"Un parcours du combattant"

Un premier contrat entre Bertone et Lancia est pourtant signé en février 1971. Un accord limité qui ne prévoit pour l'instant que la réalisation d'un prototype. La métamorphose de la belle en bête va se révéler une longue et rude entreprise. Après avoir revu sa copie, Gandini, présente au salon de Turin 1971 une nouvelle version. Si cette Stratos se veut nettement plus civilisée, elle n'en conserve pas moins une silhouette d'une étonnante pureté. Moins basse avec un habitacle qui a "refait surface", mais toujours aussi élancée avec son pare-brise d'avion de chasse et aussi compacte, elle dégage une agressivité à peine retenue.

Pour des raisons diplomatiques-toujours dans l'attente du feu vert définitif de Fiat-le département course de Lancia n'a pas débuté "officiellement" le développement du prototype. Pourtant, Fiorio, avec la discrète complicité de Gobatto, ne s'est accordé aucun répit. Autour de Gianni Tonti, l'ingénieur de la Squadra Lancia et de Claudio Maglioli, le pilote d'essais, il a construit une solide équipe de consultants avec notamment Giampaolo Dallara et Michael Parkes. Le premier qui vient de mettre un terme à sa collaboration avec De Tomaso (Pantera et programme F1) est chargé plus particulièrement de la partie châssis et suspensions. Dallara qui a réalisé tout l'aspect technique de la Lamborghini Miura n'est pas dépaysé: moteur central transversal et... retrouvailles avec Bertone et Gandini. Ainsi, outre son implantation mécanique et son châssis constitué d'une coque centrale en acier, la Stratos va présenter de nombreuses analogies avec la Miura. Sur un plan extérieur, on retrouve le petit store vénitien au-dessus du moteur, une ouverture "grand angle" des capots avant et arrière ou encore ses phares escamotables incrustés dans les ailes. Le second, Mike Parkes, ingénieur mais aussi ancien pilote de formule 1 de la Scuderia Ferrari, va s'occuper de la mise au point et du développement de la voiture en étroite liaison avec les pilotes Lancia. Ce sont d'ailleurs ces derniers-Sandro Munari, Sergio Barbasio et Amilcare Ballestrieri- qui fascinés par l'extraordinaire potentiel de la voiture réussiront à communiquer leur enthousiasme aux dirigeants de Fiat.

En donnant son accord au programme, le géant de Turin fait d'ailleurs preuve d'une rare audace. L'homologation de la Stratos en Gr.4 (Grand tourisme Spécial) nécessite, en effet, la production de 400 exemplaires minimum en 12 mois et donc un effort financier considérable. Si la chose est devenue banale aujourd'hui, elle reste rarissime à l'époque. Fiorio a gagné, mais Fiat veut rester maître du jeu quant au choix de la motorisation. Dans l'esprit de ses concepteurs, une seule mécanique est à la hauteur de ses ambitions: le V6 Dino-Ferrari de la sublime 246 GT. Rien ne s'y oppose d'autant que Ferrari a rejoint l'empire Fiat en 1969. Ugo Gobatto, qui fut à l'époque l'homme de Fiat à Maranello a gardé de solides contacts et a déjà obtenu un accord de principe. On est tellement sûr d'aboutir que tout le monde a travaillé dans ce sens chez Bertone. Une planche technique de Gandini datant de la fin du premier semestre 1971 y montre clairement le V6 Ferrari installé en position centrale. Pendant ce temps, Fiat multiplie les hésitations et met en avant tantôt un quatre cylindres deux litres-16 soupapes dérivé du 1800 de la Fiat 124, un deux litres Flavia dopé par un turbo, le V6 de la grosse berline 130 au point que chez Lancia, on en vient même à construire, à contre coeur, une version à moteur 1800. La menace suprême d'aller chercher un V6 chez Maserati-celui de la Merak-met enfin un terme à ces joutes toutes latines.

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