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Auto-fiction n°1 : Les Vingt-Quatre Heures Déments par Philippe Curval

Dans Loisirs / Littérature

Claude Barreau

Philippe Curval est un des fondateurs, en France, de la science-fiction littéraire, auteur de plus 40 livres, traduit dans le monde entier. L’une de ses obsessions : raconter comment le futur, dans toutes ses composantes, politiques, sociales, économiques, scientifiques, pourrait changer notre vie. Sans jamais oublier de positionner au cœur de son œuvre l’homme et ses désirs multiples. Pour Caradisiac, il s’amuse à penser la vie de l’automobiliste dans le futur. Comment nous déplacerons-nous ? À bord de quel engin ? En combien de temps ? Dans 100 ans, à quoi ressembleront nos routes, les radars, les policiers ? Y aura-t-il encore des accidents ? Le plaisir de conduite, la vitesse, auront-ils disparu ? Quels nouveaux moyens de locomotion émergeront ? Qu’aura fait de Paris Jean Hidalgo, petit-fils d’Anne, Etc. ?A travers ses Nouvelles, Philippe nous donnera sa vision fantastique de nos mobilités. Avec humour, toujours. Et il vous faudra prendre l’habitude de ne pas les lire qu’au second degré… Sachez qu’un ensemble de romans, L’Europe après la pluie, publié dans les années soixante-dix, évoque ce que nous vivons aujourd’hui.Premier volet de cette saga futuriste : « Les Vingt-Quatre Heures Déments ».

Auto-fiction n°1 : Les Vingt-Quatre Heures Déments par Philippe Curval

Plus de vingt-trois heures que les bolides tournaient sur le circuit du Mans. Encore quelques dizaines de minutes et l’on connaîtrait le vainqueur. Dans son casque interconnecté, John Levée reçut le message :

— Ici X 12, changer d’urgence le train de pneus en médium tendre. Arrêt programmé au prochain tour, préparez-vous ! Dix secondes, pas plus pour l’opération. V 13 s’approche à trois cents mètres derrière ma BMW dans le virage de Mulsanne.

La voix choisie pour l’ordinateur de bord sonnait toujours aussi désagréablement. John se gratta la tête d’un air contrarié. Sortit sans se faire remarquer sa fiasque de rhum vénézuélien, en absorba une lampée. Puis il réunit son groupe.

— X 12 vient d’exiger le remplacement de ses slicks. Magnez-vous, la voiture arrive dans quelques instants.

— A-t-il fourni une explication ? demanda l’apprenti mécanicien, un jeune rouquin qu’on appelait Mickey.

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— Non, mais tu t’imagines qu’un bolide sans pilote s’intéresse au travail de l’équipe !

— Alors, à quoi sert-on ?

— À gagner les vingt-quatre heures.

— Qui les gagne ?

— La marque qui te paye ton stage. Du moins, je l’espère.

Dans un sifflement de freins, X 12 stoppa face au stand avec une précision de quatre millimètres. Au forcing, le collectif pressé par le timing changea les pneus avec une seconde d’avance. La BMW sans conducteur repartit dans le silence rageur du moteur électrique. V 13 venait de la doubler. Une Tesla dont la pointe de vitesse frisait les quatre cent cinquante kilomètres heure sur la ligne droite des Hunaudières et qui s’éloigna.

— Je voudrais savoir une chose, si ce n’est pas un secret, dit Mickey, en voyant la X 12 prendre de la vélocité pour rattraper son concurrent, qui dirige la stratégie de notre BMW, l’ordinateur de bord ou un staff ?

— D’après les normes actuelles, c’est un brainstorm d’informaticiens et d’anciens pilotes de course depuis le centre de Strasbourg. Car la voiture sans conducteur pour les particuliers a d’abord été conçue pour des trajets sans heurts dans une circulation feutrée. Pas pour la compétition. Or, c’est la première fois que ces bolides ont été homologués au détriment des pilotes qui ont dénoncé le projet. En bloc, leur syndicat a refusé d’affronter des robots. Il faut donc booster ces voitures automatisées depuis un centre de commande. Mais leur autonomie future se prépare déjà chez la plupart des constructeurs automobiles. Je me demande, si un jour, nous serons encore nécessaires. Regarde, notre BMW est sur le point de rejoindre la Tesla dans le virage du tertre rouge !

Mickey se tourna vers l’écran. Puis ses yeux se dirigèrent face au stand technique, vers la tribune des spectateurs. En place de la foule des grands jours d’autrefois, il découvrit des centaines d’androïdes installés en nombre sur les gradins pour la remplacer. Dont les vêtements, les visages et les silhouettes affichaient des allures variées pour créer l’illusion. Toute une bande portant les couleurs de la marque se leva en hurlant au passage de la Honda Princess qui, en troisième position, accélérait pour rattraper ses concurrents.

— En admettant que notre bolide soit programmé depuis Strasbourg, murmura Mickey, je ne comprends pas à quoi servent ces robots spectateurs ! Sont-ils aussi dirigés par des communicants ? Pourquoi la tribune est-elle à moitié désertée par les vrais fans d’automobile ? À quoi ça rime ?

— En dehors de quelques fondus de technologie, qui pourrait se passionner de voir tourner des voitures sans pilote au point de se rendre au Mans afin de les encourager. Surtout pour une course d’endurance ! Toutes les grandes marques ont élaboré des androïdes spectateurs pour réveiller le suspense. S’il y a peu de vrais individus sur place, crois-moi, les puissants acteurs d’Internet se font encore un max de fric avec les retransmissions sur les smartphones. Car, si, devant le circuit, peu de gens sont capables d’éprouver un véritable enthousiasme, sur un petit écran, cela ressemble à un jeu vidéo. D’autant plus, je te le dis en confidence, que des milliers de geeks sont branchés sur le site du Mans, parient à tour de bras. On chuchote même que certains hackers peuvent influencer sur les résultats à l’arrivée.

— C’est dégueulasse !

— Mais c’est bien malin. On ne peut pas toujours avoir l’automatisme et l’argent de l’automatisme. Je ne te parle pas du cul du conducteur.

John tapota l’épaule de Mickey pour le consoler. Il avait vécu les grands jours du Mans, la frénésie qui s’emparait de lui quand les pilotes en difficulté avaient recours à ses services. Il les connaissait tous. Quelle véritable joie ressentait le chef mécanicien lorsqu’un de ses poulains gagnait ! Gravissant peu à peu tous les échelons de l’équipe technique, maintenant qu’il la dirigeait, avec les voitures électriques et l’arrivée de la conduite sans pilote, son enthousiasme avait sérieusement faibli. En dehors de l’ennui que dégageait cet affrontement d’automates, ce qu’il regrettait le plus, c’était l’odeur particulière qui régnait sur le circuit, celle des moteurs qui brûlaient l’huile de ricin mélangée à l’essence. Comment se passionner pour des cylindres sans cockpit, entièrement profilés pour un aérodynamisme maximum, qui filaient sur la piste tels des suppositoires ?

Mais, pas question de se laisser abattre par ses états d’âme. John revint dans l’atelier où vingt-quatre heures sur vingt-quatre son équipe se tenait prête au moindre incident technique. Auparavant, certains d’entre eux bichonnaient des pièces de rechange. Avec les moteurs électriques, aucune nécessité, puisque ceux-ci pouvaient fonctionner sans problème sur un million de kilomètres. Par contre, il y avait les roulements, les freins, les pneus, et l’état d’alerte permanent.

En jetant un coup d’œil sur l’écran, il vit que la BMW s’apprêtait à rejoindre la Tesla à la hauteur de la première chicane. Quand, soudain, la Tesla démasqua une batterie de tuyères incluse dans le pont arrière, décolla, s’éleva jusqu’à trois mètres au-dessus de sa concurrente, acquit un surplus de vitesse, tel qu’elle la dépassa en un temps record, se reposa plus loin sur la piste dans un crissement de gomme, juste avant d’attaquer le virage d’Indianapolis.

— Ça alors, s’écria John, c’est trop fort ! Il n’a jamais été question d’introduire des voitures volantes dans le circuit. À moins qu’on ait changé les règles sans me prévenir. Je suis sûr que les directeurs de course vont porter plainte !

Quelques instants plus tard, la Tesla franchissait la ligne en vainqueur. e. sous les hurlements des androïdes qui agitaient des drapeaux. Mais aucun pilote ne sortait du véhicule qui se faisait arroser de champagne. Tandis que la BM, puis la Honda arrivaient en deuxième et troisième positions.

La réunion du jury fut particulièrement houleuse. Mais après de vives discussions entre les organisateurs, Tariq Bleustein qui faisait la pluie et le beau temps sur le circuit, convoqua les journalistes à l’affût dans la salle de presse pour donner plus du poids à sa décision. Il leva la main pour calmer le brouhaha. Puis il désigna le directeur de course de Tesla :

— Monsieur, je dois avouer qu’après avoir longuement pioché dans les plus anciens documents, jusqu’aux plus récents, nous n’avons trouvé nulle part dans les règlements des vingt-quatre heures du Mans qu’il était interdit d’employer des voitures volantes. Parce que, vous en êtes conscient, jusqu’à ce jour la technologie ne le permettait pas. Soyez sûr que nous étudierons le problème et que nous ajouterons peut-être, mais j’y suis fermement opposé, la participation de ces engins à la course d’endurance la plus célèbre du monde. Aussi, ce n’est pas pour cette innovation spectaculaire que notre jury a proclamé votre déclassement au profit de la BMW qui est déclarée vainqueur. e. de la quatre-vingt-dix-huitième édition.

— C’est totalement injuste ! Nous allons vous attaquer devant les tribunaux pour faire annuler cette décision, protesta le représentant de Tesla. Vous cherchez à tout prix la chicane !

— Sans jeu de mots, lorsque vous avez pris votre envol, vous avez atterri après la deuxième chicane, sans la passer. Ce qui vous met de facto hors compétition. Puisque vous n’avez pas effectué la totalité du circuit, vous êtes donc fautif. Votre exclusion a été prononcée à l’unanimité, conclut Tariq Bleustein.

Philippe Curval 

 

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