300 000, 500 000, plus de 2 millions, 3,5 millions ? Le nombre de conducteurs sans permis en France reste un mystère. Les évaluations vont ainsi du simple au décuple. Seuls chiffres officiels ne provenant pas d'une simple estimation, cette infraction a représenté 82 858 cas l'an dernier, selon le dernier bilan officiel de la Sécurité routière. C'est un peu plus de 12 % des délits constatés en 2014, mais guère plus de 0,3 % du total des infractions relevées, comptabilisé à 24 858 388. Que risquent les auteurs de ce délit aujourd'hui ? Ils jouent gros puisqu'ils peuvent prendre jusqu'à un an de prison et 15 000 euros d'amende. Forcément, la proposition de Christiane Taubira, la ministre de la justice, d'en faire une simple contravention de la cinquième classe, punissable d'une amende forfaitaire de 500 euros (cf. notre historique ci-dessous), donne l'impression de vouloir alléger ces sanctions.

« Le signal envoyé par le gouvernement est tout de même particulièrement surprenant ! Que vont en conclure les personnes concernées ? Que ce n'est pas si grave de conduire sans permis ? », déplore Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier. Cette disposition développée dans le projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle, déposé au Sénat le 31 juillet, a ainsi soulevé un véritable tollé, avec – fait exceptionnel – des critiques provenant aussi bien des associations de défense des victimes que des représentants des conducteurs.


La conduite sans permis n'a pas toujours été un délit

Date

Type d'infraction

Peine encourue la 1ère fois

Peine complémentaire

En cas de récidive (peines encourues)

Avant 2004

Contravention de la 5e classe Jusqu'à 1 500 euros d'amende Immobilisation du véhicule possible et obligation d'accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière (point de confiscation du véhicule) Cela devient un délit (jusqu'à 2 ans de prison et 4 500 euros d'amende. Confiscation du véhicule possible)

Depuis 2004

Délit Jusqu'à 1 an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende Immobilisation du véhicule possible, obligation d'accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière et confiscation du véhicule (cette confiscation est même devenue obligatoire en 2011) Peines doublées (jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende)

Les évolutions en discussion bientôt au Parlement

Contravention de la 5e classe Amende forfaitaire de 500 euros (minorée à 400 euros et majorée à 750 euros) A priori, aucune, sauf dans le cas d'une condamnation après contestation du PV. Cela redevient un délit (jusqu'à 2 ans de prison et 30 000 euros d'amende)


Car ce que l'on retient en effet, c'est qu'il sera finalement plus économique de rouler sans avoir obtenu au préalable son carton rose qu'avec. L'apprentissage de la conduite s'élevant en moyenne à plus de 1 000 euros en France. Le but du gouvernement serait-il réellement de se montrer plus clément ? « Même s'il s'agit de gagner en efficacité, faire une telle proposition, vu le contexte actuel avec des chiffres de l'accidentologie en hausse, c'est manquer cruellement de pédagogie », tranche Me Tichit.


Entre 250 et 450 € d'amende le plus souvent,

sans prison

Cela fait maintenant un peu plus de dix ans que la conduite sans permis est devenue un délit, avec la loi Perben de 2004. Et au final, ces conducteurs qui roulent en toute illégalité, dont on ne connait pas l'impact sur la mortalité routière, sont-ils lourdement punis quand ils sont pris ? Ce n'est pas si évident. Selon la ministre de la Justice, la plupart des jugements pour défaut de permis se bornent aujourd'hui à infliger des amendes, sans peine d'emprisonnement. Et leurs montants tournent en moyenne « entre 250 et 450 euros »... Seulement ! Comparé à ce qu'écopent les propriétaires des véhicules flashés quand ils contestent leurs contraventions, avec des amendes généralement supérieures à 150-200 euros, au tribunal, voire qui grimpent jusqu'à 450 euros, même pour des excès de vitesse mineurs sur autoroutes, ça ne paraît pas très cher payé, en effet.

« C'est sûr, le montant des amendes des conduites sans permis n'atteint jamais les 15 000 euros encourus », confirme Me Tichit. Maintenant, « ce n'est pas si simple d'établir une moyenne car cela est très variable. Disons que cela dépasse très rarement les 800-1 000 euros ». Pour l'avocate, les peines de prison demeurent également « peu fréquentes et carrément inexistantes pour les primo-délinquants ».

L'étude d'impact qui accompagne le projet de loi de la garde des Sceaux, au Sénat, apporte encore plusieurs précisions sur l'éventail des sanctions. Tout dépend en fait de la forme de jugement employée. Les amendes sont ainsi « de 289 € en moyenne en cas de composition pénale (7 % des cas), 414 € en cas d'ordonnance pénale (54 % des cas), 368 € en comparution sur reconnaissance de culpabilité (CRPC, soit 10 % des cas) et 469 € en cas d'audience correctionnelle (29 %). » Compositions pénales, ordonnances pénales et autres CRPC sont autant de procédures de jugement simplifiées, qui dérogent au cursus disons normal d'un justiciable appelé à se présenter devant un juge pour son procès. Désormais, les audiences « traditionnelles » devant le tribunal Correctionnel sont même minoritaires (29 %) dans ce contentieux qui a représenté, selon les statistiques officielles, plus de 78 000 condamnations en 2013.


78 000 condamnations en 2013,

mais pour plus de 100 000 PV

78 000 condamnations pour combien de PV dressés ? En 2013, les chiffres officiels donnent le nombre de conduite sans permis à 75 954. Ceci dit, compte tenu du délai moyen entre les faits et la décision de justice, détaillé là encore dans l'étude d'impact du projet de loi, et donné « à 4,1 mois en cas de composition pénale, 6,3 mois en cas d'ordonnance pénale, 5,2 mois en CRPC et 9,9 mois en cas d'audience correctionnelle », on peut imaginer que ces condamnations de 2013 faisaient plutôt suite aux délits constatés en 2012. Cette année-là, ce sont alors 67 806 conduites sans permis qui ont été relevées. Où est passé le reste ? Que l'on prenne en compte 2012 ou 2013, le bilan reste le même : il n'y a pas eu autant de condamnations que de verbalisations.

« Ah, mais les procès-verbaux ne donnent pas systématiquement lieu à des condamnations ! », rétorque Me Tichit. « Des personnes évidemment sont relaxées, il y a aussi des classements sans suite et des dossiers certainement prescrits. D'où ce décalage... » Le décalage serait même bien plus énorme qu'il n'y paraît. Car à bien lire les statistiques du ministère de la Justice, la notion de « défaut de permis » englobe en fait plusieurs infractions :

  • d'une part, les conduites sans permis, qui représentent les personnes qui n'ont jamais eu le permis,
  • d'autre part, les conduites malgré la suspension, l'annulation, l'invalidation ou encore la rétention du permis, qui ne correspondent pas à la même infraction et qui ne sont pas concernées par le projet de décorrectionnalisation de Christiane Taubira. Celles-ci demeureront des délits.

En prenant alors en compte l'ensemble de ces méfaits, c'est plus de 100 000 cas qui ont été recensés aussi bien en 2012 que 2013... Par rapport aux 78 000 condamnations, le décalage n'en est donc que plus accentué. Quand la ministre de la Justice, taxée de laxisme, répond que l'objectif est pourtant bien de mettre en place « un dispositif plus efficace, plus rapide, plus sévère... », force est de reconnaître en tout cas que le système actuel ne paraît pas très efficient. Et en forfaitisant l'amende à 500 euros, ce serait « plus que ce qui était prononcé jusque-là », comme elle l'a avancé à plusieurs reprises dans les médias.


Une procédure plus rapide et plus efficace avec une simple amende forfaitaire ?

Possible...

En pratique, comment cela se passera ? Aujourd'hui à la suite d'une interpellation et d'une verbalisation pour une conduite sans permis, c'est un jugement qui fixe les sanctions. Le verdict tombe ainsi plus de 4 mois, voire plus de six mois après les faits. En faisant de cette infraction une simple contravention, le conducteur arrêté sans permis recevrait son PV par La Poste à son domicile, puisqu'il s'agirait d'un procès-verbal électronique (PVe), soit le plus souvent en moins d'une ou deux semaines après les faits. Et à compter de la date de ce PVe, le conducteur fautif aurait quinze jours pour régler son amende au tarif minoré, soit à 400 euros, ou au taux normal de 500 euros les 30 jours suivants. Au-delà de 45 jours, le montant serait automatiquement majoré à 750 euros.

Et s'il souhaitait le contester ? Il aurait de toute façon la consignation à verser au préalable, et donc à débourser ces 500 euros. En outre, il serait « passible, en cas de condamnation, d'une amende au moins égale à celle de l'amende forfaitaire, plus les peines complémentaires suivantes, souligne l'étude d'impact du projet de loi :

  • la suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire ;
  • l'interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur pour une durée de trois ans au plus ;
  • l'obligation d'accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière ;
  • la confiscation du véhicule ;
  • l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général. »

C'est sûr que cela devrait en dissuader plus d'un ! Et il ne serait pas étonnant qu'il y ait « moins de déchets » à l'arrivée, avec des conducteurs qui auraient plus de difficultés à passer entre les mailles du filet. Enfin, en cas de récidive, l'infraction resterait un délit pouvant être sanctionné de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende. Reste que la ministre de la Justice ne semble que peu attachée finalement à cette proposition. « Si l’acceptabilité sociale n’est pas établie, nous en tirerons tous les enseignements », a-t-elle fait savoir sur France Inter. Selon nos informations, le projet de loi dont fait partie la mesure, pourrait au mieux commencer à être discuté au Sénat à partir de cet automne (voire carrément seulement au début de l'année prochaine). Le changement, s'il y a, n'est donc vraiment pas pour maintenant...