Du pilote au constructeur

Les débuts sur une modeste Chevron à moteur deux litres n’étaient qu’une simple préface. Bien sûr, il avait réalisé son rêve de gosse en pilotant aux 24 Heures, côtoyé pendant quelques heures les stars et ressenti le grand frisson lorsque les Matra le dépassaient à une vitesse phénoménale. Seulement, Jean Rondeau ne voulait pas être un régional de l’étape de plus, se payant avec le soutien de quelques mécènes locaux, le volant de voitures médiocres. Il voulait gagner mais, tout aussi lucide qu’ambitieux, il savait que la lecture de son maigre palmarès n’inciterait jamais un grand constructeur à lui offrir un volant. Qu’à cela ne tienne, il construira lui-même sa voiture ! Avec un groupe d’amis manceaux, il forme une association de bénévoles : "Il n’y avait pas d’argent, mais au moins, il y avait des compétences." Rondeau, lui-même, nanti d’une solide formation technique, s’est perfectionné "sur le tas". Il fut notamment le mécanicien de François Migault et se passionna vite pour la construction des prototypes en déambulant dans le paddock du Mans. A force d’observations, il tire une conclusion pleine de bon sens qui fera la force de ses futures voitures : tous les prototypes ne sont qu’adaptés aux 24 Heures du Mans et non pas construits spécifiquement pour l’épreuve. Bien sûr, Matra ou Porsche, avec des moyens considérables et de longs essais d’endurance ont su faire face aux exigences de la course mais les autres ne sont à ses yeux que des outsiders. Les Rondeau seront donc spécialement conçues pour les 24 Heures : solides, simples, soigneusement construites et aussi intelligentes pour faciliter les interventions mécaniques…

Une aventure surhumaine

Seul un artisan peut se permettre un tel cahier des charges. Un mot qui ne s’apparente ici en rien à bricoleur mais plutôt au sens noble de chef-d’œuvre, tel que les Compagnons l’entendaient. Le projet est solide et réaliste. Rondeau sait ce qu’il veut et surtout sait le faire partager. Ce bourreau de travail, véritable homme orchestre capable de passer des nuits à l’atelier après des journées partagées entre rendez-vous et démarches administratives, impose le respect. Un entrepreneur, au bon sens du terme, qui voit ses efforts récompensés par un petit coup de pouce du destin. Charles James, qui préside la firme de décors muraux Inaltera, se montre enthousiaste par le projet et accorde un budget important pour l’engagement de deux voitures au Mans 1976. Très saines, remarquablement présentées et préparées, elles rallient l’arrivée et l’une d’elles enlève la catégorie GTP aux mains de Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo. Pour 1977, Inaltera maintient son soutien, et l’aventure s’achève par un nouveau succès en GTP, avec cette fois les trois voitures à l’arrivée. Le sérieux de la petite équipe a déjà impressionné les plus blasés et Rondeau rêve de projets plus ambitieux. Hélas, Charles James quitte son poste chez Inaltera et son successeur retire son soutien. Pire, les voitures, les moteurs et tout le matériel sont repris sans ménagement pour être bradés à une écurie pour le dixième de leur valeur. Rondeau est désespéré, amer et ruiné. Marjorie Brosse, dont le mari était alors le préfet de la Sarthe, s’étant passionnée pour l’aventure, va alors jouer un rôle providentiel. Elle se dépense sans compter mobilise les édiles et entrepreneurs manceaux, trouve des sponsors. Avec un tout petit budget de 300 000 F (Inaltera apportait un million), Rondeau réussit à construire et engager une auto pour l’édition 78 Mission accomplie avec une troisième victoire consécutive en GTP. Une seconde naissance pour Rondeau qui revient avec trois voitures l’année suivante avant de s’imposer en 1980. Si cette victoire le débarrassa des soucis financiers et lui permis d’engager des équipes de plus en plus fortes, Rondeau restait encore l’homme et le constructeur d’une seule course qui avait forgé sa réputation sur les seules 24 Heures. Le pilote Rondeau devait composer avec le constructeur Rondeau : 18 heures de travail quotidien avant de prendre le départ d’une seule course par an, sans aucun entraînement, ni préparation physique. Cette passion exclusive pour Le Mans l’empêchait également d’avoir une totale ouverture sur le monde de la course. Il le paya chèrement en 1982, lorsqu’il parti à l’assaut du championnat du monde des marques…

Mais surtout, en 1983, la nouvelle Rondeau M482 à effet de sol, bien que soutenue par Ford, ne marchait pas. Trop ambitieuse et sophistiquée compte-tenu des moyens financiers et techniques de l’équipe, elle était de plus pénalisée par le total manque de fiabilité des nouveaux Cosworth 3,9 l.

A la fin de l’année, Rondeau déposa une première fois son bilan, puis Ford vint à la rescousse en lui proposant de construire une série de monoplaces pour le nouveau championnat de France de Formule Ford. En revanche, les Rondeau au Mans, c’était bien fini, hormis pour quelques équipages privés sans grandes ambitions.

Débarrassé des soucis du chef d’entreprise, Rondeau se mit pour la première fois dans la peau d’un pilote et se consola avec une superbe deuxième place au Mans en 1984 sur une Porsche 962C. A la fin de l’année 85, Ford retira son soutien et ce fut le terme de l’aventure des Automobiles Rondeau.

Toujours assuré du soutien inconditionnel de Marjorie Brosse, Rondeau repartait à la conquête de nouveaux annonceurs quand par une sombre après-midi de décembre, sa voiture fut happée par un train à un passage à niveau près du Mans…

REPÈRES

Jean Rondeau, pilote

• Né le 13 mai 1946 au Mans.

• 1969 : 5 e du volant Shell-ACO.

• 1970 : débuts en compétition sur berlinette Alpine (11 succès de catégorie en régional).

• 1972 : débuts aux 24 Heures du Mans sur Chevron B21-Ford.

• 1973 : quelques courses en Formule Renault.

• 1974 : vainqueur du Trophée British Leyland (Mini Cooper) ; 19 e des 24 H du Mans (Porsche 908).

• 1976 : 21 e au Mans (Inaltera).

• 1977 : 4 e au Mans et 1 er en GTP (Inaltera).

• 1978 : 9 e au Mans et 1 er en GTP (Inaltera).

• 1980 : vainqueur des 24 H du Mans.

• 1984 : 2 e au Mans (Porsche 962C).

• 1985 : 17 e au Mans (WM-Peugeot).

• 1986 : victime d’un accident mortel de la circulation le 27 décembre.

Jean Rondeau, constructeur

• 1 victoire aux 24 H du Mans (1980), une seconde place (1981), 5 victoires en catégorie GTP (1976/77/78/80/81).

• 2 e du championnat du Monde des marques 1982 (victoire aux 1 000 km de Monza).

• 1 er du championnat de France de Formule Ford (1984/85).

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