Le tribunal correctionnel de Paris s'est penché sur les réparations effectuées durant l'été 1998 sur l'Erika dans un chantier naval du Montenegro. Il souhaite vérifier si elles n'avaient pas été faites au rabais au risque de compromettre la solidité du pétrolier. Ces réparations à Bijela sont cruciales parce que, pour l'accusation, l'armateur endetté, à court de fonds, les a ordonnées "a minima", ce qui fragilisera le navire lorsqu'il affrontera la mer démontée avant de se couper en deux au large de la Bretagne en décembre 1999, provoquant une énorme marée noire. A la mi-98, l'Erika, qui va avoir 25 ans en janvier 2000, doit faire des réparations pour passer avec succès son inspection quinquennale lui permettant de continuer de naviguer.

Première étape, une société commanditée effectue 7 842 relevés d'épaisseur de la coque pour voir quelles tôles usées doivent être remplacées. Un collège d'experts commandités par le tribunal de commerce de Dunkerque a mis en doute la rigueur de ces relevés, puisque certains feront état d'une épaisseur supérieure à celle de l'état neuf. Pour eux, ces relevés ont été établis "afin de diminuer de manière très importante le volume et le coût des travaux", souligne le président Jean-Baptiste Parlos. Deuxième reproche: des tôles de 14 mm ont été utilisées là où elles étaient initialement de 16 mm. "C'est une épaisseur acceptable car la réglementation autorise une diminution de 25% par rapport à l'état neuf", se défend le gestionnaire du navire, Antonio Pollara. Au procureur qui sous-entend qu'il y avait là une économie à faire, il répond que cela se compte en dizaines de dollars. Les enquêteurs ont aussi relevé que le devis de réparation prévoyait 223 tonnes de tôles, mais que la facture ne fait état que de 73,5 t. "On prévoit toujours le maximum pour faire baisser le prix unitaire", explique M. Pollara, qui rappelle que le devis initial avait été demandé avant que le navire soit véritablement examiné en cale sèche, "là où on découvre la réalité". Curieux, relève Me Alexandre Varaut, avocat des parties civiles, "c'est à dix tonnes près ce que les experts ont dit qu'il aurait fallu changer après examen de l'épave". Pour l'accusation, l'armateur Giuseppe Savarese a mégoté sur les travaux parce qu'il était à court d'argent, avec des arriérés auprès de ses fournisseurs de quelque 400 000 dollars. "C'est faux, s'insurge-t-il avec véhémence. Tout armateur a des dettes qu'il rembourse à 30, 60 ou 90 jours. Ce n'était pas préoccupant. Mes rapports avec ma banque étaient parfaits. Mes navires n'ont jamais été saisis par un créancier". Pourtant, ses négociations financières à Bijela vont être rudes, au point que le chantier va retenir quelques jours l'Erika avant de le laisser reprendre la mer. Giuseppe Savarese va s'en sortir avec un coup financier, selon l'accusation : la chaudière de l'Erika a été endommagée lors des travaux et il obtient de l'assurance quelque 600 000 dollars de dédommagement. Mais il la fait réparer pour 350 000 dollars et consacre le reste au bouclage des paiements. Est-ce bien honnête, se demande en substance une partie civile? "Si on me vole une voiture, qu'on me la rembourse 15 000 euros et que j'achète un vélomoteur, cela ne regarde pas l'assureur", se défend M. Savarese. De toute façon, "j'aurais pu payer les travaux 4 ou 500 000 dollars de plus", insiste-t-il, en soulignant qu'au pire, la vente de ses navires lui aurait rapporté 4 millions de dollars net. Sans commentaires...

Source : AFP