Plongeons-nous dans le passé pour y découvrir les écarts de conduite des constructeurs et des fournisseurs de l'automobile. Des industriels qui, un jour ou l'autre, se sont retrouvés mis en difficulté par des clients mécontents, des organismes officiels. Condamnés à mettre la clé sous la porte ou à payer de lourdes amendes.

Avant les années soixante, les constructeurs automobiles étaient tout puissants. Pas de vraie volonté de la part des pouvoirs publics de se pencher sur les problèmes de sécurité, pas d'organisme de consommateurs pour parler de dangerosité de certaines automobiles ou de pièces automobiles... Mais cela va changer !

Aux États-Unis, Ralph Nader, un fervent défenseur du droit des consommateurs publie un livre ''Unsafe at any speed'' que l'on traduit littéralement par "Insécurité à toute vitesse", mais dont l'édition française de ce bouquin affichera un titre bien plus explicite : "Ces voitures qui tuent !"

Ralph Nader n'a pas froid aux yeux. Cet Américain d'origine libanaise, explique que les industriels de l'automobile font passer au second plan la sécurité de leurs voitures. De l'écrit il va passer aux actes et contraint General Motors à retirer de la vente, la Chevrolet Corvair qu'il juge dangereuse. Il gagnera même un procès contre la firme américaine en 1971. Celle-ci s'étant permis de le faire surveiller pendant de longs mois. À partir de ce procès qui va avoir un retentissement mondial, la vie des industriels de l'automobile ne sera plus un long fleuve tranquille... Quelques affaires retentissantes vont faire l'actualité dans les décennies suivantes. Ces affaires vont se multiplier à partir des années 2000, du fait de nouvelles normes de sécurité et antipollution. Mais aussi grâce aux organismes de consommateurs, à des états qui s'inquiètent de la sécurité de leurs concitoyens, à la possibilité dans certains pays d'effectuer des recours collectifs (class action) pour faire plier les constructeurs...

D'autres amendes, crises et scandales : morceaux choisis de l'histoire sulfureuse de l'automobile


1978 : la Ford Pinto, née en 1970, est une petite voiture conçue pour lutter contre les concurrentes européennes de plus en plus nombreuses sur le sol américain. La Pinto affiche un look charmant et un tarif abordable, mais elle souffre d'un gros défaut. En cas de choc arrière, même à basse vitesse, le réservoir de l'auto peut se casser, exploser ou s'embraser. La voiture se déformant facilement suite à un choc, les portières se retrouvent bloquées emprisonnant les occupants du véhicule. Ford est au courant de ce problème, mais fait la sourde oreille, car la somme à débourser pour faire une campagne de rappel est trop importante. La marque préfère alors payer lorsqu'un procès lui est intenté. En 1977, un article paru dans le magazine américain Mother Jones (MoJo) qui dénonce la dangerosité de la Ford Pinto fait bouger un peu les lignes. Mais c'est en août 1978, après le décès de trois jeunes filles sur une autoroute de l'Indiana que la position de Ford va devenir intenable. L'Indiana va nommer un Grand Jury qui va intenter un procès à Ford pour homicide involontaire. Condamné lourdement, Ford sera contraint à rappeler à ses frais tous les véhicules présentant le défaut... En 1980, la production de la Ford Pinto est définitivement arrêtée.

 


1979 : les pneus Kléber-Colombes V12 ont une fâcheuse tendance à exploser. C'est l'organisme de défense des consommateurs UFC (Union Fédérale des Consommateurs) et son journal "Que choisir" qui va révéler l'affaire au grand jour. Après avoir reçu de nombreux témoignages de lecteurs qui se plaignent d'avoir subi l'éclatement d'un pneu, il y a une prise de contact avec l'industriel du pneumatique. Chez Kléber-Colombes, au lieu de révéler la nature du problème, on minimise l'affaire. Puis la firme réagit et attaque en justice l'UFC - Que Choisir et lui demande 20 millions de francs de dommages et intérêts. L'UFC -Choisir demande alors à l'administration de retirer du commerce les pneus incriminés, sans succès. Mais devant l'afflux des témoignages des lecteurs victimes du manque de fiabilité des pneus, on en dénombrera 2000,  l'image de marque de Kléber-Colombes se lézarde. La marque va être rachetée par Michelin en 1981. Deux ans plus tard, la plainte sera retirée. 

 


1980 : Ford pensait en avoir fini avec les problèmes (Pinto), qu'un autre survient. Il concerne la boîte automatique de certains véhicules qui passe de la position parking à marche arrière sans prévenir. Une enquête menée par la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration) indique que tous les modèles, à boîte auto, sortis de chaîne entre 1966 et 1980 ont ce défaut. Les journalistes enquêtent et découvrent que Ford connaissait ce problème depuis de nombreuses années et qu'une solution était possible moyennant moins d'un "cent" (0,1 dollar) pour chaque voiture. Cela va coûter bien plus cher à la firme qui va devoir verser 20 millions aux victimes pour les indemniser. Mais curieusement pas de rappel général des autos, un simple autocollant qui indiquera aux utilisateurs des dits véhicules, la procédure à suivre pour éviter que leur voiture recule sans qu'on lui demande : bien vérifier que le sélecteur et sur “Park“, serrer à fond le frein à main, couper le moteur...


1983 : l'UFC-Que choisir met, après les pneus Kleber-Colhttp://mitsubishi/ombes, à nouveau les pieds dans le plat et cette fois c'est la Renault 18 qui se retrouve sur la sellette. La voiture connaît de sérieux problèmes de freinage. Comme avec Kleber-Colombes, l'UFC-Que choisir contacte Renault, mais là il n'y aura ni procès, ni mauvaise foi. Le Losange accepte de rappeler les dizaines de milliers de véhicules concernés pour modifications. Il y aura même une action commune. "Que choisir" avec l'aide et l'accord de Renault pourra publier l'ensemble des numéros de série des R18 incriminées.   


2001 : Ford a de nouveau des ennuis en ce début du XXIe siècle. Ce sont les pneus Firestone montés sur son “crossover star“, l’Explorer vendu en Amérique qui posent problème. Ils éclatent et entraînent sorties de route et accidents de la circulation. Les deux compagnies Ford et Firestone, qui sont pourtant alliées depuis la Ford T, vont alors s'étriper. Après que la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration) se soit décidée à ouvrir une enquête, Firestone reproche à Ford d'indiquer à ses clients des pressions de pneus trop faibles (ce qui s'avérera être la vraie cause du problème). Il va aussi mettre en cause l'Explorer, qui se renverse trop souvent lors des accidents. Ford de son côté accuse Firestone d'une fabrication défectueuse. Ford va procéder à un rappel massif de ces Explorer chaussés de Firestone et stopper tout accord commercial avec le manufacturier. Au total, 13 millions de pneus seront changés par Ford.   

 


2004 : la direction de Mitsubishi avoue que pendant des années elle a dissimulé les défauts techniques de certaines de ses voitures.  Une enquête interne a révélé que des centaines de véhicules avaient été réparés en secret alors que la marque aurait dû rappeler tous les véhicules de même type et ne pas agir avec parcimonie. D’autant plus qu’un accident mortel s’est produit avec l’un des véhicules non révisés. Mitsubishi rappellera au total 250 000 véhicules.

 


2010 : le PDG d’une marque automobile puissante qui s’excuse publiquement dans une vidéo d’avoir laissé tomber ses clients, ce n’est pas si courant. C’est pourtant ce que va faire  le patron de Toyota aux États-Unis. Suite à un problème d’accélérateur qui risquait de se bloquer dans certaines conditions. La production de huit modèles les plus vendus aux USA devra même être stoppée, tandis que des milliers de “kits de réparation“ (insertion d’un mécanisme pour augmenter la tension de la pédale) étaient envoyés dans toutes les concessions et qu’un rappel de 2,3 millions de véhicules était mis en place. Ce problème de pédale d’accélérateur va poursuivre le constructeur pendant de longs mois. En 2012, le constructeur devra payer plus de 17 millions de dollars (13 millions d’euros)  pour des problèmes liés aux tapis de sol de certaines Lexus qui risquait de se prendre dans la pédale d’accélérateur (154.000 Lexus RX 350 et RX 450h avaient été rappelés à l’époque). Mais, les soucis de Toyota avec les autorités américaines ne se sont pas arrêtés pour autant et en mars 2014, Toyota était condamné à une amende record de 1,2 milliard de dollars parce que le groupe avait fourni des données inexactes. Que le constructeur avait induit en erreur les consommateurs américains en dissimulant des défauts.

Pour éviter d’autres soucis, Toyota rappelait en avril 2014 6,5 millions de véhicules dans le monde afin de résoudre, à l’amiable,  plusieurs problèmes techniques.


Novembre 2014 : donner de fausses informations concernant les consommations peut conduire à une amende. Hyundai et Kia ont ainsi été sommés de passer à la caisse et de payer 100 millions de dollars pour avoir au cours des années 2012 et 2013 commercialisé des véhicules dont la fiche technique et la publicité n’indiquaient pas les bons chiffres de consommation. C’est la plus grosse amende infligée dans le cadre de la loi américaine sur la propreté de l’air.  Cette sanction va de pair avec un renoncement à un crédit d’émission de gaz à effet de serre, représentant plus de 200 millions de dollars. Parallèlement à cette affaire, on apprendra que BMW, Ford, Mercedes et Mini étaient également dans le collimateur de l’EPA (agence américaine de protection de l'environnement). Une agence qui surveille de près les agissements de tous les constructeurs sur le sol américain.


Novembre 2014 : le département américain de la Justice déclenche une enquête pénale sur l’équipementier Takata soupçonné d’avoir caché depuis plusieurs années des problèmes sur ses airbags. Un gonfleur serait en cause. Sous certaines conditions, il pourrait éclater projetant du métal et du plastique sur les occupants du véhicule. Ces airbags défectueux sont responsables de plusieurs décès. Les autorités américaines ont annoncé en mars 2015 qu’elles allaient infliger une amende de 14 000 dollars par jour à l’équipementier japonais Takata tant qu’il refusera de coopérer "totalement" dans le cadre des enquêtes en cours sur ses airbags défectueux. En juin 2015, des élus américains vont plus loin en soupçonnant Takata d’avoir volontairement suspendu des audits qui auraient, s’ils avaient continué, décelé beaucoup plus tôt le problème. La compagne de rappel va durer de longs mois, car ce sont des dizaines de millions de véhicules dans le monde qui sont concernés (certains ont déjà été rappelés ou vont l’être prochainement), le prix du rappel risque d’être salé, tout comme l’amende que la justice américaine ne manquera pas d’infliger à l’équipementier…



Janvier 2015 : Honda oublie d’avertir la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration) que 1720 plaintes (suite à des accidents mortels) avaient été déposées à  l’encontre de certains de ses modèles et la marque japonaise se voit obligée à payer une amende record de 70 millions de dollars. C’était l’amende maximum à l’époque, elle peut , suite à un vote du Sénat américain atteindre 105 millions aujourd'hui. Cette amende a été infligée à Honda, parce que l’organisme de sécurité américain NHTSA oblige tous les constructeurs à transmettre les informations concernant des problèmes de sécurité en temps voulu aux autorités, afin que celles-ci décident ou non, de demander au constructeur de faire un rappel sur le véhicule ou les véhicules concernés.

 


Juillet 2015 : FCA (Fiat Chrysler Automobile) a accepté de payer une amende record de 105 millions de dollars (amende maxi) pour des manquements dans ses campagnes de rappel. FCA reconnaît  "ne pas avoir fourni de solutions efficaces à temps et ne pas s'être plié dans les délais à plusieurs règles dans le cadre de trois campagnes". FCA a rappelé 11 millions de véhicules dont des véhicules Jeep assez anciens dont les réservoirs auraient causé plusieurs incendies mortels.  De plus, le groupe sera obligé selon l‘accord conclu avec la NHTSA de racheter les véhicules défectueux, après réparation il pourra les revendre s’il le souhaite. À un prix moyen de 15 000 dollars par véhicule acheté, FCA pourrait débourser trois milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) !

 


Septembre 2015 : un commutateur d’allumage qui peut, lors du passage sur une bosse ou sur un cahot de la route, arrêter le véhicule, mais aussi bloquer la direction et interdire aux airbags de se déployer et General Motors (Buick, Cadillac, Chevrolet...) est dans la tourmente. Car ce problème technique est une triste histoire qui a entraîné la mort de 124 personnes et de nombreux blessés. Connu depuis 2005, ce problème n’a fait l’objet d’une campagne de rappel qu’à partir de février 2014. L’entreprise avait dissimulé ce défaut de sécurité, en violation du droit américain, c’est pourquoi le département de la justice n’a pas hésité à condamner fortement le groupe (900 millions de dollars) au motif de s'être rendu coupable de fraude.

 

Septembre 2015 : l’affaire Volkswagen démarre…



Mais les problèmes techniques inavoués, finalement prouvés et condamnés ne sont pas les seuls à pénaliser les constructeurs et leurs fournisseurs. Les ententes illicites sur les prix, si elles permettent de faire de belles économies, peuvent coûter très cher. Si ce genre de dérive est moins connu, car il n’y a pas de campagne de rappel, la fraude est bien réelle et sur l’année 2015 plusieurs industriels ont été condamnés :

Allemagne : 75 millions d’euros d’amende à 9 fabricants de composants acoustiques pour l'automobile.

 

Chine : 350 millions de yuans (53 millions d’euros environ) à Mercedes, pour entente sur les prix.

 

Espagne : 171 millions d’euros pour dix groupes automobiles (dont General Motors et Ford qui ont écopé des amendes les plus lourdes) pour des ententes passées entre 2006 et 2013. Seul Seat, marque espagnole s’en tire bien puisqu’elle a fourni des preuves de l’existence de cette entente. Elle a ainsi évité de payer  une “prune“  de 39,4 millions d’euros

États-Unis : 65 millions de dollars pour le groupe japonais NGK Insulators (qui fabriquent de nombreuses pièces détachées automobiles dont des composants pour pots catalytiques sur lesquels porte la fraude) pour entente sur les prix. République tchèque : 49 millions de couronnes tchèques (1,78 million d’euros) d’amende à Skoda. Une condamnation qui fait suite à des ententes illicites entre le constructeur tchèque et ses distributeurs.

 

Et ce n’est sans doute pas fini…