Il fait penser à un Astérix avec lunettes, Raymond Minez président de la branche Contrôle technique de la quasi centenaire Fédération nationale de l'artisanat automobile. Pas seulement à cause de sa gauloise moustache, mais aussi par son franc-parler et le drôle de menhir qu'il vient de balancer dans la mare.

Selon lui, si le pourcentage de voitures soumises à contre-visite diminue, ce n'est pas parce que le parc automobile français est en meilleur état – son âge moyen vient de dépasser les huit ans - mais tout simplement parce que 500 nouveaux centres ouvrent chaque année. Le rapport ? Comme ces nouvelles entreprises bénéficient d'une exonération d'impôts les premières années, elles peuvent pratiquer des tarifs plus bas et même s'afficher "low cost". Les autres centres ne pouvant aligner leurs prix, ils se défendent comme ils peuvent : qualité du service et de l'accueil, sourire de la secrétaire et Vivaldi sur le répondeur… ou bien complaisance et laxisme qui font vite une "bonne" réputation dans le patelin.

Le menhir a tant fait de vagues que les langues se délient et la pelote avec. Tel patron avoue se montrer coulant avec la trentaine de voitures que lui apporte chaque mois un garagiste en lui faisant comprendre qu'il pourrait aller voir ailleurs. Tel salarié admet expédier l'inspection pour être plus "productif", comme le lui demande son boss. Tel gérant confie laisser passer un défaut pour ne pas perdre deux fois du temps : la première pour expliquer au client pourquoi il faudra réparer et revenir, la deuxième pour effectuer une contre-visite qu'un génial commercial a trouvé rusé de rendre gratuite.

Moralité de cette histoire - et de bien d'autres - la sécurité et le commerce, c'est comme la confiture et la mayonnaise, on peut aimer les deux, mais il ne faut pas mélanger.

J'écris "sécurité", mais je ne devrais pas. Car en termes de sécurité routière, le contrôle technique ne sert à rien et ce n'est pas moi qui le dis. Lors de son instauration en 1992, un communiqué de la Fédération des assureurs l'avait prédit : le CT n'aurait aucun impact sur le nombre et la gravité des accidents. Il n'en eut effectivement aucun et c'était prévisible : une défaillance technique n'intervient –entre autres facteurs – que dans 9 % des accidents et dans 90 % de ces 9 % il s'agit d'un problème de pneu –lisse, sous gonflé ou dépareillé. Le contrôle technique n'y a rien changé. Car c'est malin, depuis qu'il existe, les gendarmes ne s'abaissent plus à examiner nos boudins. Sauf si on insiste vraiment… Il eut même un effet pervers : au lieu de se traîner à la baba cool au volant de Deuches, 4L et 104 percées du plancher et suintantes de la durit, la jeunesse française dut se payer des Super 5, des 205 et des AX capables de taper le 140. Elle en fit mauvais usage : dans la décennie 90 et la suivante, la part des moins de 25 ans dans les accidents de la route augmenta sensiblement.

Alors pourquoi nous enquiquiner tous les deux ans à inspecter nos dessous ? A l'origine, pour répondre à une norme européenne dictée par l'hygiénisme automobile allemand. Dans la logique germanique, une voiture bien entretenue est une voiture sûre et son propriétaire un bon conducteur. Il a même été démontré qu'en Allemagne, le conducteur d'une voiture sale – juste sale, pas en ruine – était plus souvent contrôlé par la Police. Et tant pis si les statistiques et notre cartésianisme prouvent qu'il n'en est rien, que la plus dangereuse de toutes les voitures au kilomètre parcouru est celle de moins de six mois, que le conducteur s'adapte aux défauts de son auto en levant le pied et autres psychologiques billevesées. De toute façon, comme l'expliqua subtilement le gouvernement d'alors, il n'était pas question que la France devienne la poubelle automobile du Nord de l'Europe qui nous envoyait par camions entiers ses vieilleries recalées, nous laissant le soin de finir de les ronger. On a sa fierté. Et un marché automobile à protéger.

Et pour finir, même si le contrôle technique ne produit aucune richesse, les 6 130 centres français pèsent économiquement plus lourd que le rempaillage de tabourets et nourrit plus de travailleurs que deux grosses usines Renault.

Ça fonctionne mal, ça ne sert à rien, ça enquiquine le pékin, mais ça emploie du monde, voici réunies toutes les caractéristiques du machin indispensable.