Il y a quelques années, l’info aurait secoué les paddocks, les médias, les tifosis, les bistrots, les cours de récré et les bureaux. Mais rien de tout ça ne s’est produit lors de l’annonce de ce mardi. Et pourtant, ce jour-là, Bernie Ecclestone, le milliardaire et proprio de la F1 a lâché une bombe en confirmant qu’il vendait son affaire. Deux acheteurs seraient sur les rangs : les Qataris et un businessman américain.

Évidemment, empocher 19 milliards d’euros, le montant supposé de la transaction, c’est tentant. Et à 84 ans, le garçon aux faux airs du regretté Cabu peut songer, grâce à ce maigre pécule, à assurer sa retraite et entretenir un jardinet qui lui permettra de cultiver les fruits et légumes de ses vieux jours. Mais pour qu’oncle Bernie lâche une affaire, il faut que cette affaire n’en soit plus une. Sauf que l’on sait l’Anglais suffisamment malin pour la lâcher avant qu’elle ne vaille plus rien. Et profiter au passage de la manne Qatari, un pays ravi de piquer un Grand Prix à son voisin du Bahreïn en rachetant le lot complet des 19 courses.

Des audiences TV en baisse

Ce changement de main est plus qu’une ultime pirouette de l’argentier, c’est peut-être le signe de la fin d’une époque : celle du sport automobile et de sa discipline reine. Un truc du XXe siècle qui ne survivra probablement pas au nouveau. La F1 n’intéresse plus grand-monde, du moins en Europe. Diffusée gratuitement sur TF1 pendant des lustres, les Grands Prix s’en sont allés sur Canal + en 2013. Officiellement, la chaîne cryptée a piqué la galette à TF1 en mettant un gros paquet de dollars sur la table. Mais en réalité, la direction de la première chaîne était ravie que Canal lui ravisse des droits qui lui coûtaient un bras. Car les audiences se sont effondrées année après année. Et pas que dans l’Hexagone. Le constat est similaire en Allemagne, et même en Angleterre. Qui regarde la F1 aujourd’hui ? Des seniors qui se souviennent la larme à l’œil des duels de Gilles Villeneuve et René Arnoux, des combats de Niki Lauda et James Hunt. Évidemment, il reste quelques aficionados passionnés, quelques accros de l’auto, mais ils ne suffisent pas à booster une audience. Et dans le cas de Canal, à faire décoller ses abonnements.

Bien sûr, on peut toujours accuser le spectacle de ne plus rien proposer de... spectaculaire. On peut même dater précisément la fin de la récréation. Elle a été sifflée un dimanche après-midi, le 1er mai 1994, à 14h18, dans le virage de Tamburello à Imola. Depuis ce jour-là, celui de la mort d’Ayrton Senna, la F1 s’est arrêtée d’être ce qu’elle a toujours été : un jeu ultra-dangereux dont les héros n’étaient pas sûrs de rentrer chez eux le soir, après la course. Après ce jour funeste, des mesures ont été prises, la sécurité s’est emparée de la piste et un Grand Prix moderne n’est plus que la musique d’accompagnement de la sieste dominicale.

L’Europe de la F1 est en Azerbaïdjan

Le retour en arrière est impensable. Dans une société dédiée à la sécurité maximale, il ne saurait être question de risquer sa vie pour l’amour du sport. On peut hurler à la rationalisation de tout, au principe de précaution poussé à outrance. On peut tenter de lutter contre l’inexorable. Sauf que même ceux qui regardaient les Grands Prix de la grande époque comme des jeux du cirque n’oseront pas avouer aujourd’hui qu’ils y frissonnaient devant le drame. La F1 moderne, elle, pendant ce temps se réfugie dans quelques pays obscurs qui ne somnolent pas encore à son spectacle. Des pays comme l’Azerbaïdjan ou, justement, se déroulera le prochain Grand Prix d’Europe 2016, à l’ombre du palais du président Ilham Aliev. Pas vraiment l’homme politique le plus démocrate du monde.

Bernie, toujours lui, a déclaré, en signant le contrat instaurant le futur Grand Prix que « tout le monde a l’air heureux dans ce pays ». Lui, en tout cas a l’air ravi d’avoir délesté un dictateur de quelques millions d’euros, et de s’apprêter à se débarrasser d’une entreprise en déclin.