C'est inimaginable par chez nous. Notre éducation routière devant dorénavant passer par une longue séance de répression zélée, on n'imagine même pas que l'idée vienne à l'esprit d'un «penseur» politique hexagonal.

Comment peut on imaginer sous nos latitudes, des rues où les panneaux auraient disparu, des routes sans signalisation, sans règlementations ? Si cela existait, ce ne pourrait être que l'acte d'un fou dangereux armé d'une disqueuse géante qui accomplirait ses méfaits durant la nuit.

Et pourtant un projet européen très concret (oxymore?) a été mis en application dans 7 villes et régions de l'Union et pire, il a donné de bons résultats.

Le but: Responsabiliser les conducteurs

Le moyen: faire disparaître toute signalisation routière

À Ejby au Danemark, à Ipswish en GB, à Ostende en Belgique, on a retiré tout ou partie des panneaux régissant la circulation routière. La ville pionnière est Makkinga dans le Nord Est de la Hollande. A l'entrée du village de 1000 habitants, vous pouvez lire "Verkeersbordvrij". Ca fait rire les enfants mais ca veut aussi dire 'Ici, pas de panneaux'. ou presque.

Les routes sont en pavés assez rebondis pour inciter à rouler tranquillement et plus aucuns panneaux d'obligation ni de restriction ne sont visibles. Il n'y a plus de parcmètres, ni aucune restriction de parking et même les marquages au sol ont disparu !

Un des concepteurs de cette expérience, le hollandais Hans Monderman explique: " Tous les règles de circulation existantes nous dépouillent de la chose la plus élémentaire et la plus importante: être attentionné. Nous perdons notre capacité à être socialement responsable. Plus le nombre de règles est grand, moins les gens se sentent responsables."

H.Monderman met le doigt sur une réalité difficilement perceptible par nos dirigeants, législateurs à outrance. L'Allemagne par exemple possède 648 panneaux de signalisation routières différents. Les villes voient s'ériger des centaines de signes de toutes les couleurs et de toutes les formes s'assurant que vous ne dérapiez pas: ' Interdit de se garer', 'Attention, passage de cerfs'...etc. La forêt de panneaux devient de plus en plus touffue d'année en année. Ils sont déjà plus de 20 millions dans toute l'Allemagne.

Les psychologues révèlent à ce propos que trop de règle tue la règle. En effet, 70% des panneaux ne seraient même pas perçus par les conducteurs. Ils mettent aussi en lumière qu'une présence trop grande d'interdictions et de règles engendre toujours un ressentiment de l'usager qui a l'impression qu'on le traite comme un enfant. Sans compter qu'une règle, quelle qu'elle soit, provoque de façon assez perverse mais néanmoins humaine l'envie de la trangresser ou tout du moins de tout faire pour ne pas la subir au prochain coup.

Explications: Un feu à un carrefour impose le droit. Celui de s'arrêter ou de passer. Outre le fait que cette règle dédouanne l'usager de porter attention au croisement en lui même, son objectif premier devient alors de passer le prochain feu, même à l'orange. En oubliant le reste.

Corseter les conducteurs dans une nasse d'obligations et de restrictions génère un état d'esprit malsain. Chacun cherche alors à tirer avantage personnel de toute situation en allant jusqu'à voir l'usager d'à côté comme un 'concurrent'.

Pour les concepteurs du projet, la seule façon de sortir de ce cercle vicieux est de redonner totale liberté aux conducteurs pour les mettre face à leurs responsabilités. Le but est de créer une auto-régulation entre usagers nettement plus adaptée et modulable qu'une règlementation rigide édictée de façon globale donc généralement inadaptée.

Tomber le panneau

Bien sûr, cette approche jugée trop "anarchiste" par bon nombre de sociologues est loin de faire l'unanimité. Ils pensent qu'une dérégulation totale ne peut être adaptée aux grandes villes. Tout juste à quelques villages et encore. Selon ces chercheurs, le résultat que pourrait donner une telle (dés)organisation ressemblerait à ce que l'on connait déjà du côté de Bombay, New Delhi ou d'autres mégalopoles de pays émergents, à savoir un bordel innommable ! On peut le craindre.

Toutefois, l'expérience de Drachten aux Pays bas, ville de 45.000 habitants, est prometteuse. Là bas, les pavés ont recouverts les routes et les conducteurs communiquent entre eux par signes pour se laisser la priorité. Sur les 18 feux tricolores en place, 16 ont été retirés pour être remplacés par des ronds points. 2 règles subsistent:

  • Priorité à droite.
  • Montrez la voie à suivre et vous serez suivi

Aussi étrange que cela puisse paraître, le nombre d'accidents a fortement baissé.

Des experts d'Argentine, des USA sont venus visiter Drachten. Même la très régulatrice mairie de Londres est venue voir ça de plus près et ce modèle devrait être testé bientôt dans le quartier de Kensington.

Et les français, alors ?

Source: Spiegel