Le dernier livre de Valérie Mréjen, Forêt noire, est subtilement traversé par l’automobile. En voici un seul exemple : « Au moment où les frères et sœurs, totalement paniqués, se sont déjà enfuis de la maison pour venir alerter leut père resté dans la voiture, lequel met un temps infini à s’en extraire car il veut d’abord savoir de quoi il s’agit et ne cesse de répéter « quoi ? », « qu’y a-t-il ? », attendant qu’on lui donne une raison suffisante pour déplier son corps du siège et interrompre sa brumeuse rêverie face à la grisaille de cette rue où s’attarde peut-être une mamie emmitouflée, pendant l’instant qui leur paraît interminable où les enfants sont maintenant confrontés à l’air interdit de leur père qui reste toujours enfoncé comme une énorme pierre sur le fauteuil en cuir, la sœur aînée sort d’un salon de coiffure fastueux et tape-à-l’œil du côté du pont d’Iéna en compagnie de sa belle-mère qui a tenu à lui faire faire à elle aussi un brushing à l’américaine. Le fait d’avoir passé une heure ou plus dans cet endroit où tout est contraire à ses goûts, où l’air capricieux et musqué évoque le mot cocotte, où les femmes de ces beaux quartiers affichent des airs d’enfants gâtées insatisfaites et impérieuses, a accentué l’insupportable décalage qui sépare ces deux événements quasi simultanés : la confrontation des plus jeunes avec une dépouille roide dans cette maison d’où désormais il leur faudra déménager, et le gonflage artificiel de ses cheveux à l’aide de brosses rondes et de laque dans un endroit où les conversations sont si affreusement creuses que le bruit incessant des séchoirs allumés est presque une bénédiction. »


Certes, l’automobile est présente dans ce livre – l’instar de cet extrait – mais la mort, aussi, est partout. Faut-il y voir un lien ? C’est ce dont nous pourrons discuter ci-après.


(Fictions automobiles) "(...) une raison suffisante pour déplier son corps du siège (...)"


Forêt noire, Valérie Mréjen, P.O.L, 128, pages, 10 euros