A quarante-cinq ans, Ferruccio Lamborghini était un homme comblé. Sa réussite fulgurante lui avait valu tous les honneurs de la république italienne. Riche et reconnu, il aimait toutes les bonnes choses de la vie et roulait en Ferrari. Un jour, excédé par la fragilité de sa machine et surtout piqué au vif par le mépris du Commendatore à son égard, il décida simplement de faire mieux.

A Brescia, ce 2 mai 1948, la petite Fiat Topolino de l’équipage Lamborghini-Baglioni descend lentement la rampe de départ des Milles Miles. Sous quelques applaudissements plus polis qu’enthousiastes, elle s’éloigne dans l’aube humide et presque dans l’indifférence du public. Préparée par Lamborghini, la Fiat "Spéciale" ne manque pourtant pas d’allure. Hélas, l’aventure se terminera… dans la salle d’un restaurant après une méchante embardée dans un virage. Lucide sur ses limites, Ferruccio Lamborghini mettra ainsi un terme à sa carrière naissante de pilote. La renommée et la fortune emprunteront d’autres chemins…

Homme de fer et de terre

Ferruccio Lamborghini était un contadino – un simple fils de paysan – comme il se plaisait à le répéter. Il en possède la robustesse, le bon sens, l’amour de la terre. Mais il sent très vite qu’il ne suivra pas les traces de son père. Fasciné par les machines, il décide de poursuivre ses études à l’Institut de technologie de Bologne et décroche son diplôme juste avant la Seconde Guerre mondiale.

Mobilisé dans l’armée de l’air italienne, puis prisonnier des Anglais sur l’île de Rhodes, le soldat Lamborghini ne chôme pas. Avec les moyens du bord, il a la charge d’entretenir tout ce qui peut rouler ou voler. A son retour en Italie en 1946, il peut à juste titre se considérer comme un mécanicien averti. Décidé à tirer profit de son expérience, il ouvre alors un petit garage dans sa ville natale de Cento.

Très vite, ses affaires sont florissantes. Dans une Italie meurtrie par la guerre, son sens de l’improvisation mécanique fait merveille. Il réussit à faire du presque neuf avec du très vieux, à redonner vie à des moteurs à bout de souffle.

En découvrant sur la route de son voyage de noces les énormes stocks de matériels militaires à l’abandon, il a une idée de génie : construire des tracteurs avec des pièces de récupération puisées dans les surplus. Le premier modèle, fabriqué pour son père, est un véritable patchwork de pièces éparses (moteur Morris, boîte General Motors, pont arrière Ford) qui ne rechigne cependant pas à la tâche.

L’histoire de la naissance de la curieuse machine se répand comme une traînée de poudre dans toute la campagne émilienne. Face à la demande, Ferruccio Lamborghini fonde en 1949 sa première société. En moins de dix ans, sa fabrique de tracteurs se hisse au troisième rang en Italie. Il est maintenant riche mais ne veut pas s’en tenir là.

Il se lance dans l’étude d’un hélicoptère. L’administration refuse d’homologuer le prototype. Déçu mais pas découragé, il réinvestit dans une usine de matériels de chauffage. C’est un nouveau succès qui lui vaut le "Mercurio d’oro", une des plus hautes distinction de l’Etat italien, donnant droit au titre honorifique de "Commendatore". Ayant fait deux fois fortune, Ferruccio Lamborghini peut enfin assouvir sa passion pour les voitures de sport.

Crime de lèse-majesté

Riche industriel, il peut s’offrir ce que Jaguar, Maserati, Aston Martin et Ferrari font de meilleur. Pourtant, aucune de ces automobiles ne le satisfait pleinement. Ce sentiment n’est pas le caprice d’un milliardaire. Bien au contraire, c’est le point de vue d’un véritable connaisseur qui dresse la liste de leurs faiblesses respectives. L’une est bruyante, une autre inconfortable, une autre encore freine mal. Même la Ferrari de ses rêves le déçoit et le laisse frustré.

Insolent ou inconscient, il n’hésite pas à s’en plaindre amèrement auprès de son illustre voisin de Maranello. Un véritable crime de lèse-majesté aux yeux d’Enzo Ferrari. Ce parvenu, ce marchand de tracteurs ose critiquer ses chères voitures rouges ! Impardonnable ! Vertement rabroué, Ferruccio Lamborghini se jure de répondre à la provocation par la provocation et décide de défier Ferrari sur son propre terrain. En construisant sa propre voiture.

Il se promet que la future Lamborghini aura elle aussi un moteur V12, mais meilleur que tout ce qui a jamais été construit à Maranello ! Il fonde l’"Automobili Ferruccio Lamborghini", assure seul des investissements considérables pour édifier l’une des usines les plus modernes d’Europe.

Le 1er juillet 1963, à Sant’Agata dans la banlieue de Modene, l’aventure commence. L’usine n’est encore qu’un immense chantier mais l’équipe technique est déjà au travail : Giotto Bizzarrini, le concepteur de la légendaire Ferrari 250 GTO dessine le moteur. Gian-Paolo Dallara, un jeune ingénieur, arrive lui de chez Maserati tandis que son assistant, Paolo Stanzani, sort tout juste de l’université de Bologne.

La plus jeune équipe de toute l’industrie automobile (l’âge moyen est de 24 ans et demi !) va réaliser des prodiges pour tenir les délais imposés par le "patron". En contrepartie, celui-ci leur laisse une totale liberté et les encourage même à adopter les solutions techniques les plus audacieuses, les plus sophistiquées et les plus coûteuses.

Lancée en 1964, la 350 GT, si elle se montre très supérieure à ses rivales sur le plan dynamique, ne déclenche cependant pas l’enthousiasme des acheteurs. La diffusion reste confidentielle tout comme la notoriété de la jeune marque. Cette situation ne saurait satisfaire bien longtemps Ferruccio Lamborghini. Il faut frapper un grand coup, créer l’événement pour entrer dans le club très fermé des constructeurs de prestige. La révolutionnaire et sublime Miura présentée en 1966 va lui fournir ce sésame. Du jour au lendemain, le nom Lamborghini est mondialement connu, inspire le respect et l’admiration, nourrit tous les fantasmes. Les commandes affluent à Sant’Agata et la marque en profite pour se constituer une gamme.

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