Votre navigateur ne supporte pas le code JavaScript.
Logo Caradisiac    
Publi info

Enquête - Alcool au volant: un tabou français?

Dans Pratique / Sécurité

Pierre-Olivier Marie

Paradoxe. Alors que les pouvoirs publics serrent toujours plus la vis aux automobilistes côté vitesse, ils font preuve d'un étonnant laisser-aller avec le phénomène de l'alcool au volant, deuxième cause d'accidents mortels en France. Si l'arsenal répressif est complet, ce sont les lacunes de la politique de prévention qui posent problème.

La France est le deuxième pays le plus consommateur de vin au monde. L'alcool y est aussi la deuxième cause de mortalité routière.
La France est le deuxième pays le plus consommateur de vin au monde. L'alcool y est aussi la deuxième cause de mortalité routière.

Selon toute probabilité, vous n’avez pas souvent soufflé dans le ballon durant les 12 derniers mois. Et au rythme où vont les choses, le risque est faible que cela vous arrive dans les semaines à venir. Le dernier bilan officiel des infractions au code de la route précise en effet que le volume des dépistages a baissé de 16% entre 2008 et 2016, passant de 11,7 à 9,8 millions.

Une évolution d’autant plus regrettable que l’alcool est (avec les stupéfiants) la deuxième cause de mortalité routière en France, et que l’alcoolémie délictuelle, c’est-à-dire supérieure ou égale à 0,8 g/l de sang, représente près du quart des délits relevés (22,3% en 2016).

Il y a donc un problème de l’alcool au volant en France, que ne traitent pas les autorités avec tout le zèle nécessaire. Ce n’est pas Caradisiac qui le dit, mais la très sérieuse Cour des comptes, qui en 2016 sonnait l’alarme en ces termes: "L’évaluation de la Cour a montré que l’État ne se donnait pas les moyens d’infléchir les comportements à risque en n’agissant qu’imparfaitement sur les différents leviers disponibles : réglementation de la distribution, fiscalité, sanction de l’alcoolémie au volant, prévention et prises en charge sanitaires. (…) Le dépistage de l’alcool au volant est en régression depuis  plusieurs années, du fait  de  certaines contraintes liées aux forces de sécurité et de la lourdeur de la procédure, tandis que les sanctions restent peu dissuasives (amendes) ou difficiles à mettre en œuvre (suspension de permis). »

Et que s’est-il passé depuis ? Rien ou presque, dans un pays où l’alcool (pas seulement au volant) est « responsable annuellement de 49 000 morts dont 15 000 cancers, deuxième cause de mortalité prématurée évitable après le tabac, première cause de mortalité des jeunes de 18 à 25 ans », d’après la Fédération française d’addictologie.

Dans le même temps, l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) rappelle que la France est le deuxième pays consommateur de vin au monde, derrière les Etats-Unis et devant l’Italie. La consommation annuelle s’y élève en moyenne à 42 litres par habitant, contre 100 en 1976.

Abonnez-vous à la newsletter de Caradisiac

Recevez toute l’actualité automobile

L’adresse email, renseignée dans ce formulaire, est traitée par GROUPE LA CENTRALE en qualité de responsable de traitement.

Cette donnée est utilisée pour vous adresser des informations sur nos offres, actualités et évènements (newsletters, alertes, invitations et autres publications).

Si vous l’avez accepté, cette donnée sera transmise à nos partenaires, en tant que responsables de traitement, pour vous permettre de recevoir leur communication par voie électronique.

Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement de ces données, d’un droit de limitation du traitement, d’un droit d’opposition, du droit à la portabilité de vos données et du droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle (en France, la CNIL). Vous pouvez également retirer à tout moment votre consentement au traitement de vos données. Pour en savoir plus sur le traitement de vos données : www.caradisiac.com/general/confidentialite/

Audiences Muscadet

La dernière mesure forte anti-alcool en date remonte à juin 2015, avec l'instauration d'une limitation à 0,2 g pour les titulaires d’un permis probatoire. Une décision certes louable, mais clairement insuffisante au vu des statistiques évoquées plus haut. Au passage, on s’explique mal pourquoi n’a pas été instauré le 0 g/l pour les jeunes permis, comme en Allemagne, valeur qui a le mérite d’une parfaite clarté pédagogique.Et plus récemment, les autorités ont même réussi l’exploit de délivrer un contre-message  à l’issue de la réunion du Comité interministériel de sécurité routière, organisée le mardi 9 janvier à Matignon. Est ainsi prévue la suppression de l'éthylotest obligatoire dans le véhicule, la mesure n'ayant pas fait la preuve de son efficacité, et son remplacement par un éthylotest anti-démarrage (EAD) qui serait obligatoire pour les automobilistes contrôlés à plus de 0,8 g/l. Malgré une suspension de permis, ceux-ci pourraient continuer à conduire à la condition qu'ils dotent leur véhicule d'un EAD ! Pas de quoi faire baisser le nombre d’« audiences Muscadet », ainsi que sont familièrement surnommées les affaires traitées au tribunal correctionnel de Rennes le mardi matin, qui concernent très souvent des cas d’alcoolémie excessive au volant. Bien sûr, la Bretagne n’est pas la seule région touchée par le fléau…

 

L'éthylomètre anti-démarrage? "Un permis de tuer!"
L'éthylomètre anti-démarrage? "Un permis de tuer!"

Cette décision fait bondir Karl Auzou, CEO de Good Angel, une start-up qui commercialise un éthylotest connecté permettant une prise en charge des automobilistes ayant trop bu, et ce 24h/24: « La seule chose dont nous parle le délégué interministériel à la sécurité routière est la généralisation de l’éthylotest anti-démarrage en France, avec des coûts d’installation et d’acquisition qui sont totalement pharamineux et pas adaptés du tout à la situation. C’est un système répressif, et une fois de plus on oublie la prévention. Avant de pénaliser qui qui ce soit, il faut apprendre à tout le monde à souffler dans l’éthylotest. Le délégué est surtout préoccupé par les 80 km/h, et c’est dommage d’entendre ce type de discours. La première cause d’accidents reste l’alcool, même si on essaie de nous servir la vitesse en permanence! La vitesse est un effet induit, un effet déviant de l’alcool et de la drogue. Avec cette mesure qu’on nous présente comme providentielle, la personne prise pour la première fois au-delà du taux délictuel aura la possibilité de retrouver son permis de conduire avec l'éthylomètre anti-démarrage. C’est un véritable permis de tuer ! »

Tout pour la vitesse

Détail piquant, Good Angel est lauréat 2017 du Prix innovation sécurité routière dans la catégorie    « Promotion de comportements responsables ». Malgré cette récompense, la société ne reçoit aucun soutien tangible de la part des pouvoirs publics. Karl Auzou, encore : « les sommes qui sont prélevées au titre des amendes radars sont censées être redistribuées ensuite sur des actions de prévention routière. Or, il y a zéro dotation pour le sujet alcool ! Le sujet des 80 km/h, auquel s’ajoute  la mise en place de contrôles radars privatisés, va avoir pour conséquence que les prélèvements vont rapidement doubler pour atteindre les 2 milliards d’euros d’ici un an. Ça veut dire que l’on fait de la vitesse un revenu très conséquent pour l’Etat. Et on oublie que si demain on traite le sujet alcool en mettant des moyens d’auto-mesure en place, ce seront 3,5 milliards d’euros économisés chaque année en cumulant les coûts de la sinistralité, des indemnisations de victime ou des coûts de santé. »

Le gouvernement pêcherait-il par une « radarophilie » excessive? Il faut dire que les engins font preuve d’un sacré rendement: 17 millions de PV ont été dressés par le système de contrôle automatisé en 2017, générant plus d’un milliard d’euros de recettes, valeur en hausse de 10% par rapport à 2016. Près de 4 450 radars automatisés sont déployés sur le territoire, auxquels vont notamment s’ajouter cette année les radars privatisés. Parlez d’un arsenal…

Et on observe que malgré ce déploiement continu de cinémomètres, les pouvoirs publics restent incapables depuis plusieurs années de descendre sous la barre des 3 500 morts par an sur les routes de France, auxquels s’ajoute la cohorte de blessés.

Alcool et stupéfiants, cocktail fatal

Indépendamment de la grogne qui monte à travers le pays, il est possible - et souhaitable -  que la limitation à 80 km/h qui sera instaurée le 1er juillet contribue à une amélioration des statistiques, mais on restera encore loin des objectifs de 2000 victimes annuelles, voire moins. Une lutte accrue contre l’alcool et les stupéfiants au volant semble donc indispensable. Hélas, entre la baisse du nombre de contrôle d’alcoolémie au bord des routes et le déploiement laborieux - en dépit des annonces très offensives faites par les pouvoirs publics fin 2016 - des nouveaux kits salivaires de contrôle de produits stupéfiants, on reste loin du compte. Rappelons au passage que la moitié des conducteurs sous l’emprise de stupéfiants dépasse en même temps le taux d’alcoolémie légale.

La prévention et l’éducation seraient donc les grandes délaissées de l’histoire, selon Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d’automobilistes : « La répression sur l’alcool est en place. Le problème, c’est qu’on ne la fait pas respecter. Plus qu’une multiplication des contrôles, la clé est la prévention. La sanction est éphémère, alors que convaincre, c’est définitif. Regardez les auto-écoles: à aucun moment on ne vous fait souffler dans quoi que ce soit! La première cause d’accident et de mortalité des 18-24 ans sur la route, c’est l’alcool au volant. Et on parle de tout aux apprentis conducteurs sauf d’alcool au volant ! Est-ce qu’on n’est pas vraiment dans l’incohérence la plus totale ?  Il faut passer par la réglementation de prévention et d’éducation. Regardez l’éthylotest anti-démarrage. Ça va équiper quoi? 1000 personnes ? Et on veut nous faire croire qu’on va régler les problèmes de sécurité routière de 40 millions de gens en équipant 1000 personnes ? C’est une blague. C’est bien, l’EAD, c’est une solution intelligente, mais insuffisante. » 

Zéro alcool, zéro contrôle

Dans le même temps, un abaissement des taux d’alcoolémie autorisés au volant n’est clairement pas à l’ordre du jour. Interrogé à ce sujet par Caradisiac le 29 mai dernier lors de la présentation du bilan annuel de l’accidentalité en France, le délégué interministériel à la sécurité routière Emmanuel Barbe s’est montré clair: « c’est une question qui se pose de façon récurrente mais on constate que plus de 90% des accidents avec alcoolémie concernent des alcoolémies délictuelles, c’est-à-dire plus de 0,8 g/l. Ce sont des alcoolémies pour lesquels il était impossible pour la personne concernée d’ignorer qu’elle n’avait pas le droit de conduire. Et donc c’est une mesure qui viendrait pénaliser énormément de gens qui boivent un verre de vin en déjeunant, avec un risque qui est très faible. C’est pour ça qu’à ce jour cette mesure n’a pas été décidée. Certains pays l’ont fait, et ils n’ont pas toujours les meilleurs résultats en matière de lutte contre les accidents sous alcoolémie. Voilà les facteurs qui ont pu faire que cette décision n’a pas été prise. »

Un consensus se dégage sur la limitation à 0,5 g/l, alors même que la fréquence des contrôles routiers est en baisse.
Un consensus se dégage sur la limitation à 0,5 g/l, alors même que la fréquence des contrôles routiers est en baisse.

Les pays concernés par le « zéro alcool » sont situés Europe centrale et de l’est, zones où l’alcool au volant (et ailleurs) est un véritable fléau. Une fois n’est pas coutume, même la virulente association 40 millions d’automobilistes trouve un point de convergence avec la sécurité routière : « tous les pays qui ont appliqué le taux zéro sont des pays qui appliquent le zéro contrôle », résume Pierre Chasseray.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même ne trouve elle non plus rien à redire contre les limitations en vigueur en France : « Seuls 34 pays (dont la France, NDLR), représentant 29% de la population mondiale, ont des lois nationales sur l’alcool au volant conformes aux meilleures pratiques. »

Une pratique qui n’empêche pas, rappelons-le, l’alcool d’être le deuxième cause de mortalité routière dans l’hexagone, et les délits liés à l’alcoolémie d’augmenter sensiblement chaque année (+2,2% entre 2015 et 2016, selon le dernier pointage officiel). Tout va bien, donc…

Un consensus se dégage clairement autour des 0,5 g/l, valeur qui ne sera probablement jamais modifiée, à la grande satisfaction des professionnels du secteur. Le problème de l’alcool au volant est avant tout celui de l’alcool en France, comme l’indiquait l’Automobile Club médical de France dans une de ses publications:  « plaisir et drogue à la fois, l'alcool reste un sujet tabou même parfois chez les professionnels de santé. Aborder la seule question des habitudes de consommation, voire des usages à risque ou de la dépendance est vécu comme une immiscion dans la vie privée. »

Signe du chemin qui reste à franchir, cette enquête publiée en décembre 2017 par les associations Prévention routière et Attitude Prévention, qui montrait que 59% des Français concernés par l’alcool et la conduite pour la soirée du réveillon n’avaient pas pensé à organiser des solutions de retour. Puisque les contrôles concernent surtout les autres, à quoi bon mettre en place des mesures d’auto-prévention ?

SPONSORISE

Toute l'actualité

Essais et comparatifs

Commentaires ()

Déposer un commentaire