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Auto-fiction n°2 : On le surnommait Hifils, par Philippe Curval

Dans Loisirs / Littérature

Claude Barreau , mis à jour

Philippe Curval est un des fondateurs, en France, de la science-fiction littéraire, auteur de plus 40 livres, traduit dans le monde entier. L’une de ses obsessions : raconter comment le futur, dans toutes ses composantes, politiques, sociales, économiques, scientifiques, pourrait changer notre vie. Sans jamais oublier de positionner au cœur de son œuvre l’homme et ses désirs multiples. Pour Caradisiac, il s’amuse à penser la vie de l’automobiliste dans le futur. Comment nous déplacerons-nous ? À bord de quel engin ? En combien de temps ? Dans 100 ans, à quoi ressembleront nos routes, les radars, les policiers ? Y aura-t-il encore des accidents ? Le plaisir de conduite, la vitesse, auront-ils disparu ? Quels nouveaux moyens de locomotion émergeront ?  Après Les Vingt-Quatre Heures Déments projetant les courses du futur, l'écrivain dans son auto-fiction n°2 évoque Hifils, petit-fils d'une femme qui occupe aujourd'hui la fonction de Maire de Paris. 

Auto-fiction n°2 : On le surnommait Hifils, par Philippe Curval

On le surnommait Hifils, parce que sa grand-mère avait autrefois occupé la fonction de Maire de Paris. Il était fier de ses origines. Aujourd’hui, elle reposait sous dalle. C’est pourquoi son père, qui lui avait succédé plus tard au même emploi durant un mandat, avait pris le nom d’Higo 2. Au risque de traverser une période terrible lorsqu’il avait mis en application l’interdiction du diesel dans Paris. De douloureux affrontements s’étaient produits. Certains conducteurs venant de banlieue non desservie par le transport public n’avaient pas hésité à foncer sur les voitures de police qui leur barraient l’entrée à la capitale. Ce qui avait provoqué de la casse, beaucoup de casse, suivie de vastes manifestations, d’un pêle-mêle de déclarations contradictoires des syndicats et des partis politiques. Jusqu’au moment où le Conseil Constitutionnel s’était prononcé, annulant le décret qui : « portait préjudice à une partie de la population, en établissant une discrimination entre deux catégories de citoyens, alors que chacune employait pour se déplacer un carburant issu du pétrole. »

Higo 2 rétropédala, mais il prit une décision audacieuse dont les répercussions se firent bientôt sentir, comme on le verra. Avant d’être mis en minorité par son successeur aux dents longues, déterminé à effacer toutes ses innovations. Ce qui ne changea véritablement rien. Car les élus de la capitale, dont la surface occupait désormais l’ensemble de l’île de France ou presque, ne jouissaient plus des mêmes prérogatives régaliennes. De plus, avec l’extension des transports en commun, la décentralisation des Services et des PME, les Franciliens — comme on les nommait dorénavant — avaient peu à peu trouvé du travail hors de Paris. Si bien qu’en quelques années le trafic des voitures de toutes catégories avait décru irrésistiblement dans le centre-ville. Phénomène aussi sidérant que celui qui s’était produit au moment de l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics. Dans un grand nombre de rues, la vitesse était fixée à 16 km/h. Au-dessus d’une émission de pollution réduite au minimum, les derniers modèles à essence et à diesel se voyaient privés de droits à la circulation ; interdiction généralisée pour toutes les automobiles qui s’étendait à l’ensemble de la ville chaque week-end depuis le printemps jusqu’à l’automne. Les piétons piétonnaient. À cause d’une fréquentation excessive, le sable de Paris-plage provoquait de graves maladies dermatologiques.

Auto-fiction n°2 : On le surnommait Hifils, par Philippe Curval

Hifils, qui n’occupait aucun poste important en dehors d’un mandat de conseiller municipal, avait quitté son luxueux six pièces dans le Marais pour vivre dans un petit château en banlieue chic. Ce qui lui offrait le plaisir de se trouver à proximité d’un bois. Fait rare dans les environs de Paris où la population affluait, où les résidences, les immeubles se multipliaient en couvrant le territoire, desservis par un réseau de transport extrêmement ramifié.

Durant ses instants de loisir, il compulsait avec une excitation coupable toutes les coupures de presse, les interviews, les vidéos qui relataient l’opiniâtreté obsessionnelle, les ruses de guerre, les ordonnances illicites de sa grand-mère et de son père. Travaux surprises, agrandissement des trottoirs, interdictions de stationner, amendes prohibitives, augmentation des voies piétonnes qui avaient considérablement réduit l’usage de l’automobile en ville.

Ou bien il passait des journées entières sur le circuit Jean-Pierre Beltoise à regarder avec une certaine nostalgie des compétitions de vieilles voitures de course à essence, organisées par des fondus du vintage. Son principal sujet de contrariété, c’était de constater qu’elles se traînaient en raison de leur mauvaise tenue de route. Car derrière chacune d’elles, un appendice destiné au filtrage avait été installé pour supprimer les rejets de CO et de particules fines. Ce qui ridiculisait les Ferrari avec leur pont arrière en cul-de-poule et les Williams en forme de piège à rats. Quant aux Mercedes, n’en parlons pas, les meilleurs designers n’avaient pu éviter de leur donner un aspect de tank écrasé.

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Ce jour-là, par un joli soleil printanier, Hifils décida de faire un tour à Paris pour voir comment la situation évoluait.

En file indienne, les voitures électriques, à hydrogène, les derniers modèles autonomes défilaient à petite vitesse sur l’autoroute A6, tels les wagons d’un train, séparés les uns des autres par la distance réglementaire. Malgré une faible circulation, de temps à autre, un individu pris de rage devant la monotonie du parcours tentait de se dégager en changeant de file. Sitôt épinglé par GPS, il recevait chez lui dans les dix jours une amende de mille euros.

Hifils regardait tranquillement la vidéo d’un chanteur en vogue, installée sur l’écran large de son tableau de bord, dont la durée était calculée pour le trajet.

Bientôt, il fut en vue de l’église du Sacré-Cœur à Gentilly, ancien symbole magique de l’entrée de l’autoroute A6 avec ses quatre anges stylisés sur le clocher 1930, devenue propriété portugaise. Hifils vérifia qu’il avait bien programmé son itinéraire vers la voie souterraine T6 qui plongeait sous la ville et la pénétrait (de part en part) à quarante mètres de profondeur. Elle s’ouvrait entre les deux sorties qui se dirigeaient vers la porte d’Orléans et la porte d’Italie. Construite sous la magistrature de Higo 2 — vieux projet abandonné sous la pression de multiples lobbies qu’il avait extirpé des fonds de tiroir —, elle présentait la facilité de traverser Paris sans encombrer la chaussée ni émettre la moindre pollution. Conçue à l’origine pour proscrire le trafic des cars de tourisme en zone urbaine, planifier les livraisons, elle accédait à l’imposant réseau souterrain qui permettait soit de ressortir au niveau de l’autoroute de son choix, soit de se garer dans les immenses parkings en sous-sol. Ces travaux pharaoniques avaient été réalisés en promulguant une coûteuse écotaxe qui avait carbonisé un grand nombre de contribuables à faibles revenus.

Néanmoins, cerise sur le gâteau empoisonné, des ascenseurs ultras rapides qui menaient soit au métro, soit à la surface offraient à des milliers de Franciliens les formidables ressources culturelles de la capitale.

Hifils ne pouvait retenir la sueur qui coulait de ses aisselles à l’idée de s’engager dans le tunnel à double voie, pourtant climatisé à l’extrême, éclairé a giorno. En effet, celui-ci passait sous les anciennes carrières dont Paris était truffé. Malgré toutes les études techniques, toutes les précautions prises pour tracer son parcours, un risque d’écroulement de la voûte demeurait dans son esprit telle une épée de Damoclès.

Maîtrisant son angoisse, il se dirigea vers le parking de la Concorde, où se situait l’un des sas d’émergence. Car il faisait partie des milliers d’Access VIP pourvus d’autos propres qui circulaient librement dans Paris, en même temps que les électribus, les taxiques, les cars de police, le Samu, les pompiers, etc. Cinq sorties placées au centre et aux quatre points cardinaux de Paris intra-muros l’autorisaient, en tenant compte d’un grand nombre de restrictions. Hifils engagea son Heuliez dernier modèle made in China, Ségo Lin, dans le monte-charge qui propulsait les voitures, les petits camions de livraison vers l’extrémité des jardins des Champs-Élysées. Une centaine de mètres plus loin que la statue de Georges Pompidou, déjà si laide et devenue franchement vermoulue.

Confiant dans le système de bornes qui irriguait l’ensemble du réseau routier européen, Hifils n’avait pas pris la précaution de remplir ses batteries avant de partir. Au milieu d’une circulation très fluide, il se dirigea vers la rue Royale où se situait une borne ultrarapide. Grâce à son iPhone 80 fixé autour de son poignet, il se brancha par Bluetooth. Dix minutes de recharge suffiraient pour accomplir six cents kilomètres. Ainsi, il serait tranquille pour le retour.

Une fois descendu pour flâner parmi la foule, il se rangea par instinct le long des boutiques pour éviter le flot des patinettes électriques, des rollers, des mobilos, des skates qui sillonnaient le trottoir. Sans compter les vélos libres que chacun y déposait lorsqu’il n’en avait plus l’usage, constituant autant d’obstacles que les réverbères, les signaux d’interdiction qui pullulaient.

Sa première déception fut de constater que Maxim’s avait fermé comme beaucoup d’autres établissements. Car si les musées, les cinémas, les théâtres, les music-halls, les boîtes de nuit, les cafés, les bars, avaient conservé leur attrait, grâce au centralisme culturel, à cause de leurs prix excessifs, les restaurants de Paris n’attiraient plus autant les Franciliens. Ils préféraient explorer les milliers de bouis-bouis exotiques qui s’étaient installés près de chez eux. En revanche, la mode envahissait toutes les boutiques. De Zara à Hermès en passant par tous les degrés de qualité, pas une n’échappait à son emprise. Sans compter les chausseries, les échoppes de souvenirs Tour Eiffel dont les étalages encombraient le trottoir. Hifils entra dans la dernière librairie qui subsistait. Mais au milieu de quelques livres papier, l’électronique triomphait sur des liseuses à bas prix.

Déçu, il sortit. Surpris par une giboulée qui se mit à tomber sans prévenir après une semaine d’un temps superbe. Sur la piste cyclable, deux vieillards sur vélos électriques dérapèrent et s’écroulèrent sur le pavé. Hifils détourna le regard, comme la plupart des autres cyclistes qui poursuivirent leur route sans leur porter secours. Ce genre d’événement ne figurait même plus parmi les faits divers.

Pour éviter de se faire tremper, il courut vers la borne de recharge, s’engouffra dans son Heuliez. Démarra. Rien ne se produisit. Le compteur de stockage se révélait voisin de zéro.

C’est alors qu’apparut un message sur l’écran inclus dans le tableau de bord : « Airparique nous communique : nous sommes dans l’incapacité provisoire d’alimenter vos batteries. Depuis plusieurs jours, les éoliennes ne fonctionnent plus faute de vent, à cause de l’anticyclone qui règne sur l’Europe. Comme elles représentent 30 % de la production générale d’électricité, et que le quart de nos centrales nucléaires sont en démantèlement, nos réserves d’énergie disponibles sont attribuées d’office à l’usage domestique, à l’industrie et aux services publics. Veuillez nous excuser pour ce désagrément. »

« Sacrée Grand-mère, elle nous a bien intoxiqués », pensa Hifils, évoquant le bonheur sans égal de ses sorties nocturnes sur les routes forestières dans l’Aventime de son aïeul qu’il avait conservée dans un garage secret.

 

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