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Visite médicale : les anciens dans le collimateur

Dans Pratique / Autres actu pratique

Jean Savary

Une visite médicale pour tous les conducteurs, bonne idée ou utopie technocratique ? Qu’est-ce qu’un conducteur valide ? À quoi doit-il être apte ? Pour quels résultats ? On n’en sait rien, mais ça se vote cette semaine au Parlement européen.

Visite médicale : les anciens dans le collimateur

J’étais en vacances à moto dans le Var, sur la route de St Maximin. Au loin, sur ma droite, une voiture arrêtée à un stop, et derrière elle, des motards.

Grand bleu, belle route sèche, visibilité parfaite mais je me traînais - même pas 80 km/h -

J’étais en train de me dire que les routes du Sud, ça demande une sacrée concentration : beaucoup de monde sur peu de routes et un style de conduite disons… sudiste.

Bref, je ne saurais dire pourquoi, mais cette voiture arrêtée à un croisement 100 mètres plus loin, avec trois motards derrière, ça m’a fait couper les gaz et lever deux doigts et un pied au-dessus des freins.
À 30 m, le conducteur regarde de l’autre côté, mais pas du mien, je freine instinctivement.
À 15 m, il démarre sous mon nez, je tente de l’éviter par l’arrière, mais il est trop lent, je ferme les yeux : crash, boum, aïe comme dirait Jacques Dutronc.

Si je vous inflige cette anecdote personnelle, c’est pour deux raisons. D’abord pour expliquer pourquoi, lundi dernier, Michel Holtz a pris mon tour pour notre billet alternant et quinzomadaire, j’avais trop mal au poignet pour prendre le clavier. Pas d’autres gros bobos, merci de vous inquiéter.
Ensuite parce que le lendemain, je lisais qu’un projet de visite médicale périodique pour le permis de conduire allait être débattu au Parlement européen de Strasbourg. Son examen commence d’ailleurs cette semaine.

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Or, le Monsieur qui venait de me griller le stop à ce carrefour en T avait…79 ans.

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Le stop grillé : un accident de vieux…

Cette visite médicale périodique, sujet battu et rebattu de la sécurité routière depuis un demi-siècle, j’ai plusieurs fois enquêté dessus à Auto-Moto, sa faisabilité, la responsabilité des conducteurs âgés, leur vulnérabilité, les expériences menées à l’étranger. Et mon accident ne m’a pas fait changer d’avis : ça ne servirait à rien.

Pourtant, le stop ou la priorité grillée, c’est typiquement l’accident responsable du vieux monsieur ou de la vieille dame. La vue qui baisse mais surtout l’arthrose cervicale qui ralentit ou réduit les mouvements de la tête à partir de 70 ou 80 ans.

Ce handicap ne semble pas affecter mon papé qui, à peine remis de ses émotions, nous aide à ramasser les débris sur la route et à traîner ma moto, fourche pliée et roue tordue à l’écart du trafic, puis remplace seul sa roue arrière, déjantée par l’impact de la mienne.
C’est en remplissant le constat amiable à même le capot de sa voiture que je découvre son âge sur son permis : il ne fait pas ses presque 80 ans !
Pour moi, ce stop grillé ne doit pas grand-chose à l’âge, c’est plus simple que ça : le trafic était très faible dans mon sens, très dense en face, soit à la droite de mon « conducteur A » qui n’arrivait pas à trouver un créneau pour s’y insérer.

Cela arrive à tout le monde : au stop, on scrute surtout du côté où ça déboule à flot continu, moins ou pas de celui où personne ne vient… Et le fait d’avoir trois motards poireautant derrière son pare-chocs a sans doute contribué à le presser.

Une visite médicale ne pourrait rien à cela. En revanche un rond-point aurait évité l’accident.

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Responsabilité ou vulnérabilité ?

Et s’il faut parler d’âge, parlons du mien : à 20 ou 30 ans, j’aurais laissé ma peau sur ce carrefour, et sans doute tué le papé au passage.

Si je ne suis pas arrivé sur ce carrefour « à donf » alors que tout m’y invitait, visibilité parfaite et bitume impeccable, c’est parce que j’ai passé les 60 ans, que je pétoche un peu plus qu’avant et que j’aime un peu moins la vitesse. À 20 ou 30 ans, je n’aurais pas ralenti par précaution et donc pas vu à temps que le conducteur regardait de l’autre côté. À 20 ou 30 ans, on ne s’arrête pas à ces détails, on est prioritaire, point, et cette voiture, je l’aurais coupée en deux.

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C’est d’ailleurs ce que répètent toutes les études dans tous les pays : les seniors sont moins souvent impliqués dans les accidents et en sont moins souvent responsables que la moyenne des conducteurs et a fortiori que les jeunes. Et même si, au-delà de 80 ans, leur taux de responsabilité rejoint celui des 18-24 ans, la fréquence de leurs accidents reste bien moindre. Ce qui explique l’augmentation de leur mortalité à ce grand âge, ce n’est pas la faute de conduite, c’est leur vulnérabilité, leur plus grande fragilité.

Une liberté perdue ne se retrouve jamais

Le projet de règlement européen dont il est ici question me fait à la fois ricaner et froid dans le dos.

Ricaner par son côté faux derche. Pour que l’initiative ne soit pas vue comme une mesure anti-vieux, la première visite aura lieu dès le passage du permis alors que la première mouture, adoptée en décembre en commission Transport ne concernait que les plus de 60 ans. Résultat, pour que tous ces conducteurs de tous âges puissent y passer sans gros embouteillage, la visite ne sera imposée que tous les 15 ans… Vous vous imaginez contrôler la pression de vos pneus tous les 29 février ?
Ricaner car s’ils s’étaient renseignés, les initiateurs de ce contrôle technique du conducteur auraient su que bien des pays l’expérimentent déjà depuis longtemps (Pays-Bas, Danemark Espagne) sans le moindre effet sur leurs statistiques de mortalité routière.

C’est même écrit dans un rapport de novembre 2023 du très officiel, bruxellois et respectable European Safety Transport Council.

Mais quand on a la foi, et que l’on sait que l’électeur est majoritairement favorable au flicage de ses vieux, on ne s’encombre pas de ce genre de connaissance.

Je me souviens même qu’il y a 10 ou 15 ans, les Pays-Bas envisageaient d’abroger leur visite senior tant elle s’avérait inopérante. Ils n’ont pas osé : l’impératif de sécurité est une roue à cliquet qui ne tourne que dans un seul sens ; une liberté confisquée n’est jamais rendue, on ne sait jamais, elle pourrait servir.

Si aucune visite médicale n’a jamais donné de résultat probant, c’est tout simplement parce que, toutes les études le montrent, en vieillissant, les conducteurs s’adaptent à leurs capacités. D’abord en évitant de conduire de nuit, par mauvais temps, aux heures de pointe, puis en réduisant peu à peu leur rayon d’action. Pour ma mère, ça a été la grande ville à 30 km, puis la petite à 10 km et enfin, le bourg à 3 km. Ce week-end, à 91 ans passés, elle a retiré son permis de la boîte à gants pour le conserver comme souvenir. Voici trois ans qu’elle a totalement cessé de conduire.

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Le test de réflexe, avant ou après les cachets ?

Froid dans le dos surtout à cause de la logique technocratique et idéaliste du projet. De fausses bonnes idées, des règlements pavés de bonnes intentions et de grandes complications, l’Europe en a déjà imposé quelques-uns.

Comme l’obligation faite aux candidats britanniques au permis d’apprendre à conduire avec un professionnel et non plus avec papa-maman comme cela se pratiquait depuis toujours outre-manche. Résultat, légère aggravation de la mortalité des jeunes hommes.

Ou plus récemment, le contrôle technique des motos qui passera à côté de son seul objectif légitime, éradiquer les échappements bruyants ou polluants : ils seront démontés puis remontés à chaque contrôle.

Pour le contrôle technique des conducteurs, des tests de vue, d’audition et de réflexe seront au programme. Qui décidera des seuils éliminatoires ? Comment évoluera leur sévérité dans le temps et au gré de chaque accident un peu médiatisé ? Comme celle du contrôle technique automobile ? Il s’avère toujours plus intraitable bien que personne n’ait jamais pu démontrer, dans aucun pays, le moindre effet sur l’évolution du nombre de tués.

Pour prendre le Kangoo et aller faire ses courses au patelin d’à côté sans tuer personne, papy devra-t-il avoir 9/10 ou 8/10 aux deux yeux ? 5/10 d’un côté, ça passe si l’autre est à 8/10 ? Une oreille à 30 % et l’autre à 60 % c’est bon ? Il faut entendre le roulement qui chuinte ? Et le test de réflexe, ce sera avant ou après les cachets ? Au fait, les cachets, il faudra les déclarer ?

La question, au fond, c’est de savoir qui est dangereux et qui ne l’est pas, sachant que nous le sommes tous plus ou moins mais très rarement par incapacité physique ou vieillissement.

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On ne peut pas tout contrôler…

Car, pour ce que j’en sais, il y a des trous dans la raquette. On a le droit de conduire abruti par un rhume ou assourdi par sa sono poussée à fond. Il n’est non plus illégal d’avoir un pare-brise encrassé sur sa face interne au point qu’il devient littéralement opaque au soleil couchant. Ni de porter des lunettes aux branches si larges qu’elles font comme des œillères à un cheval et c’est pour ça que la dame ne m’avait pas vu, arrêté à vélo juste à côté d’elle et je vous épargne la suite.

Alors, faut-il brider la sono de nos voitures ? Sanctionner la saleté des pare-brise ? Imposer aux lunettiers des normes sur leurs montures ? Il n’en a jamais été question pour une raison évidente : on fait confiance aux gens. Et aussi pour une deuxième : on ne peut pas tout contrôler, et encore moins la bêtise.

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Aptitude médicale à quoi ?

C’est pour cela que cette prétention à évaluer nos capacités physiques à conduire me terrifie : il est impossible de le faire pertinemment car on ne sait pas ce que les gens font de leurs autos.

Aptitude médicale à quoi ? À taper son Paris-Nice dans la journée ou à aller voir le fiston en ville à 20 km ? À conduire une Mercedes de 350 chevaux ou une Citroën de 60 chevaux ? À conduire au rythme de Coyote du commercial pressé ou bien au risque de le ralentir un peu en roulant moins vite que lui ?
Au nom de quoi décidera que Monsieur et/ou Madame Machin sont condamnés à déménager en ville ou à l’Ephad faute de pouvoir se rendre chez le médecin, à la pharmacie et au supermarché ? À la campagne, priver une personne âgée du droit de conduire, c’est le condamner à l’isolement terminal. D’accord, il y a la voiturette, mais à quel coût et pour quel bénéfice en termes de sécurité ?

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Qui peut s’arroger ce droit ? Et surtout, en prétendant à quel résultat ?

C’est très simple, soit cette visite médicale n’écarte que quelques milliers de vieillards de la route. On aura alors trop des doigts d’une main pour dénombrer le nombre de vie sauvées à l’échelle du continent. Autant dire, rien.

Ou bien alors, elle interdit de conduite les 10 ou 15 % des Européens de plus de 70 ans qui ne sont plus assez performants face aux critères adoptés, et là, le résultat est évident et merveilleux par simple effet statistique : retirez dix millions de conducteurs de la route et dans le lot, ça en sauvera quelques dizaines ou centaines de l’accident qu’ils n’auront pu avoir.
Un peu comme pour les motards qui ont bien moins d’accidents quand il pleut, quand les routes glissent et les visières s’embuent… et que la moto reste au garage.

Personnellement, je préfère vivre dans une Europe qui déplore ses 20 000 et quelques tués par an sur la route - soit à peine plus que la seule France du début des années 70 - dont quelques dizaines ou centaines par la faute d’un trop vieux monsieur ou d’une trop vieille dame que dans une société qui, en rêvant d’un impossible objectif « zéro mort », condamne une partie de sa population à l’immobilité ou à la relégation.

Et je suis consterné que ce soit une eurodéputée EELV, une écologiste donc, qui porte au parlement de Strasbourg cette proposition de règlement digne des pires dystopies.

Si c’est cela l’humanisme et le progressisme, que le Grand Méchant Conservatisme nous en préserve !

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