« Il y a toujours des armuriers dans les villes

des autos aux portes des bourgeois

Pliez les comme des fétus de paille

Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace

Descendez les flics

Camarades

descendez les flics » (1)


Selon le philosophe contemporain continental Alain Badiou, l'époque actuelle, traversée par de nombreux mouvements politiques radicaux et contestataires – révolutions arabes, émeutes grecs, des banlieues françaises, anglaises, Indignados espagnols, Occupy Wall Street, etc. - peut être mise en relation structurelle avec l'Europe des années 1815-1850 ; c'est à dire avec cette période de crise multiple, de grande incertitude qui fit suite à la Révolution française et le mouvement de réaction général, de restauration impériale ou monarchique qui en est né : période de rétablissement conservateur, im/mobiliste et post-révolutionnaire d'une quarantaine d'années, contre les peuples qui se soulevaient un peu partout en de nombreux endroits du continent, avec, notamment, ce regroupement des monarchies européennes que l'on a appelé « Sainte alliance ». Période qui a fait par la suite apparaître, comme un aboutissement et au coté des innombrables groupes de travailleurs prolétaires, de communautés d'ouvriers insurrectionnelles, sociétés utopiques et autres club « blanquistes », période qui a fait apparaître, donc, le Manifeste du parti communiste (Marx/Engels) en 1848, puis, la même année, la deuxième révolution du siècle en France (après celle de 1830). Amendé par la suite, un Manifeste qui a soutenu pour longtemps les partis révolutionnaires et qui structura une longue séquence politique marquée par la Commune de Paris, les révolutions Bolchevique, Spartakiste, la Grande Révolution Communiste Prolétarienne (GRCP) en Chine, etc. Ainsi, il est possible de dire qu'aujourd'hui - en pleine époque de nouvelle restauration, de réaction qui a commencé au début des années 80 et qui a fait suite aux mouvements des années 60 (Mai 68, années de plomb en Italie, RAF en Allemagne, etc.), cette séquence que l'on a nommé les « 30 glorieuses » - nous vivons un « réveil de l'histoire », la fin de cette configuration mondiale rétrograde, et ce, au milieu d'une crise économique immense, dévastatrice, mortifère, comme jamais le Capitalisme n'en a connu : « le moment actuel est en réalité celui du tout début d'une levée populaire mondiale (…) encore aveugle, naïve, dispersée, sans concept fort ni organisation durable, elle ressemble naturellement aux premiers soulèvements ouvriers du XIXe siècle. Je propose donc de dire que nous sommes dans « le temps des émeutes » (2). Un temps des émeutes dont le philosophe distingue différentes phases - trois niveaux d'émeutes (immédiate, latente et historique) – qui précèdent une possible révolution mondiale, de possibles événements politiques en rupture avec le système capitaliste et sa démocratie parlementaire souvent corrompue qui va avec (ou en rupture avec les innombrables dictatures appuyées par les pays occidentaux) :


« Des voitures brûlent. Des pierres volent. Des rues s'enfument. Des silhouettes juvéniles et encapuchonnées passent furtivement et défient les uniformes. De Clichy-sous-Bois à Antananarivo, d’Athènes à Point-à-Pitre, de Sofia à Oakland, d'Oran à Weng'an, de Tacna à Chlef, de Villiers-le-Bel à Palerme, de Roquetas del Mar à Nairobi, les mêmes gestes, la même obstination farouche s'installent dans le paysage global de notre modernité (…) en cela l'émeute est profondément contemporaine » (3).


Un temps des émeutes qui voit les peuples sortir dans la rue et investir les places, lieux politiques nouveaux et catégories fondamentales pour penser de nos jours la politique comme pensée singulière (cf. les places Tahir ou Sintagma, épicentres des révoltes égyptiennes et grecques). Des gens peu organisés mais volontaires car excédés par la situation sociale et économique présente, par la marche du monde qui sombre dans une bestialité capitaliste des plus primaire et d’inévitables futures désastres sans changements radicaux, rapides et réels (problèmes écologiques, fascismes, inégalités monstres, etc.). Mais alors, vous me direz, quel est le rapport de tout cela avec l’automobile ? Avec cet outil qu'est Caradisiac, ce site internet dévolu à l’exploration du monde de l'automobile ? Réponse : lorsque ces peuples sortent dans la rue, des cités françaises aux bidonvilles sud-africains, les voitures, les automobiles sont bien évidemment, au coté du mobilier urbain et des forces de l'ordre (police étatique), sur la route des émeutiers, disponibles à des appropriations tactiques ; à des délivrances salutaires et aux luttes défensives ou offensives, aux combats de corps à corps contre la police. Des automobiles dont Antoine Dufeu nous a rappelé les liens qu'elles cristallisent pour le mouvement ouvrier, pour le nom ou le mot « ouvrier » (cf. la pensée de l'anthropologue Sylvain Lazarus). Un lien qui passe par un lieu politique toujours opérant : l'usine. Mais, des usines qui, du moins dans les pays dits « riches », disparaissent petit à petit du paysage (délocalisations) en laissant littéralement « place » aux centres névralgiques de nos villes occidentales : emplacements politiques réellement vitaux car stratégiques. Et, des automobiles, donc, de moins en moins fabriquées dans les pays occidentaux mais de plus en plus détruites ici. Appert comme un renversement, le revers de la con/struction : la des/truction. Des destructions qui ont lieues au moment de configurations d'opérations de guérillas urbaines ou même lors de « simples » manifestations.


Sans oublier, mais nous laisserons ces développements pour plus tard ou pour ailleurs, la voiture « piégée », apparue au début du XXe siècle. Des mobiles explosifs qui font des ravages depuis lors dans le monde entier et utilisés comme des armes de destructions massives dont Mike Davis, philosophe américain, auteur d'une petite histoire de la voiture piégée, a étudié en détail le processus, souvent, il faut le dire, fasciste, car aveugle et briseur de vies civiles : « les voitures piégées sont des armes irrégulières dotées d'une efficacité et d'une puissance de destruction tout a fait surprenantes (…) l'effet le plus spectaculaire de la voiture piégée est le rôle exceptionnel qu'elle offre aux acteurs marginaux de l'histoire moderne (…) il n'est pas d'autre exemple historique d'une arme capable de niveler de façon aussi radicale les capacités offensives des puces et celle des éléphants » (4). Même si la voiture piégée s'écarte de notre propos, il est important de saisir ce qu'est cette machine qui peut devenir archi-meurtrière aux mains de militants ou de fanatiques religieux radicaux. Car comme l'eut dit le juriste et penseur du politique allemand Carl Schmitt : « les morts vont vite, ils vont encore plus vite s'ils sont motorisés » (5). Une arme de destruction massive sans commune mesure avec celles dont disposent les émeutiers. Néanmoins, utilisée, par des militants révolutionnaires, elle offre des possibilités importantes dans notre univers devenu majoritairement urbain. Il est en effet impossible d'expérimenter la politique comme au temps des charrettes ou autres hippomobiles !


L'automobile comme arme de destruction légère se trouve être d'un tout autre calibre chez les manifestants ou les émeutiers. Qu'elle soit utilisée comme protection, outil, comme véhicule pour se déplacer rapidement, comme instrument de provocation afin d’impressionner l'adversaire, l'auto/mobile est un objet essentiel au cours des révoltes urbaines, des actions mobili/satrices. En effet, la barricade, élément essentiel des révoltes des siècles passés a laissé place, aujourd'hui, à quelque chose d'autre, à une lutte, non plus de territoire, mais de mobilité. Certains reprochent, par exemple, aux émeutiers des banlieues la destruction des voitures de leurs propres familles, amis, voisins, mais il s'agit d'un faux problème car c'est à l'image des scènes de ménage : on casse la vaisselle et le mobilier que l'on a sous la main, ses propres biens, sous le coup d'une forte et véritable colère... L'Etat appelle « casseurs » ou « terroristes » et les médias « jeunes désœuvrées », « gauchistes archaïques », les sujets politiques, les points-sujets ou éléments du multiple qu'est ce corps politique émeutier, parfois violent - c'est inévitable - et qui débute toujours par des non ! Dégage ! Par des rassemblements populaires, des manifestations qui tournent, du fait de la défense par l’État du gouvernement en place, par la police des bâtiments nationaux, en émeutes où les automobiles jouent un rôle certain, marquant, politique :


« Déclencheur d'émeutes, l'enjeu de la mobilité urbaine est présent dans les modes opératoires eux-mêmes. Les émeutes des siècles précédents nous avaient habitués aux barricades (…) à ces barricades succèdent les « blocages » qui peuvent menacer la métropole d'embolie ; le blocage des gares et des autoroutes a été l'arme finale et massive de la mobilisation française contre le contrat première embauche (CPE) en 2006 (…) ce n'est pas d'hier, par exemple, que les lignes de bus notamment sont la cible des émeutiers; caillassages, incendies de véhicules, voire incendies de dépôts RATP ont scandé les émeutes de novembre 2005. il faut rappeler que les autobus se posent sans doute comme le moyen de transport en commun le plus discriminatoire voire vexatoire » (6).


L'automobile est bien en conséquence une catégorie politique capitale, une arme politique importante pour les militants, un objet présent en nombre au sein des lieux contemporains de la politique inventive : les places de nos villes. L'automobile, notion, concept et objet du « temps des émeutes » ; objet explosif des mobili/sations mondiales actuelles, de cette période intervallaire, en recherche de puissance, et qui pourrait peut être devenir – il faut l'espérer – séquence politique véritable et effectivement révolutionnaire : « l'époque est politiquement et donc intellectuellement difficile. Et le no futur de la crise aggrave encore notre difficulté à penser aujourd'hui. Plus que jamais les esprits sont rivés sur le rétroviseur » (7)...



Notes

  • Louis Aragon, Front rouge, in Le persécuté persécuteur
  • Alain Badiou, Le réveil de l'histoire
  • Alain Bertho, Le temps des émeutes
  • Mike Davis, Petite histoire de la voiture piégée
  • Carl Schmitt, Théorie du partisan
  • Alain Bertho, Le temps des émeutes
  • Alain Bertho, Le temps des émeutes