Il n'est jamais facile de décrypter ce que cachent les paroles des pilotes prises à chaud. D'ailleurs, il faut éviter de le faire car elles ne sont que parcellaires et ne reflètent jamais ce que pense réellement celui qui les prononce. Loeb le sait et en joue fort bien.

Lorsque Loeb critique, c'est pour accuser son équipe de le défavoriser ou pour se moquer gentiment de son rival perdant patience devant ce qu'il estime être une injustice. C'est ce qu'il a tenté de faire ce week-end mais en y regardant de près, on se rend compte que le premier des Seb est également un habile politique et que son duel avec Ogier, ce n'est pas seulement en piste qu'il veut le gagner.


Les mystères de la prolongation de Loeb


Car la colère sourde qui brûlait chez Ogier et qui s'est exprimée devant les caméras (comme celle de Loeb lors du rallye du Mexique mais de façon plus maladroite) avait pour cause bien plus que la volonté de Quesnel de figer les positions à mi-rallye alors que les 2 pilotes étaient en lutte et séparés de 7s. Cette frustration vient en fait de la prolongation de Loeb pour 2 ans chez Citroën et des termes du contrat qu'il aurait obtenu. Ogier l'avoue sur TF1 :


je trouve ça petit de signer un contrat en demandant d'être absolument le numéro 1, pour ne pas être attaqué

«Cela ne me gêne pas qu'il prolonge, au contraire, c'est Sébastien Loeb, il reste l'homme à battre. Mais il y a des notions et des engagements autour de cela qui ne sont pas clairs pour moi. Je n'ai pas toutes les informations pour en parler. J'aurais accepté la défaite si j'avais pu me battre contre lui. Ce n'est pas ma vision du sport. Il y a des choses et des gens qui me faisaient rêver et c'est de moins en moins le cas…je trouve ça petit de signer un contrat en demandant d'être absolument le numéro 1, pour ne pas être attaqué !

Seb va aller pleurer, dire qu'il faut des consignes car il va se faire embêter par son petit équipier. C'est difficile de ne pas être autorisé à se battre pour la victoire. Je trouve qu'il ne devrait pas y avoir de consigne mais ce n'est pas moi qui décide. »


Selon Cédric Voisard du Figaro, on ne peut pas exclure que la direction de Citroën a validé seule la prolongation du contrat de Loeb, aux conditions de Loeb, pour l'empêcher de partir chez VW dont tout le monde savait qu'ils essayaient de s'attacher ses services avec l'aide de Carlos Sainz. Quesnel qui avait accepté d'inscrire dans le contrat d'Ogier son statut de numéro 1 à égalité avec Loeb n'a peut-être pas eu son mot à dire dans cette décision venue d'en haut qui va obligatoirement modifier sa façon de manager, lui qui ne pourra bientôt plus se retrancher derrière son obligation d'assurer le titre constructeurs. Pour Ogier, les consignes au rallye d'Allemagne ont confirmé ses doutes et provoqué sa colère puis ses piques envers Loeb qui a alors eu le beau rôle de jouer les victimes. Mais dans un interview donné au Dernières Nouvelles d'Alsace, on comprend très vite que l'affrontement avec Ogier est au cœur de ses préoccupations et très probablement la raison principale de son choix de poursuivre dès lors que Citroën a cédé à ses exigences.


« Si Citroën doit privilégier quelqu'un, ça n'est pas lui » S.Loeb


En omettant de rappeler ses aigreurs de Finlande et son refus de se soumettre au Mexique, Loeb a mis en avant l'épisode de 2003 où il avait accepté de ralentir sur ordre de Frequelin pour assurer le titre Constructeur au détriment de ses espoirs de titre Pilotes. En laissant malicieusement Daniel Elena glisser que Ogier ne « serait plus invité aux barbecues qu'il organise au contraire de son copilote Julien Ingrassia car ils ne se parlent plus », on se rend compte qu'on est là en pleine tentative de déstabilisation. Cela transparait d'ailleurs bien dans la suite de son interview où Loeb parle avec plus de clarté.


Je lui avais déjà dit avant qu’il vienne chez Citroën d’aller voir ailleurs. Ce serait plus simple… »

« Non, si j'avais reçu les mêmes consignes, je n’aurais pas eu envie de les respecter. On a gagné sept championnats avec Citroën. S’il faut privilégier quelqu’un, ce n’est pas lui. Jusqu’à maintenant, il a eu la chance d’opter pour toutes les stratégies qu’il voulait. »


En clair, comme vous venez de rempiler pour deux ans, vous l’invitez à partir…


« Ce n’est pas à moi de décider. Mais je lui avais déjà dit avant qu’il vienne chez Citroën d’aller voir ailleurs. Ce serait plus simple… »


En matière de compétition politique interne, il manque à Ogier le poids du palmarès de son aîné, avantage de poids lorsqu'on pose ses conditions sur la table. Il sait parfaitement cela, lui qui l'an dernier, a obtenu un contrat de numéro 1 bis chez Citroën en agissant de la sorte alors que Ford cherchait à l'enrôler en ouvrant le portefeuille. Voilà pourquoi Ogier a de gros doutes sur les conditions de la prolongation de Loeb et voilà pourquoi il vient aussi de déclarer publiquement sur RTL :


« Les portes des autres équipes sont grandes ouvertes, je dois éclaircir ma situation chez Citroën et finir la saison. Après, on verra."


Si le discours de Citroën devenait hésitant, ou moins franc que lors de la signature de son contrat l'an dernier, alors Ogier sera définitivement fixé. Et si ça n'est pas le cas, le moindre problème mécanique sera l'occasion de faire naitre la paranoïa comme cela a été le cas à chaque fois que 2 immenses pilotes se sont retrouvés équipiers. Et l'histoire l'a toujours montré : la cohabitation entre 2 grands ne dure jamais.


Loeb a joué fin et remporté le droit de rouler dans la meilleure voiture pour les 2 ans qui viennent. Le choix d'Ogier pou la suite n'en sera que plus difficile.