelques salles qui proposent le film en France. Asif Kapadia a retracé avec succès l'incroyable carrière du pilote brésilien... jusqu'à prendre parti. Retour sur un film événement, qui illustre une période charnière de la Formule 1 et qui sublime celui qui sera probablement le plus talentueux pilote de tous les temps.

J'avais 10 ans quand le drame est arrivé. A l'époque, je ne comprenais pas l'impact de cet accident sur le monde de la F1. On avait juste perdu le meilleur pilote, le plus authentique, mais aussi le plus complexe. 17 ans plus tard, Asif Kapadia a donc décidé de nous retracer la vie de Senna...

Issu d'une famille aisée, Senna ne rencontre pas de difficultés à entrer dans le monde du sport automobile, par le karting.

Son talent le propulsera rapidement aux sommets, et on jubile en redécouvrant son Grand-Prix de Monaco 1984. Cette légendaire course, qu'il aurait du gagner sous la pluie avec une Toleman ne valant pas grand chose, nous donnait déjà la mesure du talent d'Ayrton.

Idem chez Lotus, on a tous en tête son Grand-Prix du Portugal sous la pluie. Le plus incroyable est de voir à quel point les monoplaces étaient difficiles à piloter. Il est vrai qu'il poussait réellement la voiture dans ses derniers retranchements. Voit-on aujourd'hui un pilote corriger une grosse dérive du train arrière ? L'hyper-sensibilité d'Ayrton a toujours été son point fort. Comme il aimait à le dire, il adorait le pilotage, sans aide, sans politique, juste avec le feeling.

Mais déjà, le film nous montre un Ayrton ultra-croyant. Prost le dira plus tard (peut-être avec un peu de mauvaise «foi»), son principal défaut était de se croire invincible. On aurait d'ailleurs aimé que le réalisateur nous montre davantage la personnalité complexe d'Ayrton. Il se cherchait, et pensait que la victoire en F1 lui ouvrirait les portes de son propre esprit. Le film reste évidemment axé sur la carrière de Senna, et aurait gagné à être un peu plus impartial.

Le film nous montre d'ailleurs qu'un Prost froid, calculateur, manquant totalement d'esprit sportif. On n'oubliera évidemment pas les Grand-Prix du Japon, où les championnats se jouaient souvent... et se terminaient miraculeusement dans le gravier. Mais le talent de Prost est totalement mis de côté, c'est un peu dommage pour un quadruple champion du monde de la discipline, qui a toujours battu les pilotes en place dans les écuries où il arrivait.

Autre chose, le filme nous rappelle la période Balestre de la FIA. La présidence de Jean-Marie Balestre a été la plus importante et la plus efficace dans la lutte pour l'amélioration des conditions de sécurité en F1 ou en Rallye. Mais Balestre était aussi quelqu'un qui s'est immiscé à plus d'une reprise dans le déroulement de certaines courses. L'histoire de la disqualification de Senna en 1989 et l'inversion de la pole position en 1990 en sont un parfait exemple.

Mais là encore, on nous dépeint un Senna victime, et on en vient presque à l'excuser pour son geste inacceptable lors de la finale de Suzuka en 1990 où il décroche le titre après avoir mis Prost hors course.

Pour en revenir au film, il est vrai que l'on ne peut qu'admirer et rester bouché bée devant le talent et l'abnégation du brésilien.

Et au fur et à mesure que le film avance, on est happé par sa légende et on compte à rebours les années qui restent avant le tragique événement. On espère que ce cauchemar ne se produira pas.

Le GP du Brésil 91 est probablement sa plus belle victoire. Avec une voiture sur laquelle il a des difficultés, et des problèmes de boite de vitesses, il s'impose chez lui, à la force physique et mentale.

Mais justement, on voit en parallèle l'apparition de l'électronique en Formule 1. Les Williams avec leur suspension active seront imbattables, le pilotage ne peut plus suffire à gagner des courses.

Dans cette même période, on aurait aimé voir la course de Donington de 1993, où avec la McLaren il effectue un départ légendaire en dépassant plusieurs voitures, dont celle de Prost sous la pluie.

En 1992, on se rappellera aussi son geste incroyable lors des essais du GP de Belgique. Alors qu'Erik Comas a eu un grave accident, Senna n'hésite pas à s'arrêter, et aller actionner le coupe-circuit de la Ligier. Le pilote français dira plus tard que Senna lui a probablement sauvé la vie.

La sécurité était l'une des priorités de Senna, et il a beaucoup œuvré pour l'amélioration des conditions de pilotage.

Tragiquement, ce GP d'Imola en 94 lui sera fatal. On ne reviendra pas sur les obscures circonstances de son accident. Il semble très difficile aujourd'hui d'établir les causes exactes de sa sortie de piste.

Enfin, le film aurait pu montrer cette séquence si riche en émotions, ou quelques heures avant le départ de ce GP tragique, Senna avait dit à la radio:

«Before the beginning, a special hello to my... our dear friend Alain. We all miss you Alain ! » et sur le fait qu'Ayrton avait embarqué dans sa monoplace le drapeau autrichien, afin de rendre un hommage à Ratzenberger, décédé la veille en qualifications.

Cela aurait montré une bonne fois pour toutes que malgré son caractère impitoyable sur la piste, son talent insupportable pour ses coéquipiers, il restait profondément humain, et tellement soucieux du sort de ses semblables, en piste comme au Brésil.

C'était peut-être ça, son plus grand talent.

Frissons garantis, merci du fond du cœur, Monsieur Kapadia. Décidément, la F1 n'est vraiment plus la même depuis que l'on a perdu ce grand maître.