Voilà, c’est fini. Après 10 jours de foule, de premières mondiales dévoilées et de concept-cars surexposés, le salon de Francfort a fermé ses portes hier soir. Qu’en retiendra-t-on, hormis la chute de la maison VW ? Peut-être un virage du bon goût. L’émergence d’un dessin baroque et surchargé, ou d’une lourdeur assumée, destinée à satisfaire une clientèle qui a bien changé. Attention, ce coup de crayon bling bling ne concerne pas les voitures raisonnables, celles que des acheteurs raisonnables pourront s’offrir à un prix raisonnable chez le garagiste du coin dans les jours ou les mois à venir et qui, elles aussi, ont tournicoté sur les podiums du salon. Ces dernières sont, pour le moment, épargnées par les boursouflures de style. Pas les supercars, pas les berlines de grand luxe. Suffit de regarder, mais pas trop longtemps, pour ne pas risquer d’attraper un glaucome, le prototype de la future Bugatti.


Bilan - Salon de Francfort 2015  : tendance bling bling

Bugatti Chiron Gran Turismo


Elle s’appellera peut-être Chiron, mais pour l’instant, et pour en mettre plein la vue, elle répond au doux nom de Vision. Au programme : des excroissances partout et de l’harmonie nulle part. Tu les as vus mes gros ailerons ? C’est ce que semble hurler celle que renierait le père fondateur Ettore Bugatti qui ne reconnaîtrait dans cette descendance extravertie que son logo, une esquisse de ses radiateurs, une couleur et l’arrondi d’un montant central. Aux dernières nouvelles, le fantôme de la Type 57 Atalante made in Molsheim s’en serait allée se jeter dans le Main, qui coule à deux pas du salon, en voyant sa descendance. « Ne dessinez rien de laid, quelqu'un pourrait l'acheter », expliquait le couturier Jean Patou à son équipe. Les designers Bugatti ont reçu le message 5/5. Et l’auto de 1 650 ch annoncée par ce concept devrait se vendre. A qui ? A une clientèle rapidement enrichie venue de Russie, des Emirats ou d’Asie. Les mêmes qui se précipitaient, dès les premiers jours du salon, sur le stand où se pavanait le nouveau SUV Bentley Bentayga. Le coffre-fort germano-britannique (la vénérable marque appartient au groupe Volkswagen) est aussi harmonieux qu’une camionnette de course sévissant sur le Dakar. Au cas où l’habitacle et ses teintes blanches et beigeasses n’étaient pas assez tape-à-l’œil, le constructeur propose de l’égayer avec une montre Breitling incrustée de diamants. Un petit accessoire simple, chic et de bon goût.


Bilan - Salon de Francfort 2015  : tendance bling bling

Bentley Bentayga


Bien sûr, à 300 000 euros l’auto, le prix supposé de l’anglaise sans la montre, et à plus de 2 millions, tarif que la future Chiron devrait atteindre aisément, on peut se dire que cette micro-niche ne concerne que quelques excentriques exotiques. Mais pas si loin de chez nous, il est une autre marque qui semble succomber aux délices de la lourdeur automobile, même si Alfa Romeo n’en devient pas bling bling. Cette lourdeur est affichée sur les flancs de sa Giuila Quadri Voglio Verde. La légèreté dessinée s’en est allée. On pourrait la rebaptiser Giulio, tellement elle s’est virilisée pour plaire à une clientèle que le manque de finesse ne fait pas fuir, bien au contraire. A l’inverse, l’Infiniti Q30 en rajoute. Sur la compacte japonaise premium, tout n’est que plis et angles. Les designers de la filiale luxe de Nissan sont devenus les chantres de la profusion. Pas une aile, pas un montant n’échappe à leur coup de crayon. Un bout de capot oublié ? Vite, une petite griffure. De la face avant à la face arrière, l’ensemble est compliqué pour être remarqué.


Bilan - Salon de Francfort 2015  : tendance bling bling

Infiniti Q30


On peut certes en vouloir aux designers de toutes ces marques et leur reprocher de tourner le dos à l’harmonie et à la simplicité. Mais ne travaillant pas pour des organismes caritatifs, leur rôle est avant tout de créer des lignes qui plaisent. Et, si possible, à la clientèle censée se les offrir. Des clients qui ne sont pas, ou de moins en moins, des habitants de notre bon vieux continent. Sauf que ces derniers n’auront pas droit à un dessin réalisé exprès pour eux. A l’heure de la mondialisation forcenée, chacun devra se plier à la voiture m’as-tu-vu. Un bling bling plébiscité là-bas, et subi par ici.