Votre navigateur ne supporte pas le code JavaScript.
Logo Caradisiac    
Publi info

Quand les radars disjonctent, l'État envoie quand même les PV !

Dans Pratique / Radars

Stéphanie Fontaine

L'affaire est troublante. Ce n'est pas la première fois que les radars automatiques sont pris en faute : des voiturettes, des tracteurs pris à des vitesses impossibles, ça s'est déjà vu. Sauf qu'il ne s'agit là aucunement d'une erreur isolée : la cabine d'Ambérieu-en-Bugey (01) flashe à tort depuis au moins 2011. Et l'État est au courant depuis au moins 2013 ! Malgré tout, les PV continuent d'être dressés et envoyés. Comment est-ce possible ? Quel est le problème avec ce radar fixe ? Est-il le seul concerné ? Autant de questions qui restent pour l'heure sans réponse.

Quand les radars disjonctent, l'État envoie quand même les PV !

Combien de radars dysfonctionnent comme ceux installés dans la cabine d’Ambérieu-en-Bugey, dans l’Ain ? Combien de fois, alors que les appareils de contrôle automatique présentent une anomalie avérée, l’État ferme les yeux, envoie les PV et réclame ainsi des sommes indues ? Impossible d'obtenir une quelconque explication de la part du ministère de l’Intérieur, responsable de l’utilisation des radars…

L’affaire, racontée par L'Express mardi, est pourtant sérieuse : une seule erreur détectée dans le contrôle des radars automatiques, c’est potentiellement des dizaines, voire des milliers d'injustices perpétrées. Et, en l’occurrence, il n’y en a pas eu qu’une seule. La Régie départementale des Transports de l’Ain, dont les cars de ramassages scolaires sont flashés à tort et à travers par la cabine d’Ambérieu, a pu nous retracer la piste d’une soixantaine de PV, dont les premiers remontent à… 2011 !

Des PV envoyés à tort depuis au moins 2011

Cela dure donc depuis cinq ans. Et peut-être plus encore, puisque la cabine était installée depuis près de deux ans déjà, lorsque les chauffeurs ont commencé à se poser des questions. "Je n’ai pas eu le choix et j’ai payé", nous confie l’un d’eux. "Malgré mes arguments, l’OMP [l’officier du ministère public en charge de traiter les contestations, NDLR] ne voulait rien entendre. J’ai donc réglé l’amende de 135 euros, avant qu’elle ne soit majorée à 375 euros".

"Le premier PV, je l’ai payé sans réfléchir", nous explique un autre chauffeur. "C’est quand j’ai reçu le second que j’ai commencé à réagir. La première fois, je crois que je n’ai même pas regardé la vitesse indiquée, mais là, j’ai fait attention et j’ai compris que c’était n’importe quoi. À cet endroit-là, c’est impossible de rouler à une allure pareille. Avec un car rempli d’élèves en plus ! En agglomération ! Non, franchement, c’était juste impossible. J’en ai donc parlé à ma direction et c’est à ce moment-là qu’elle a arrêté de nous dénoncer".

Pour finir, ce chauffeur a dû encore payer. Le tribunal de Belley, la juridiction de son domicile, l’a condamné à 250 euros d’amende (entraînant un retrait d’un point de son permis). Il s’était pourtant bien préparé. "J’ai retrouvé les différentes sociétés qui s’occupent des radars - Spie pour l’entretien, Morpho, le fabricant. ‘Non, ce n’est pas possible, le radar ne peut pas se tromper. De toute façon, on est tenu au secret professionnel’, qu’ils vous répondent tous ! Mon problème, c’est qu’à réception du PV, il était trop tard pour vérifier les vitesses enregistrées par le chronotachygraphe [appareil électronique enregistrant la vitesse et le temps de conduite sur les véhicules de transport routier, NDLR]. Mais ce qui aurait dû jouer en ma faveur, c’est que les gendarmes avaient organisé des essais qui démontraient bien qu’on ne pouvait pas rouler aussi vite. J’ai bien sûr présenté leur rapport au juge… Il n’a rien voulu savoir !"

Abonnez-vous à la newsletter de Caradisiac

Recevez toute l’actualité automobile

L’adresse email, renseignée dans ce formulaire, est traitée par GROUPE LA CENTRALE en qualité de responsable de traitement.

Cette donnée est utilisée pour vous adresser des informations sur nos offres, actualités et évènements (newsletters, alertes, invitations et autres publications).

Si vous l’avez accepté, cette donnée sera transmise à nos partenaires, en tant que responsables de traitement, pour vous permettre de recevoir leur communication par voie électronique.

Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement de ces données, d’un droit de limitation du traitement, d’un droit d’opposition, du droit à la portabilité de vos données et du droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle (en France, la CNIL). Vous pouvez également retirer à tout moment votre consentement au traitement de vos données. Pour en savoir plus sur le traitement de vos données : www.caradisiac.com/general/confidentialite/

Un bus à l’arrêt… le radar le voit à 74 km/h !

Olivier Wehrlin, le directeur de la régie des Transports de l’Ain, fait ainsi partie de ces patrons qui n’hésitent pas à dénoncer leurs chauffeurs quand l’entreprise reçoit un PV radar automatique : "Quand on fait du transport de personnes, en particulier d’enfants, comme nous, on n’a guère le choix. On ne peut pas couvrir des infractions routières, ce serait comme les encourager". Les contraventions repartent donc au Centre de Rennes, qui les retourne ensuite aux conducteurs désignés. Et souvent "que ce soit eux ou nous d’ailleurs, quand on prend connaissance des PV, c’est effectivement trop tard pour vérifier les vitesses relevées par les chronotachygraphes installés sur nos cars. Les données sont déjà écrasées."

Certaines fois, il a tout de même été possible de vérifier les vitesses. Février 2012, le radar enregistre une vitesse de 74 km/h au lieu des 50 autorisés, le chronotachygraphe indique lui… 41 ! Septembre 2012, c’est 71 km/h contre 29. Février 2014, 56 contre 37. Pis, février 2013, le radar relève 74 km/h, le chronotachygraphe… 0 ! Une fois convaincu de l’innocence de ses chauffeurs, Olivier Wehrlin a donc cessé de les désigner systématiquement. Et depuis, c’est lui qui se charge de contester les PV directement. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, la cabine d’Ambérieu n’a toujours pas été débranchée, et les PV continuent d’affluer ! Le dernier date du 25 mars, pour une vitesse enregistrée de 80 km/h.

Une expertise ordonnée par le tribunal de Bourg-en-Bresse en 2013 avait pourtant conclu qu’il était "très difficile d’atteindre les 60 km/h" à cet endroit-là avec ce type de véhicules. Du coup, "les vitesses constatées" par le radar "et notamment les plus élevées paraissent impossibles à atteindre". Les essais s’étaient en outre déroulés alors que la circulation normale avait été bloquée… Qu’est-ce qui cloche donc avec cette cabine ? Incroyable, mais vrai : on ne le sait toujours pas ! L’expertise de 2013 a certes porté sur la capacité des cars à rouler aussi vite, mais pas sur la cabine en soi. Pourquoi le ministère de l’Intérieur, qui est bel et bien au courant de toute l’affaire, ne bouge-t-il pas ? Mystère…

Un dysfonctionnement des radars automatiques fixes généralisé ?

Potentiellement, ce n’est pourtant pas qu’à Ambérieu que cela dysfonctionne. Le modèle de radar, installé dans ce genre de cabines, présente peut-être plus globalement un problème. Il s’agit du Mesta 210 C du fabricant Morpho (filiale de Safran), un modèle particulièrement répandu sur les quelque 2 000 cabines fixes de ce type installées sur le bord de nos routes. Ce qu’il faut bien comprendre en effet, c’est qu’il ne s’agit pas d’un seul radar défectueux, mais d’au moins quatre différents qui ont dysfonctionné ces cinq dernières années, à cet emplacement.

Explications : dans les cabines posées sur le bord des routes, les radars qui sont installés à l’intérieur changent régulièrement. Quand il est en panne ou qu'il doit simplement subir une vérification réglementaire, il est retiré et remplacé par un autre, valide. Et ainsi de suite… Dans la cabine d’Ambérieu, se sont donc succédés au moins quatre appareils différents, ayant bel et bien généré des PV tout à fait infondés. Or, ces quatre Mesta 210 C ont aussi, sans aucun doute, équipé d’autres cabines, ailleurs. À quel endroit précis ? Impossible à dire.

Combien de conducteurs se sont-ils ainsi retrouvés flashés à tort ? À Ambérieu, à part les chauffeurs de cars, il est rare apparemment d’entendre les habitants se plaindre à ce sujet. De son côté, le directeur de la régie des Transports de l’Ain en a plus qu’assez. À chaque PV reçu, c’est 135 euros de consignation qu’Olivier Wehrlin doit débourser pour s’assurer que sa contestation soit valable et recevable. Même si aujourd’hui, il peut enfin espérer être remboursé, "cela reste usant et ça génère surtout une grosse perte de temps, quand bien même je suis aidé de mon avocat, Gérard Lora Tonet".

Des droits de la défense sans cesse bafoués

"Toute cette affaire est très révélatrice des droits de la défense sans cesse bafoués dans ce système automatisé", s’emporte Caroline Tichit, avocate spécialisée dans la défense des conducteurs. "Un PV fait foi jusqu’à preuve du contraire dans notre droit. Mais là, vous voyez bien que cette preuve contraire, elle est parfois impossible à rapporter. Comment voulez-vous prouver par témoins, par exemple, que vous avez été flashés à tort, quand vous n’êtes même pas au courant que vous l’avez été. C’est à réception de votre avis de contravention, plusieurs jours après que vous l’apprenez… Et même quand vous êtes en mesure de produire des écrits, comme ici avec les conclusions de l’expertise judiciaire, on est capable de ne pas vous lâcher !"

L’histoire est en effet d’autant plus troublante que, malgré les résultats de cette expertise en 2013, l’OMP, fonctionnaire du ministère de l’Intérieur en charge des poursuites devant le tribunal de Bourg-en-Bresse, n’a pas accepté qu’Olivier Wehrlin puisse être relaxé. Il a donc introduit un pourvoi en cassation. Le 8 mars dernier, la Cour de Cassation l’a rejeté, confirmant du coup sa relaxe… Il n’empêche : le pourvoi de l’OMP n’en reste pas moins incompréhensible.

Dans un tel contexte, quand on apprend qu’à Mauguio, à côté de Montpellier, plus de 170 personnes se sont réunies en collectif pour dénoncer le dysfonctionnement cette fois d’un radar autonome, dit aussi "radar de chantier", on ne peut que s’interroger. D’autant plus que la machine a œuvré sur la Départementale 24 à peine deux mois, entre le 12 février et le 14 avril derniers. Et là encore, aucune véritable expertise portant sur l’appareil n’a été ordonnée. Il y a bien eu la visite des techniciens de l’entreprise Cégelec (filiale du groupe Vinci) qui a passé contrat avec l’État pour fournir ce type d’appareils, mais selon nos informations, les investigations se sont arrêtées là. Alors que se passe-t-il là aussi ? Nul ne le sait. Le collectif a écrit au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Il attend sa réponse…

Le contrôle automatisé et le radar d'Ambérieu en chiffres

L'an dernier, les radars automatiques ont "dressé" plus de 13 millions de PV. Des excès de vitesse à plus de 95 %.

Type de radars Nombre de flashs Nombre de PV Taux de transformation
Vitesse 19 083 280 12 697 083 66,5 %
Radars Fixes 10 936 197 7 305 116 66,8 %
Radars Embarqués 2 956 349 2 417 910 81,8 %
Radars Mobiles 1 527 453 1 140 268 74,7 %
Radars Discriminants 3 013 777 1 376 832 45,7 %
Radars Vitesse Moyenne 444 204 372 805 83,9 %
Radars Autonomes 205 300 84 152 41,0 %
Feu 1 160 923 608 844 52,4 %
Radars Feu rouge 1 136 336 590 861 52,0 %
Radars Passage à niveau 24 587 17 983 73,1 %
Total tous types de radars 20 244 203 13 305 927 65,7 %

Source : Selon les données transmises par le ministère de l'Intérieur pour l'année 2015.

 

Le radar fixe d'Ambérieu-en-Bugey (01) ne fait pas partie des "serial flasheurs" du contrôle automatisé. Mais est-il bien le seul à disjoncter ainsi ? Comme l'État a refusé cette année de communiquer les statistiques détaillées du système - seuls les chiffres globaux (voir ci-dessus) ont été divulgués -, les données précises concernant cet appareil remontent à 2014. Cette année-là, le radar d'Ambérieu avait enregistré 841 déclenchements, quand la cabine de Maine-de-Boixe (16) sur la RN10 - la championne toutes catégories - en avait comptabilisé 169 895.

Radar d'Ambérieu Nombre de flashs Nombre de PV estimés
2014 841 562
2013 1 211 690
2012 812 408

Source : selon les statistiques détaillées transmises par le ministère de l'Intérieur.

 

SPONSORISE

Toute l'actualité

Essais et comparatifs

Commentaires ()

Déposer un commentaire