En Suisse, les agrocarburants (appelés également carburants biogènes) sont aussi au coeur des discussions. Le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a d'ailleurs participé à la rencontre informelle des ministres de l'environnement de l'Union européenne en avril 2008 à Ljubljana (Slovénie) : il a alors exposé la politique suisse en matière d'agrocarburants, il s'est exprimé sur leur problématique éthique et s'est engagé contre leur utilisation s'ils se substituent aux denrées alimentaires et s'ils constituent une menace pour la biodiversité, notamment celle des forêts tropicales. Il a également présenté la législation sur l'allégement fiscal des agrocarburants adoptée récemment par la Suisse.

A partir du 1er juillet 2008, le biogaz, le bioéthanol et le biodiesel seront exonérés de l'impôt sur les huiles minérales pour encourager leur utilisation et diminuer ainsi les émissions de CO2 provenant de carburants fossiles. Des exigences minimales sur les plans écologique et social ont été introduites dans la loi pour contrer le risque de destruction de la biodiversité (notamment celle des forêts tropicales) à des fins de production de biomasse ainsi que le risque de concurrence entre la production agro-alimentaire et la production de carburants dans les pays en développement.

L'Office fédéral de l'environnement a précisé que des critères de développement durable comparables sont en discussion dans l'Union européenne mais ne sont pas encore adoptés. La Commission européenne a déposé en janvier 2008 une proposition de directive afin de promouvoir l'utilisation des énergies renouvelables, qui évoque aussi les carburants biogènes. Bien que la Suisse ne fasse pas partie de l'Union européenne, Moritz Leuenberger est invité régulièrement aux rencontres informelles des ministres de l'environnement de l'Union européenne : elles permettent d'échanger des informations et des exemples de bonnes pratiques entre les différents États.

Moritz Leuenberger a expliqué : "Tout le monde parle des agrocarburants en ce moment en raison des manifestations contre la faim organisées dans le monde entier. Le problème ne date toutefois pas d’hier. En effet, il y a plus d’un siècle déjà, on cultivait sur un tiers des champs, par amour pour la mobilité, des céréales, notamment de l’avoine, afin de nourrir les chevaux appelés à tirer les nombreuses calèches de par le monde. A l’époque aussi, ce choix a été à l’origine de pénuries alimentaires, de famine et de mouvements de protestation. On a alors aussi formulé le reproche, moralement bien fondé, que l’on sacrifiait à la mobilité la santé des plus démunis.

Mais revenons au débat d’aujourd’hui : la crise alimentaire actuelle n’est pas seulement due aux carburants biogènes. Ceux-ci aggravent une crise existante, qui est avant tout structurelle. Les prix élevés du pétrole se répercutent sur les engrais et les transports. La conjoncture, qui dépend des mauvaises récoltes en Afrique et en Australie, de la sécheresse, de la forte demande dans les nouveaux pays industrialisés comme la Chine, provoque une hausse de la demande de viande et d’autres denrées alimentaires dont les prix augmentent à leur tour. En fait, il y a bien suffisamment à manger pour tout le monde, mais les prix sont trop élevés et inabordables pour beaucoup de gens. Voici mes réponses à des questions qui m'ont été posées :

  • La Suisse défend une politique restrictive en matière de carburants biogènes. Elle est le premier pays au monde à introduire le 1er juillet 2008 des critères écologiques pour leur encouragement. Nous soulignons ainsi la priorité accordée à la production alimentaire. Nous prescrivons aussi des exigences minimales pour la production de carburants conformément aux objectifs environnementaux, économiques et sociaux du développement durable.
  • Les carburants obtenus à partir de céréales comme le maïs de même que ceux à base d’huile palme ou de soja ne satisfont pas à ces critères et ne sont donc pas subventionnés en Suisse.
  • Une production agricole de carburants biogènes à grande échelle n’est de toute façon pas réaliste en Suisse et n’aurait aucun sens. Elle se substituerait à la production alimentaire et fourragère indigène, ce qui impliquerait une hausse des importations.
  • Par contre, les carburants biogènes à partir de déchets de la biomasse présentent un bon bilan écologique. Ils ne concurrencent pas la production alimentaire.
  • En raison des risques écologiques et sociaux des carburants biogènes, l’introduction d’un quota pour l’incorporation de ces derniers n’a pas de sens même si, à première vue, elle contribuerait à réduire les émissions de CO2. La réalité est parfois un peu plus compliquée et il vaut parfois la peine de l’observer de plus près
".