Ceux de nos lecteurs qui circulent quotidiennement en Ile-de-France ne l’auront pas forcément remarqué, mais les chiffres sont là : ça roule (un tout petit peu) mieux, avec notamment une diminution de près de 10 % du nombre de kilomètres d’embouteillage entre 2013 et 2014 aux heures de pointe ! Telle est l’une des conclusions de l’étude annuelle menée par la société Mediamobile, éditeur des services de mobilité V-Traffic et du site V-Traffic.com, qui se base sur des données provenant de la récolte (anonyme, est-il précisé) de données de déplacement provenant des GPS de 1,2 million de voitures et de téléphones mobiles. L’amélioration évoquée plus haut s’expliquerait selon Mediamobile par plusieurs facteurs, parmi lesquels la fin des travaux de mise en conformité des grands tunnels, une météo plus clémente et, hélas, une activité économique moins intense qui se traduit par une réduction du nombre de camions et une baisse du nombre de déplacements des automobilistes. En tous les cas, ce ne sont pas les conditions de circulation dans les transports en commun qui inciteront les automobilistes à abandonner leur voiture.

De fait, d’intenses difficultés de circulation demeurent : entre 2010 et 2014, le nombre de kilomètres d’embouteillage a ainsi augmenté de près de 14 %. Sur l’A6, axe le plus encombré de la région parisienne, les automobilistes perdent 29 minutes en moyenne chaque jour pour un trajet A/R de 50 km banlieue-Paris-banlieue (pas d’amélioration entre 2013 et 2014). Le « podium du pire » est complété par l’A4, à l’est, (24 minutes perdues en moyenne, soit une de plus qu’en 2013) et au sud-ouest par la N118 (23 minutes perdues en moyenne, contre 28 en 2013). Etrangement, l’A1 (nord) ne se classe qu’en 5e position (15 minutes perdues en moyenne), juste derrière l’A13 (ouest (17 minutes).

Les conséquences sur la vie quotidienne sont précisément chiffrées. Un automobiliste empruntant l’A1 chaque matin pour se rendre à Paris 18e perd chaque année l’équivalent de deux jours et six heures en transport. Une valeur qui passe à 3,5 jours pour un automobiliste empruntant l’A4 (vers Paris 12e) et à 4 jours et 4 heures pour un automobiliste roulant tous les jours sur l’A6 (vers Paris 14e). L'on pourra regretter que manquent à l'appel des statistiques concernant la circulation de banlieue à banlieue, souvent très difficile.

A la lecture de cette étude, on apprend - mais on l’avait remarqué - que le mardi matin et le vendredi soir (+46 % d’embouteillages par rapport au lundi soir !) constituent les pires moments où circuler. De même, mieux vaut éviter de rouler en direction de Paris entre 7h20 et 7h40, tandis que le pic horaire vespéral se situe entre 17h30 et 17h50. Enfin, sur le périphérique, généralement plus encombré à l’intérieur qu’à l’extérieur, l’on roule tout de même à 38 km/h en moyenne aux heures de pointe. Ce dernier chiffre corrobore celui annoncé par les pouvoirs publics début janvier, mais l’on relève aussi - et surtout - que la vitesse moyenne en conditions de circulation fluide est de 69,8 km/h, soit une valeur à peine inférieure aux 73,4 km/h enregistrés avant la mise en place de la limitation à 70 censée réduire la pollution. De plus, les bouchons continuent d'augmenter : +4% entre 2010 et 2014. Mais chut ! D’ici à ce que la mairie de Paris y abaisse la vitesse maxi à 60 km/h, il n’y a qu’un tour de roues...


Trois questions à...

Bernard Darniche**

« C'est la conséquence de la mauvaise santé économique du pays. »


Trafic en Ile-de-France: mauvaise nouvelle, ça roule (un peu) mieux !

Comment interprétez-vous cette légère amélioration des statistiques de circulation ?

C'est avant tout la conséquence de la mauvaise santé économique du pays. Les chômeurs restent chez eux, ou se déplacent comme ils peuvent pour chercher du travail. La régression économique actuelle a une conséquence directe sur la circulation. L'Ile-de-France étant le moteur économique du pays, c'est surtout très mauvais signe ! Quand l'économie repartira, je me demande bien comment les pouvoirs publics géreront le bazar ! Il y a 15 bouchons récurrents en Ile de France, et jamais personne ne s'est dit qu'il fallait prendre le problème à bras-le-corps. On dénombre au moins un millier de hauts fonctionnaires directement concernés par ces questions, mais ils s'en moquent éperdument. Qu'ils fassent les choses bien ou mal, peu importe. Quels que soient leurs résultats, ça ne changera rien à leur salaire ou à leur retraite.


Ce n'est pas aussi le fuit d'une politique des transports mieux pensée ?

Il n'y a pas de coordination, la politique des transports est un tissu d'incohérences ce que résument les feux tricolores. On en est encore à rêver de feux intelligents, cadencés de façon à faciliter la circulation. Or, rien n'est fait pour faciliter ces flux. Dans l'agglomération de Londres, il y a eu des études qui ont montré que l'amélioration est en grande partie due aux feux intelligents. Quand on voit le temps perdu arrêté à des feux rouges, c'est aberrant. Tout est fait pour entraver la circulation et dissuader les gens de prendre leur voiture, sans préoccupation des conséquences économiques. Pourtant, depuis l'Antiquité, les sociétés qui se sont développées ont pu le faire grâce à une mobilité supérieure aux autres. C'est le cas des Egyptiens et des Phéniciens, pour ne citer qu'eux. Et en Ile-de-France on s'évertue à faire tout le contraire ! S'ajoute à cela l'impossibilité de stationner, en termes de place comme de coût. Une journée dans un parking Vinci à Paris, ça va me coûter 50 euros ! Comment peut-on accepter de payer plus pour stationner que pour rouler ? Et prendre les transports en commun, c'est bien, mais je fais comment pour rentrer chez moi en banlieue à deux heures du matin ?


Croyez-vous encore que les pouvoirs publics peuvent arranger les choses ?

La solution, c'est d'imaginer la circulation positivement, en créant une agence à la mobilité. Cette organisation s'intéresserait à tous les paramètres de nos déplacements, qu’il s’agisse de transports en commun ou individuels. En Ile-de-France, chacun travaille sans se préoccuper de ce que font les autres. Métro, RER, train, automobile: ces systèmes de mobilité sont gérés indépendamment alors qu’ils devraient être pensés les uns par rapport aux autres. A cet égard, le cas de l’agglomération de Tokyo est intéressant : il y a plus de trente-six millions d’habitants, mais on s’y déplace de façon fluide. A Tokyo ça sent bon, on ne fait pas la queue pour acheter son billet, on ne se pousse pas les uns et les autres, et l'on ne se fait pas agresser, comme moi récemment dans le RER parce que j'étais simplement en costume cravate. Pour des trajets plus longs, il y a un TGV toutes les 6 mn. On est dans une société moderne. Tout n’y est pas parfait, mais j’invite nos décideurs à s’en inspirer.


* Par rapport à un temps de référence établi par circulation fluide

** Ancien pilote de rallye (5 titres de champion de France, 2 titres de champion d’Europe, 7 victoires en championnat du monde…), chargé de mission sur la sécurité routière (1986), Bernard Darniche a créé en 2004 l’association Citoyens de la route qui traite de toutes les questions liées à la mobilité et à la sécurité routière.