Une décision très sévère pour les consommateurs de CBD
Après la décision rendue le 21 juin par la Cour de Cassation (voir notre article sur le sujet), Caradisiac a interrogé Laureen Spira, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs, en particulier sur ses affaires de conduite après usage de stupéfiants. Pour elle, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français met à mal les droits de la défense.
Caradisiac - Quelle est votre réaction par rapport à cette première décision sur le sujet de la Cour de Cassation ?
Laureen Spira - D’un côté hélas, je ne suis pas surprise, car cette décision est dans la droite ligne de la jurisprudence de 2018 de la Cour de Cassation. De l’autre, je regrette vivement cet arrêt à contre-courant de la légalisation du CBD. La loi pénale en devient illisible pour le justiciable.
Cara - Dès lors que les produits CBD peuvent contenir du THC, qui demeure une substance classée comme stupéfiant, il peut paraître logique que ce soit le risque…
Me Spira - Il n'en reste pas moins que le CBD n'est pas considéré comme un stupéfiant alors même que ces produits en effet commercialisés peuvent contenir du THC (jusqu'à 0,3 %). Et dans ces conditions, il paraît indispensable pour l’exercice des droits de la défense de connaître la concentration en THC, ainsi que du cannabidiol (CBD) dans les prélèvements effectués en cas de contrôle positif.
Contrairement à l’alcool, il n’existe aucun seuil d’incrimination en matière de stupéfiants, comme le rappelle la Cour de Cassation dans sa décision, seulement, un seuil de détection est fixé par un arrêté de 2016… On reçoit des analyses qui se limitent à indiquer un résultat positif, sans donner aucun taux. Le Tribunal ne peut donc pas distinguer le consommateur de CBD, du consommateur de cannabis occasionnel, du consommateur chronique !
Cara - Selon cet arrêté de 2016, les analyses sont positives pour un seuil en THC au-dessus de 1 ng/ml de salive, ce qui veut dire qu’avec du CBD uniquement, ce seuil pourrait être franchi, n’est-ce pas ?
Me Spira - C’est clairement ce que l’on est contraint d’en déduire. Mais dans son arrêt, la Cour de Cassation va encore plus loin, puisqu'elle considère de toute façon que l’élément matériel de l’infraction est constitué même avec un seuil inférieur à celui fixé par l’arrêté de 2016 !
À partir du moment où le CBD est bien légal parce que justement ce n’est pas un stupéfiant malgré cette présence de THC, il serait pourtant très important de comprendre si la positivité du conducteur est causée par la quantité de CBD absorbé, par la façon dont il l'a consommé [fleurs, huile, bonbons…], ou encore par le dosage du produit acheté !
Enfin, on peut aussi s’interroger sur la sensibilité des kits de dépistage.
Cara - Qu’est-ce qui vous ennuie précisément dans cette décision ?
Me Spira - Sur la sécurité des consommateurs, cette décision est un vrai problème : ils n’ont consommé aucun stupéfiant et pourtant ils se retrouvent poursuivis car ils ressortent positifs aux stupéfiants !
En matière délictuelle, théoriquement (sauf dans de rares exceptions comme les blessures ou homicide involontaire), il faut un élément matériel et un élément intentionnel pour rentrer en voie de condamnation.
Dans le cas présent, la Cour de cassation valide que l’élément matériel soit constitué sans que l’on puisse se défendre sur un taux défini. Et sur l’élément intentionnel qui fait à mon sens cruellement défaut, la Cour de Cassation n’en a que faire.
Elle considère que consommer du CBD, susceptible de contenir du THC, ce qui est connu des consommateurs, c'est suffisant. Il me semble pour ma part qu'en prenant du CBD, il n'y a justement pas d'intention de consommer un stupéfiant, puisqu'il n'est pas considéré comme tel.
Cara - Que faudrait-il faire ?
Me Spira - Il faut faire intervenir le législateur. Un seuil d’incrimination doit être fixé de la même façon que pour l’alcool. Il ne doit plus être recherché un simple usage à partir d'une positivité mais un comportement dangereux déterminé à partir d’un seuil fixé sur des données scientifiques.
L’autre solution, serait de rechercher comme en Suisse, si le consommateur a bien fait usage de CBD. Un test adapté suffirait sur demande du conducteur lors de son interpellation.
Cara - Que conseillez-vous aux conducteurs en cas de poursuites ?
Me Spira - Même si la Cour de Cassation y est hostile, il faut continuer d’essayer de démontrer sa bonne foi. Le conducteur doit essayer de prouver qu’il n’a pris que du CBD et donc qu’il n’a eu l’intention de ne consommer aucune drogue.
Dès la fin du contrôle, il doit réunir toutes les pièces en ce sens et procéder à ses propres analyses (urinaires, sanguines, capillaires…) auprès d’un laboratoire d'analyses toxicologiques, réunir toutes ses factures d’achat de CBD.
Et le premier de mes conseils déjà, c’est aussi et surtout de se réserver la possibilité de demander une contre-expertise au moment du contrôle. Cela signifie qu’il ne doit pas hésiter à insister pour avoir un deuxième prélèvement, en vue de cette contre-expertise, et ne surtout pas renoncer à ce droit quand bien même les agents les pousseraient à le faire.
Cela ennuie généralement tout le monde, puisque ce prélèvement sanguin ne peut être effectué, contrairement aux prélèvements salivaires, sur le bord de la route. Mais cette contre-expertise peut se révéler primordiale pour sa défense par la suite. Surtout qu'il ne se laisse pas faire !
*1 nanogramme (ng) vaut 10-9 gramme
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