Toutes les infractions routières n'entraînent pas un retrait de point(s). En 2010, par exemple, il y a eu au total plus de 22 millions de contraventions dressées, mais « seulement » 12 millions devaient donner lieu à une perte de point(s). Sauf que sur ces 12 millions, seules 6,5 millions « de décisions de retrait de points ont été enregistrées dans le fichier national du permis de conduire », pointe un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), révélé par Le Journal du Dimanche. Les retraits concernent ainsi seulement « 54 % des infractions constatées. 46 % (…) sont donc restées sans conséquence », alors que les amendes ont été correctement réglées dans 80 % des cas, détaille encore ce rapport daté de 2012 et resté confidentiel jusque-là.

Ces 12 millions de PV proviennent pour l'essentiel du contrôle automatisé. Cette année-là en effet, les radars automatiques en ont envoyé plus de 9,2 millions, correspondant à plus de 75 % du total. Forcément, l'image du système infaillible et équitable en prend un coup. Et pour le ministère de l'Intérieur qui prépare des mesures pour « lutter contre les contournements de la loi en matière de contrôle automatisé », la publicité de ce rapport tombe à pic. Pourtant, ces dysfonctionnements avaient été révélés dès 2011, dans un rapport parlementaire sur la Sécurité routière pour le coup tout à fait public !

Déjà, ce rapport de 2011 constatait ainsi que la moitié des avis de contravention générés par les radars automatiques n’entrainaient pas de retrait de points (cf. le tableau ci-dessous) ! « Des lacunes importantes subsistent (...) dans l’équité devant la sanction, qui nuisent à la crédibilité de la politique engagée et notamment à celle du CSA* », développait-il également.

Radars : la moitié des infractions n’entraîne pas de perte de point(s)

Des radars inéquitables

A l'époque, cette inéquité s'illustrait alors par le fait que des conducteurs s'en sortaient mieux que d'autres, comme :

  • les conducteurs de deux-roues, dans la mesure où les radars peuvent photographier de face, alors que la plaque d'immatriculation des deux-roues se trouvent uniquement à l'arrière. Résultat : les clichés concernés sont bons pour la poubelle. Mais, même lorsque la photographie est prise par l’arrière, la taille réduite de leur plaque d’immatriculation fait que ces clichés restent plus difficiles à exploiter. Ceci explique d'ailleurs pourquoi les plaques des nouveaux deux-roues soient désormais plus grandes. Reste que cela prendra plusieurs années avant que tout le parc soit mis en conformité ;
  • les conducteurs étrangers. C'est un peu moins vrai désormais puisqu'une directive européenne oblige la plupart des Etats membres à communiquer les coordonnées des propriétaires des véhicules repérés en infraction. Malgré tout, il reste des pays qui ne coopèrent pas ;
  • et les conducteurs dont le véhicule est immatriculé au nom d’une personne morale, c'est-à-dire une entreprise. Dans ce cas-là, le plus souvent, le paiement de l'amende n'entraîne pas de retrait de point(s). Et ce n'est pas du tout parce que les entreprises refusent de dénoncer les véritables fautifs, contrairement à ce que laissent croire nos autorités !

Il faut bien comprendre en effet que dans le cadre de ce système automatisé, tout se fait - ou presque - de manière automatique, comme son nom l'indique. Quand un PV radar est réglé, normalement, le retrait de point(s) s'ensuit. Mais sur quel permis ? Ce sont les titulaires des certificats d'immatriculation, autrement dit les propriétaires des véhicules flashés, qui sont en ligne de mire. Qu'ils conduisaient ou non aux moments des faits !

Des radars injustes

Quand il s'agit d'un véhicule au nom d'un particulier, c'est ce dernier qui reçoit la contravention à son domicile, et s'il paie sans contester, il subit le retrait de point(s). Quand il s'agit d'un véhicule d'entreprise, la même logique s'applique théoriquement. Sauf que comme c'est une société qui est titulaire de la carte grise, c'est le représentant légal de cette société qui écope des sanctions. Seulement voilà, quand c'est le cas, on a affaire à un gros bug informatique, puisque le lien entre le représentant légal et son permis de conduire ne se fait a priori pas automatiquement... la plupart du temps ! Car attention, sans trop savoir comment, « il arrive que des chefs d'entreprise perdent des point(s) ! », met en garde Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier.

Le rapport de 2011 s'étonnait en tout cas que « seule la moitié des infractions (…) donne lieu à un retrait de point ». Il précisait même que ces « ordres de grandeurs se retrouvent apparemment pour tous les types d'infractions au code de la Route » (cf. le tableau ci-dessous). Le rapport de l'IGA, un an plus tard, n'apportait ainsi pas grand-chose de nouveau.

Radars : la moitié des infractions n’entraîne pas de perte de point(s)

Le plus cocasse, c'est que la mission d'information parlementaire, à l'origine du rapport de 2011, avait alors été présidée par le député (PS) Armand Jung, aujourd'hui président du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), dont le but est « de préparer et d’évaluer la politique des pouvoirs publics en matière de sécurité routière ». Il est drôle de constater ainsi qu'un rapport de l'IGA, semble-t-il caduc, a dû être déterré alors que celui des parlementaires, consultable sur Internet, paraît plus complet.

Des radars toujours privilégiés

Surtout que parmi les injustices du système automatique, il était question dans ce rapport de 2011 – et donc du député Jung – des radars feux rouges, dont l'efficacité était jugée, d'un point de vue de la Sécurité routière, « assez limitée ». « Les feux rouges représentent un enjeu faible. Les études sont peut-être discutables, mais il en ressort que la baisse des accidents latéraux est compensée par la hausse des chocs à l’arrière. […] Aux yeux d’un accidentologue, l’enjeu des feux rouges est faible car il y a très peu de tués aux feux rouges », révélait le document. Si bien que les députés et les sénateurs avaient proposé à l'époque de « suspendre le déploiement des radars aux feux rouges dans l’attente d’une évaluation du dispositif et en équipant ceux qui sont déjà en service d’un décompte de temps. » Une proposition tombée depuis aux oubliettes.

Et même s'il ne fait plus aucun doute que le système des radars automatiques est défaillant, nos politiques n'ont a priori rien trouvé de mieux que de continuer à le développer. Ce lundi, le ministère de l'Intérieur met ainsi en service 111 nouveaux radars double-sens. Ces automates, installés de manière fixe sur le bord des routes, sont présentés comme étant capables de contrôler « concomitamment la vitesse des véhicules qui circulent sur deux voies opposées ». « Le coût moyen total d'installation de cette fonction s'élève à 15 000 € par radar », précise Beauvau.

Il y en a 9 dans l'Ain, 5 en Ardèche, 2 dans les Bouches-du-Rhône, 6 en Charente-Maritime, 7 dans le Gard, 7 en Haute-Garonne, 8 en Gironde, 3 dans l'Hérault, 6 en Ille-et-Vilaine, 7 en Isère, 8 en Loire-Atlantique, 7 dans le Morbihan, 12 dans l'Oise, 3 dans le Pas-de-Calais, 2 en Haute-Savoie, 1 en Seine-Maritime, 4 en Seine-et-Marne, 2 dans le Var et 12 en Vendée. D'ici à la fin 2015, annonce encore le ministère de l'Intérieur, il y en aura 200 de plus et il y en aura encore 300 supplémentaires en 2016.


*Contrôle sanction automatisé, correspondant au système des radars automatiques mis en place à partir de 2003.