Guy Ligier, c’est d’abord une "tronche" qui n’aurait pas dépareillé dans un film noir. Il n’est pas pour autant un mauvais garçon, même s’il a alterné les bons et les mauvais coups tout au long de sa carrière.

Sa vie débute mal, il est orphelin à 7 ans. Son certificat d’études en poche à 14 ans, il entre dans la vie active comme apprenti boucher. Ensuite, c’est le sport qui lui montre la voie : en aviron. Il est champion de France en 1947, puis c’est le rugby qu’il pratique avec "hargne" en équipe de France B et Militaire avant qu’une déchirure musculaire et quelques fractures stoppent sa progression. Il se lance dans la compétition moto 500 cm 3, où il est champion de France "Inter" en 1959 et 1960. Entre les courses, il loue une pelleteuse et creuse des tranchées. Avec l’argent remporté par son premier titre moto, Guy s’offre sa propre machine et se met à son compte. Il vient de faire la connaissance du maire de Vichy, Pierre Coulon, qui va l’aider dans ses affaires. S’il se montre bon camarade, malheur à celui qui le contrarie, la colère l’emportera. Heureusement, il se contente pour se calmer de détruire avec ses poings tous les objets se trouvant à sa portée. Mais il sait aussi se faire charmeur. Quand il glisse la main sur une épaule en disant "Tu sais mon copain", pas facile de lui résister...

Les premières années de sport auto

L’entrepreneur ne compte pas que sur l’amitié pour réussir, c’est un bosseur travaillant 8 heures par jour. C’est l’expansion de son entreprise (jusqu’à 1 200 ouvriers et 500 engins de chantier) autant que les casses répétées de son Elva de Formule Junior qui le contraignent à ajourner sa première saison de sport auto en 1961. Qu’importe, il revient en 1964 et participe Mans au volant d’une Porsche 904. Il se lie d’amitié avec Jo Schlesser, qui va le faire entrer dans l’écurie Ford France en 1965. Devenus équipiers, ils font de l’endurance avec une Ford GT40 puis une MKII 7 litres et de la F2 avec des Brabham. Parallèlement, Guy récupère un budget de BP (fournisseur de la société de travaux publics) lui permettant de débuter en F1 en 1966. Sacré champion de France de Sport-protos cette année-là, ses débuts en F1 sont laborieux et sa Cooper-Maserati capricieuse l’expédie dans le décor aux essais du GP d’Allemagne. Sans l’intervention de Schlesser, qui le rapatrie d’urgence en France dans un bon hôpital (où il avait séjourné auparavant… J. Guy aurait dû subir l’amputation d’une jambe ! Guéri, il va prendre une éclatante revanche en accrochant la 6e place du GP d’Allemagne 1967 sur sa Brabham-Repco, puis triomphe avec Jo aux 12 Heures de Reims.

Ford France stoppant ses activités, les deux amis fondent avec José Behra (le frère de Jean) l’écurie intersport, alignant en 1968 des McLaren en Formule 2. Un mauvais choix, les voitures cassant souvent. Au cours de la saison, Jo, lassé de courir après les "bons volants", lance l’idée. "Et si on faisait nos propres voitures ?" La question reste en suspens. Schlesser se tuant au GP de France à Rouen au volant d’une Honda officielle. C’était sa première course F1… En apprenant la nouvelle par la radio, Guy décide de se lancer seul dans la construction automobile. En mémoire de Jo, les Ligier porteront la dénomination JS.

Le coup de main de Belloise

Laissant sa société de travaux publics aux mains d’un associé, il essuie les plâtres avec sa première réalisation automobile, la IS1. C’est un modèle bâtard : trop sportif pour les clients et trop sage pour jouer la "gagne". De plus, Guy s’en apercevra après, il ne peut pas la fabriquer en série. C’est avec la IS2, une GT élégante, qu’il devient véritablement constructeur. Elle est présentée au Salon de Paris 1970, puis dans sa livrée définitive avec un V6 Maserati (propriété de Citroën à l’époque) au Salon de Paris 1971. La même année, Ligier construit une barquette IS3 à moteur V8 Cosworth de F1. Avec elle, il gagne les Coupes de Printemps à Montlhéry et finit second des 4 Heures du Mans. Aux 24 Heures du Mans, Patrick Depailler et Guy Ligier se hissent un moment en 5e position avant de rétrograder suite à de nombreux problèmes mécaniques. Soutenue par le public, la petite équipe parvient à terminer l’épreuve mais non classée. En 1972 et 1973, la IS2 est engagée en compétition sans succès. Mais le rachat des Chevrons par Peugeot, suivi de la vente de Maserati à De Tomaso, sonne le glas de la IS2. Sans moteur, Ligier est au plus mal, d’autant que l’entreprise de travaux publics vient de déposer son bilan. Néanmoins, il s’acharne et la IS2 à moteur Maserati remporte la victoire au Tour Auto (Larrousse/Nicolas) 1974. Cette année-là, coup de théâtre : Matra arrête la compétition ! Son commanditaire, la S.E.I.T.A., cherche une autre écurie pour exhiber les couleurs Gitanes et par l’entregent de Jean-Pierre Beltoise, le budget échoue chez Ligier. Tel le Phénix renaissant de ses cendres, celui-ci annonce la création d’une F1 pour la saison 1976 ! En attendant, l’équipe se fait la main en endurance avec des IS2 à moteur Cosworth, avec un certain bonheur (une 2 e place aux 24 Heures du Mans 1975).

La future IS5 de F1 n’est encore qu’un projet, et Guy trouve un accord avec Jean-Luc Lagardère qui lui fournira des V12 Matra et détache quelques hommes de son service compétition dont le précieux Gérard Ducarouge. Le 29 octobre 1975, la IS5 est dévoilée. Elle a hérité naturellement de tout le savoir-faire des hommes de Matra et surprend avec son immense prise d’air qui coiffe le V12. Reste à savoir qui va la piloter.

La désignation du pilote va donner lieu à une mascarade qui ternit la belle image de la F1 Française Jean-Pierre Beltoise, en manque de compétition, va devoir affronter le jeune Jacques Laffite, champion d’Europe de F2. L’affrontement au Ricard donne l’avantage à ce dernier, et Beltoise est remercié d’avoir apporté le budget de Gitanes ! Malgré l’inexpérience de l’équipe, la IS5 de Laffite (bien aidé dans les réglages par Ducarouge) fait une bonne première saison. L’année suivante malgré des problèmes de fiabilité sur le V12, Laffite et sa IS7 remportent le GP en Suède (grâce notamment à des pneus Goodyear miraculeux). Une victoire hautement symbolique. La première 100 % française (voiture/moteur/pilote) depuis 1950 !

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