Personne n'aime les interdictions, tout le monde déteste que le législateur aille fourrer ses gros doigts dans les interstices de liberté de plus en plus rares où tout ce qui n'est pas prohibé est autorisé. Mais il ne faut tout de même pas exagérer. Et le coup de la vitre noire façon onyx, qui ne permet même pas de distinguer si quelqu'un est au volant, c'est totalement déconnant. Je ne parle pas de la vitre fumée qui tempère les ardeurs du soleil, mais de ces parois totalement opaques derrière lesquelles se cachent de plus en plus d'automobilistes, pas tous appointés par la CIA ou adeptes du tuning, mais soucieux d'afficher leur statut VIP.

Deux arguments ont été avancés en faveur de leur interdiction aux places avant. Le premier est que les autres usagers, ne voyant pas le conducteur à travers sa vitre ni dans son rétroviseur, ne peuvent savoir s'ils ont été vus ni deviner ses intentions, savoir s'il téléphone, tripatouille son GPS ou engueule ses mômes. Faites du vélo ou de la moto et vous comprendrez ce que l'on éprouve en arrivant au droit d'une de ces voitures sans visage approchant un peu vite d'un stop. Surtout de nuit, ces vitres noires ne laissent pas voir grand-chose sur les côtés, à en croire ce conducteur qui faillit m'encadrer dans sa portière un soir de janvier au prétexte qu'il n'avait vu ni mon ciré jaune ni le puissant phare à led de mon vélo.

L'autre argument, encore plus sonnant et trébuchant, est que ces vitres opaques empêchent les forces de l'ordre de constater l'usage d'un téléphone "tenu en main" ou le non-port de la ceinture de sécurité. Et même le geste de dégainer une arme, se plaignent policiers et gendarmes très remontés sur le sujet.

Normalement, ça ne devrait pas faire un pli. Même le lobby de la vitre fumée, l'ASFFV (Association sécurité et filtration des films pour vitrage), reconnaît qu'il y a quelques excès (à 1 000 euros pose comprise…) et, sentant le business menacé, propose d'interdire tout film ayant une transmission lumineuse inférieure à 35 %. Cela ne permettrait certes pas de reconnaître le cousin de Montauban, mais laisse tout de même voir s'il vous regarde ou… téléphone. Bref, tout le monde est d'accord.

Pourtant aux dernières nouvelles, presque un an plus tard, le projet d'interdiction " est à l'étude". Une étude qui consiste à savoir s'il faut vraiment interdire ce qui est déjà interdit mais a été longtemps toléré. Car il n'y a pas de vide juridique contrairement à ce qui s'écrit souvent : l'article R-316 du code de la route prescrit que "toutes les vitres, y compris celles du pare-brise, doivent être en substance transparente". Et le règlement européen R43 impose depuis 1958 que tous les vitrages latéraux avant d'une voiture (devant le montant B) aient une "transmission lumineuse" minimum de 70 %, autrement dit qu'ils laissent passer 70 % de la lumière. Cette norme est respectée par tous les constructeurs automobiles, mais de toute évidence pas par les fabricants et poseurs de films dont certains produits laissent passer moins de 10 % de la lumière.

Il faut aussi savoir que l'ASFFV a mis dans le plateau de la balance ses 1 200 salariés, ce qui pèse un chouïa plus lourd que le secteur du rempaillage de tabouret, et même plus que le millier de bonshommes qui construisent les deux navires Mistral qu'au nom de la sauvegarde de l'emploi nous allons livrer à la Russie du vilain Poutine. Alors quoi ? Alors rien : "le dossier est à l'étude" et je parie qu'il le restera longtemps. En France, vous ne pouvez pas pousser un landau avec le visage voilé ("nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage"), mais il est toléré de conduire une voiture de deux tonnes, caché derrière des vitres impénétrables...