Les intervenants de la première table-ronde intitulée "Automobile et Environnement : état des lieux et prospective" : le Responsable Environnement de Volkswagen Constatin Voluntaru ; le président du Syndicat National des Producteurs d’Alcool Agricole Alain d'Anselme ; le président de Alphéa Hydrogène Pierre Beuzit ; le directeur des relations publiques de Ford Stéphane Césaréo ; le Directeur adjoint des Programmes, Responsable du Mode de vie durable en charge du Climat et des Transports de WWF Jean-Stéphane Devisse ; la rédactrice en chef d'Euractiv' Clémentine Forissier.

Jean-Stéphane Devisse : "On est au centre d'une triangulation qui ne va pas être simple à régler: la protection de l'environnement ; les technologies environnementales qui seront utilisées à l'avenir vont augmenter le prix du véhicule ; la question de la mobilité. On a bâti un modèle sociétal qui utilise beaucoup l'automobile pour le meilleur et pour le pire : on a tous envie d'avoir une belle bagnole, de se déplacer librement, mais on arrive à des points de saturation au niveau des émissions de gaz à effet de serre engendrées par le secteur des transports et au niveau de la gestion de l'espace intra-urbain ou extra-urbain."

Stéphane Césaréo : "On observe depuis plusieurs années maintenant une réelle prise de conscience de la part des citoyens : la dimension environnementale n'est pas seulement liée à l'automobile mais aussi à l'alimentation, aux loisirs, aux biens de consommation. La principale difficulté du secteur automobile est qu'il touche directement au pouvoir d'achat : les technologies plus chères sont répercutées en effet sur le prix du véhicule. La problématique du pouvoir d'achat est cruciale dans le développement de la voiture propre : c'est un point que les constructeurs devront résoudre sinon il n'y aura pas de progrès en la matière. D'un côté, c'est une difficulté, mais de l'autre c'est aussi une autre manière de repenser l'automobile."

Pierre Beuzit : "Ce n'est pas un scoop : l'automobile et l'environnement sont en effet des questions au coeur des préoccupations des citoyens en France. J'ai constaté que les gens qui se sont rendus au Mondial de l'automobile de Paris 2008 n'étaient pas vraiment satisfaits des véhicules qu'ils ont vu : ils estiment qu'ils ne représentent pas les vraies réponses. Je suis d'ailleurs de leur avis. Actuellement, on peut voir que beaucoup de solutions sont évoquées pour réaliser des progrès dans le secteur de l'automobile mais le problème est que l'automobile évolue très lentement. Par exemple, il a fallu 32 ans à Toyota pour sortir son premier véhicule hybride."

Alain d'Anselme : "Ce qui est important, c'est la notion d'échelle de temps. Il est très long parfois de développer des technologies environnementales : la commercialisation de certains prototypes est d'ailleurs reculée..."

Constatin Voluntaru : "Actuellement, des Français ne peuvent pas abandonner leur voiture pour se rendre à leur travail, des zones étant mal desservies par les transports en commun. Les constructeurs ne doivent pas parler une langue de bois et promettre monts et merveilles en matière de véhicules écolos. Ils doivent reconnaître qu'ils n'arriveront pas à révolutionner l'automobile dans un avenir proche malgré des petits progrès réalisés à droite à gauche. Et il faut reconnaître aussi que tant qu'il n'y aura pas une collaboration étroite entre les politiques, l'industrie auto, l'univers économique et tant qu'il n'y aura pas une demande forte des clients pour certains modèles, les technologies intéressantes n'arriveront pas à s'imposer. Cela a été le cas de la fonction Stop/Start proposée il y a 20 ans par Volkswagen et de la Lupo (petite citadine économique et peu polluante) qui n'ont pas eu la cote et qui ont été abandonnés. Le consommateur français a commencé à se réveiller il y a deux ans suite au Grenelle de l'Environnement. Le gouvernement français ne doit pas s'occuper de tout actuellement mais une petite impulsion de sa part de temps en temps fait du bien et permet de mobiliser les divers acteurs.

Il ne faut pas parler que du CO2 émis par les voitures. C'est de la poudre aux yeux. Il est important de prendre en compte le produit automobile dans sa globalité en terme de rejets polluants et de déchets : sa conception, son moteur, son cycle de vie et son traitement en fin de vie. C'est pourquoi des constructeurs (dont Volkswagen) ont voulu encourager la création de filières de valorisation et de recyclage des déchets automobiles."

Clémentine Forissier : "A propos du produit automobile, je vais faire un petit état des lieux de la législation en France. Voici un règlement très important visant le secteur : il s'agit du règlement REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of CHemicals) rendant obligatoire l'enregistrement et l'évaluation d'ici 2018 de 30 000 substances chimiques fabriquées ou importées dans l'Union européenne dans des volumes dépassant une tonne par an. L'avancée la plus significative qu’apporte REACH réside dans l'inversion de la charge de la preuve. Depuis le 1er juin 2007, date de l'entrée en vigueur du règlement REACH sur les substances chimiques, ce sont les industriels et non plus les autorités publiques qui doivent démontrer que leurs produits ne sont pas néfastes pour la santé ou l'environnement. D'après la Commission européenne, le coût total de REACH pour l’industrie et les utilisateurs en aval serait compris entre 2.8 et 5.2 milliards d’euros.

Dans le secteur automobile, tous les maillons de la chaîne de production sont concernés par REACH. Un constructeur doit connaître les substances utilisées par le fournisseur : toute une série d'exigences doit être respectée. L'information est nécessaire. Du 1er juin 2007 au 1er décembre 2008, il y a eu une phase de pré-enregistrement pour les entreprises. De 2008 à 2018, il y a un délai d’enregistrement accordé aux entreprises ayant effectué un pré-enregistrement avant 2008. Les demandes d’autorisation sont effectuées auprès d’une seule et même agence au niveau européen, l’Agence européenne des produits chimiques. REACH a un pouvoir contraignant : si une substance concernée par le règlement n’a pas été soumise à des essais puis enregistrée, elle ne pourra pas être utilisée. Si elle est utilisée dans la fabrication d’un produit de consommation, celui-ci ne pourra plus être commercialisé.

En France, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET) détient le rôle d’évaluation des risques sanitaires liés aux produits chimiques et de soutien aux autorités françaises pour la mise en œuvre de REACH. Au sein de ce dispositif, le Bureau d'évaluation des risques des produits et agents chimiques (BERPC) représente la structure d’assistance technique aux entreprises sur REACH. En parallèle, un service national d'assistance technique ("Helpdesk") a été créé afin de fournir aux industriels des informations sur leurs obligations au titre du règlement. Le règlement vise à supprimer progressivement les substances chimiques les plus toxiques dans l'Union européenne : ce texte a un impact particulièrement important pour l'industrie française. Des échanges d'informations devront avoir lieu entre les différents acteurs. Il y a donc énormément de questions qui se posent actuellement et de points qui doivent être encore réglés : quelles vont être les limites en terme de droit de la concurrence, comment le partage des coûts pourra être organisé..."

Alain d'Anselme : "Pour les véhicules fonctionnant au biocarburant, nous avons en effet effectué le pré-enregistrement. Nous avons constitué des consortiums, c'est-à-dire des groupes d'acteurs économiques qui utilisent ou mettent sur le marché les véhicules resencés de manière à pouvoir apporter des éléments de réponses indispensables si on veut continuer à commercialiser ces produits."

Stéphane Césaréo : "Il faut détailler deux choses : la règlementation et la législation. La règlementation en matière d'environnement est utile : elle stimule la recherche, la concurrence et elle est une bonne manière de contraindre les constructeurs à réduire les émissions polluantes de leurs véhicules. Les constructeurs ont fait des progrès significatifs depuis les premières normes anti-pollution sur les motorisations essence et Diesel. La législation peut intervenir dans un autre domaine : on le voit en France avec le système de bonus malus écologique qui joue sur le CO2 et privilégie les petites voitures Diesel.

La seule contrainte importante à prendre en considération pour l'automobile est la suivante : cette industrie est à cycle long. Il faut jusqu'à 5 ans pour concevoir un véhicule qui va vivre jusqu'à 7 ans. Il faut plusieurs années pour construire un moteur qui va vivre jusqu'à 15 ans. C'est pourquoi l'évolution ne peut pas être soudaine et totale : elle est forcément lente, même si on a une prise de conscience et même si la règlementation nous impose des contraintes."

Jean-Stéphane Devisse : "S'il y a une règlementation complexe, c'est qu'il y a un problème à la base. La santé humaine est atteinte. On est dans un contexte de crise climatique : le réchauffement climatique est lié aux émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. Celles qui sont dues à l'automobile : l'extraction du pétrole ; les usagers qui les produisent quand ils se déplacent au volant de leur véhicule ; l'industrie qui les génère à cause des matériaux de construction et de leur transport pour être assemblés aux quatre coins de la planète ; la déconstruction de ces matériaux à la fin de la vie du véhicule. On est aussi dans un contexte de crise économique et financière. La demande en carburant a diminué significativement et donc le prix du pétrole a chuté aussi. Mais lorsque la situation va s'améliorer d'ici trois ans, la consommation va augmenter de nouveau et les prix des carburants vont repartir à la hausse.

J'ai moi-même une voiture. Elle me permet de me déplacer. Il faut distinguer les déplacements subis et les déplacements choisis : je suis obligé de me rendre au travail avec ce moyen de transport, n'ayant pas d'autres solutions à portée de main, ou se balader, faire des courses là où on le souhaite. Il ne faut donc pas stigmatiser les citoyens en leur disant : c'est mal de se déplacer en voiture car elle pollue. La réflexion que l'on doit avoir en amont : pourquoi a-t-on besoin de se déplacer et donc comment peut-on faire pour se déplacer le plus intelligemment possible. Cela touche à des choses fondamentales : l'urbanisme (la façon dont on a construit nos métropoles), la société et le mode de vie (le changer en adoptant le travail à domicile par exemple pour économiser de l'énergie, en pratiquant le co-voiturage ou l'auto-partage pour retirer des voitures particulières de la circulation).

Les constructeurs ne sont pas les seuls responsables : il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Je reconnais les progrès des constructeurs pour réduire les émissions polluantes des moteurs. Mais ce qui me gêne, ce sont les publicitaires mensongères de certains constructeurs sur leurs véhicules et leurs performances énergétiques."

Stéphane Césaréo : "Les constructeurs font des efforts pour baisser davantage l'empreinte environnementale de leurs nouveaux véhicules par rapport aux modèles précédents. Cela concerne l'utilisation des matériaux, les moteurs, la consommation de carburant et la réduction du poids des véhicules tout en renforçant les équipements sécuritaires. Mais il faut mettre en perspective le budget auto des ménages. Les innovations technologiques coûtent chères : c'est pourquoi les gros véhicules haut de gamme en bénéficient les premiers. Au fur-et-à-mesure qu'elles se démocratisent et sont produites en plus grand nombre, elles équipent petit-à-petit les voitures qui sont à la portée de tout le monde. Les progrès s'effectuent ainsi."

Pierre Beuzit : "Le problème des règlementations, c'est qu'on ne traite que d'un problème à la fois. L'Europe s'est penché sur la pollution des véhicules car elle a un impact sur la santé des gens, sans se préoccuper de l'aspect sécuritaire de ces mêmes véhicules. Après, la France met en place le système de bonus malus écologique qui vise uniquement le CO2 : on se préoccupe pas des autres gaz polluants. On se retrouve avec une juxtaposition d'applications : c'est désordonné. Les discussions entre les constructeurs et les pouvoirs publics ne sont pas coordonnées. Les équipements de sécurité et de confort mis en place sur les nouveaux véhicules, à la demande des clients, ont fait à nouveau augmenter leur poids parallèlement au travail effectué sur la baisse de leur poids... Donc au final on ne parvient à obtenir un allègement que d'une cinquantaine de kilos... Il faut une approche globale et intelligente sur l'automobile pour pouvoir améliorer le rendement énergétique des voitures : la sécurité, l'environnement, les innovations...

Le pôle de compétitivité "Véhicule du Futur" étudie des solutions environnementales pour les véhicules et mobilités du futur conciliant le transport individuel et collectif : il remet ainsi en cause le mode de production actuel. Les grands constructeurs prendront ensuite le relais..."

Colloque : Automobile et Environnement, un mariage impossible?

(de gauche à droite : Constatin Voluntaru, Alain d'Anselme, Pierre Beuzit, Stéphane Césaréo, Jean-Stéphane Devisse, Clémentine Forissier)