C'est qu'il ne s'agit pas d'une usine de production, mais de reconditionnement où un gros mandataire (Aramis Auto.com) rénove ses voitures d'occasion. Le principe n'est pas nouveau, depuis des lustres les garagistes retapent et révisent les voitures qu'ils reprennent et revendent. Mais là c'est à l'échelle industrielle, avec la productivité que cela suppose. Inspectées sous toutes les coutures, décrassées, débosselées, repeintes en partie ou totalement, révisées de frais, ces voitures sont ensuite revendues avec une garantie d'un an minimum, garantie qui comprend également pièces d'usure et entretien.

 

Cela m'a rappelé des souvenirs. Au tout début des années 90, en reportage en Russie, à Saint-Pétersbourg – qui s'appelait alors Leningrad – j'avais découvert une usine du même genre, mais en plus radical et à une tout autre échelle. Dans un vacarme et une crasse indescriptibles mais avec une organisation parfaitement fordienne, des centaines d'ouvriers y remettaient à neuf des Lada et uniquement des Lada, modèle 1500. Une autre paire de manche qu'à Donzère car il s'agissait de voitures usées jusqu'à la corde, de quasi épaves acheminées par camion.

L'opération commençait par une mise à nu de la coque dont les parties mangées par la rouille étaient découpées à la meuleuse pour y souder de la tôle neuve. Pendant ce temps, les moteurs, la boîte, la direction, les trains et les freins partaient dans un atelier de reconditionnement pour être entièrement refaits façon échange standard. Des sièges ne subsistaient que l'ossature regarnie ensuite d'une étrange paille brune puis emballée de skaï neuf, les pare-chocs étaient rechromés ou remplacés par des boucliers en plastique, le faisceau électrique entièrement changé, comme tout le reste, des paraboles de phares aux ceintures de sécurité en passant par le ciel de toit, les moquettes… A la sortie, pas facile de distinguer ces Lada ressuscitées de Lada neuves, hormis par la peinture, encore plus grumeleuse que d'origine…

Ces 1500 étaient d'ailleurs vendues à un prix proche de celui des neuves, mais avec l'immense avantage pour l'acheteur de ne pas devoir patienter des mois ou des années sur une liste d'attente ni d'être inscrit au parti encore communiste. A Leningrad, on disait de ces voitures qu'elles étaient bien plus fiables que celles de Togliatti, l'usine "mère".

Cette usine, c'était la réponse du tout nouveau secteur privé à la pénurie consubstantielle au système soviétique finissant.

Je doute qu'elle soit encore en activité mais son principe devrait aujourd'hui nous interpeller.

En France, à la même époque, étaient inventées les Balladurettes qui furent suivies des Jupettes, des Fillonnettes et autres primes à la casse consistant encore aujourd'hui à payer des citoyens pour qu'ils mettent au broyeur des voitures en bon état de marche (contrôle technique à l'appui) pour, aux frais du contribuable, leur faire acheter des voitures neuves dont autrement ils n'eussent pas voulu.

La première vague fut un grand massacre de 2 CV, dont la plupart vaudraient aujourd'hui de 6 000 à 8 000 euros. En fait, non, car si une deuche est désormais hors de prix, c'est grâce ou à cause des grands pilonnages des années 90 qui en firent un véhicule rare.

Lors de la dernière vague, un concessionnaire m'a confié avoir vu partir à la casse des Citroën C5, des Peugeot 406, Renault Mégane et autres honorables familiales encore pimpantes n'affichant guère plus de 100 000 km et encore capables d'en effectuer le double ou le triple. Les imbéciles qui s'en débarrassèrent ont pensé faire une excellente affaire.

Le plus étrange est que cette grande destruction – "de valeur" disent les économistes – fut décidée au nom de l'économie avant de se parer d'écologie. Rappelons juste que la fabrication d'une voiture occasionne l'émission de huit à douze de tonnes de CO2 et qu'il faut, pour l'éponger avec une voiture consommant 1 litre de moins aux cent kilomètres que celle qu'elle remplace, parcourir dans les 300 000 km.

En ce sens, les "youngtimers", ces jeunes farfelus qui s'entêtent à conduire des BX, Alfa 155 et autres vieilles BM Série 3, sont de parfaits écologistes.

Il était donc urgent que Madame Hidalgo leur ferme les portes de Paris.