Polluer l'atmosphère des États-Unis de la Sainte Amérique est un luxe hors de prix : dix-huit milliards de dollars d'amende prévus en attendant d'autres pénalités à neuf zéros pour indemniser les actionnaires, les consommateurs et bien sûr, leurs avocats, le coût des rappels…. Sans oublier 25 à 30 milliards d'euros de capitalisation boursière évaporée. Facture prévisible du scandale, 40 à 70 milliards de dollars. Ça doit mettre le gramme d'oxydes d'azote au prix du kilo de caviar.

 

J'ai l'air de prendre l'affaire à la légère, mais en vrai, un truc me chiffonne.

D'abord, les faits incriminés n'ont pas eu la moindre conséquence sanitaire : aucun mort à déplorer, pas la moindre  crise d'asthme et peut-être même pas une seule quinte de toux sachant que les 482 000 voitures mises en cause là-bas ont dilué leurs pets de NOx sur 9 857 000 m2, plus de deux fois la surface de l'Europe occidentale où circulent neuf millions des mêmes TDI truqués et plusieurs dizaines de millions d'autres diesels guère plus propres.

En comparaison, l'affaire des contacteurs déficients de General Motors a fait 124 morts et 275 blessés. L'entreprise a tu le défaut durant dix ans avant de déclencher le rappel et a écopé d'une amende de 900 millions de dollars. Millions, pas milliards. Aucun responsable n'a été traduit en justice.

 

Polluer les États-Unis ? Ils le font très bien eux-mêmes

 

Ensuite, je m'étonne d'une telle sensibilité à la pollution de la part d'un pays où l'on injecte des cochonneries dans le sous-sol et les nappes phréatiques pour en extraire gaz et pétrole, où l'on traite le tabac à l'ammoniac pour rendre les fumeurs plus dépendants. Un pays dont les normes sanitaires et vétérinaires feraient s'évanouir un charcutier slovène.

Au fait, vous vous souvenez de la grande affaire de la semaine dernière, la viande rouge qui serait cancérigène ? On a filé la pétoche à toute l'Europe, à ses éleveurs et ses bouchers en omettant juste un détail : 90 % des données sur lesquelles repose l'effrayant rapport proviennent des États-Unis, le pays où l'on engraisse le bétail au soja OGM farci d'hormones et d'antibiotiques et la population - 25 % d'obèses - avec du steak de 500 g à 24 % de lipides cuit au barbecue.

Bref, entendre un officiel américain parler de santé publique m'évoque irrésistiblement une tenancière de maison close discourant des vertus de la chasteté.

L'énormité du "Skandal" Volkswagen, ce n'est pas l'ampleur de la tricherie ou du mensonge, c'est la disproportion entre sa gravité réelle et la lourdeur de la sanction qui ne se comptera pas seulement en milliards de dollars et d'euros, mais aussi en milliers d'emplois sur le continent entier. C'est vilain de tricher ? Certes, oui, mais c'est comment de couper la main du tricheur ?


Principal responsable, un mode de management archaïque


Penchons-nous sur le crime. Au fait, quel est son mobile ? On en sait un peu plus sur le sujet. Il n'y a pas eu un machiavélique big boss imposant à un démoniaque directeur financier de demander à un ingénieur sans scrupule de bidouiller des moteurs histoire de faire économiser à l'entreprise quelques dizaines d'euros par voiture. C'est à la fois bien plus simple et plus subtil que ça.

D'après des témoignages de cadres anciens et actuels de l'entreprise, la fraude a son origine dans un mode de management ressuscitant les mécanismes archaïques de la hiérarchie allemande : obéissance aveugle et trouille du chef cultivées comme valeurs d'entreprise sous les directions successives de Ferdinand Piëch et Martin Winterkorn. Ce que décrivent ces témoignages, c'est l'impossibilité, face à des objectifs inatteignables, de dire non ou de demander des moyens supplémentaires sous peine d'être rétrogradé ou viré. Une trouille infusée du sommet à la base de la pyramide et qui tenait lieu d'esprit d'entreprise.

Winterkorn n'a jamais demandé à quiconque de truquer un logiciel de dépollution, mais il a entretenu ou toléré ce climat de peur. Cette peur qui a empêché une petite équipe d'ingénieurs, confrontés à des normes de pollution très sévères, de demander une rallonge budgétaire qui leur aurait permis de sortir de l'impasse. Et les a incités à trouver leur propre solution dans leur coin. Bref, on est plus dans le domaine de la grosse bourde que dans celui du crime organisé.