On n’en est qu’aux débuts mais cette affaire de fraude aux tests de pollution sent décidément mauvais, et pas seulement le dioxyde d’azote. Jusqu’où la pelote sera t-elle déroulée ? C’est qu’il ne s’agit pas ici d’une défaillance involontaire comme celle de la pédale d’accélérateur qui a coûté un bon milliard de dollars à Toyota, l’autre n°1 devant GM, mais d’une tricherie « en bande organisée ».

Qui est dans la bande, on le saura bientôt.

Il faut espérer qu’il est bien informé, Louis Schweitzer président d’honneur et ancien patron de Renault quand il déclare sur Europe 1 « J’espère que Renault n'a pas triché et je suis convaincu que Renault n'a pas triché". Il faut aussi espérer que PSA lui non plus n’a pas bidouillé ses calculateurs.

Sans les excuser, il faut dire que les constructeurs sont soumis à des contraintes contradictoires: émettre moins de CO2 et moins de NOx. Pas évident car pour rejeter moins de CO2, c’est à dire moins consommer de gazole, la mécanique, la thermodynamique et la chimie imposent de le faire exploser plus fort, et donc de rejeter plus de NOx. Ce dernier n’est pas, contrairement aux CO, CO2, hydrocarbures et particules un résidu du carburant, mais une dégradation du comburant, l’air. Sous l’effet des hautes pressions et températures des diesels modernes, les atomes d’oxygène et d’azote se combinent pour former du NO, du NO2, du NO3, bref des NOx. Or, si on peut désoufrer le carburant, on ne peut pas désazoter le comburant. Sauf à embarquer des bombonnes d’oxygène liquide à chaque plein.

Bref, réduire simultanément le polluant global, le CO2, et le polluant local, les NOx, c’est un peu comme vouloir abaisser en même temps les deux plateaux de la balance : quand on réduit l’un, on augmente l’autre et réciproquement.

Aujourd’hui, on sait réduire les oxydes d’azote, soit par stockage et retraitement, soit plus communément en continu avec le système SCR qui injecte de l’urée dans les gaz d’échappement, retraités par un catalyseur supplémentaire. Au passage, libéré de la contrainte des NOx, on peut aussi optimiser l’injection et diminuer la consommation de gazole. Avec la norme Euro 5, certains gros diesels ont du adopter le SCR ou autre système et avec Euro 6, tous ou presque doivent y avoir recours.

Les normes américaines tolèrent moins de NOx que les nôtres

Mais certains s’en passent, dont curieusement le 2.0 l TDI incriminé aux Etats-Unis alors que les normes américaines (et canadiennes) tolèrent moins de NOx que les nôtres. Par choix économique on a décidé, et on saura bientôt jusqu’à quel niveau dans l’organigramme de VW, de « gérer » le problème des NOx, sans SCR. Et comme ce n’était pas possible avec la technologie choisie alors par VW, la seule solution consistait à préparer un software fantôme pour le test. En comparaison, l’autre TDI vendu aux Etats-Unis, le V6 2,5 l innocenté par l’enquête californienne, est équipé d’un catalyseur SCR.

Cette petite magouille pourrait ruiner le groupe Volkswagen : c’est qu’en plus de l’amende de 18 milliards, maximum encouru, et des 20 ou 30 milliards déjà –virtuellement- perdus à la bourse,  il faudra rappeler les 11 millions ( !) de voitures équipées de ce moteur truqué. Et pas seulement leur retirer le logiciel diabolo, mais les mettre vraiment en conformité avec les normes américaines et européennes. Deux possibilités pour cela : soit les post équiper d’un dispositif SCR : ruineux mais ce serait la seule solution satisfaisante techniquement et légalement. Soit dégrader les performances du moteur qui, de 150 chevaux ou plus, passerait à 100 ou 120 chevaux, ce qui est littéralement impossible outre Atlantique car cela ouvrirait la voie à d’autres procès.

Jusqu’où ira le scandale

Reste maintenant à savoir jusqu’où ira le scandale. Aux Etats-Unis, l’onde de choc est énorme, l’image du constructeur de la Beetle durablement démolie et aux démêlés avec l’Etat fédéral s’ajouteront ceux avec les particuliers que des avocats commencent déjà à regrouper au sein de « class action ». Mais, si Mercedes et BMW s’en sortent les mains propres, la vague retombera au fil des jugements et amendes faute d’autres diesels à emporter.


En Europe, continent du diesel roi, le séisme est potentiellement bien plus dévastateur. Potentiellement, car il est probable que l’affaire s’y tasse vite. Pourquoi ? Parce que derrière les déclarations martiales de quelques ministres en mal de juste posture, on sent une énorme trouille de soulever le couvercle. Ce que contient la marmite, on le sait pourtant  depuis longtemps car cette tricherie est un secret de polichinelle plus ou moins éventé dans des rapports officiels ou d'ONG. (j’y consacrais un paragraphe entier dans mon billet du 29 juillet)

En Europe, continent du diesel roi,

le séisme est potentiellement bien plus dévastateur

D’ailleurs, alors qu’au moins neuf des onze millions de ces TDI truqués carburent sur notre continent (contre un demi million aux Etats-Unis) la commission européenne juge « prématurées des mesures de surveillance immédiate ». Il faut comprendre que Bruxelles n’est pas pressée d’expliquer à la populace pourquoi, certains jours sans vent on ne voit plus le sommet de la tour Eiffel malgré des normes de pollution de plus en plus sévères. Ni de lui révéler qu’une bonne part des diesels en circulation ne respectent pas sur la route les normes d’homologation en laboratoire qu’elle a édictées. Pas seulement du fait d’autres tricheries qui restent à prouver, mais aussi et surtout parce que les tests de pollution comme de consommation qui s’y pratiquent sous sa houlette sont une énorme farce avec accélérations lymphatiques et vitesses d’escargot. Même sans tricher lors du test, un constructeur peut légalement mettre en vente une voiture qui, comme les VW Passat, Beetle et Jetta américaines, pollue dans la vraie vie 10 à 40 fois plus qu’au labo. Et à ce petit jeu, constructeurs allemands et français se tiennent par la barbichette ; le premier qui causera aura une tapette. Alors, on promet des enquêtes, on nomme des commissions et on attend que l’incendie se calme. Ne surtout pas l’attiser comme vient de le demander Emmanuel Macron.

D’ailleurs, l’extincteur est déjà trouvé, il se nomme WLTP, c’est le nom du futur cycle de pollution censé reproduire de façon plus réaliste les conditions de circulation. Les constructeurs qui, pas plus tard que la semaine dernière, voulaient repousser son entrée en vigueur l’appellent désormais de leurs vœux. Résultat, la petite souris dont pourrait accoucher la montagne du scandale VW, serait son introduction quelques mois plus tôt que prévu dans les processus d’homologation.

Il faut espérer que, dans les bureaux d’étude, les programmes informatiques soient déjà prêts.