En France, comme à l'étranger, les chercheurs dans leur ensemble se rejoignent pour affirmer que le système des radars automatiques a eu un impact positif et significatif sur l'évolution de la mortalité routière dans les pays où ils ont été installés. Car « faire baisser la vitesse, c'est d'une efficacité redoutable », nous fait remarquer Jean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR). A n'en pas douter, la pression pour contraindre les conducteurs à lever le pied n'est pas près de s'arrêter. Réduire la vitesse de 10 km/h sur le réseau secondaire, de 90 à 80 km/h, comme il en est question ce lundi matin, dans le cadre de la 6e réunion plénière du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), nous pend bien au nez.

Pour en revenir sur l'impact chiffré des radars en France, il n'y a eu finalement que deux études scientifiques sur le sujet. Et encore... Le travail de Sébastien Roux et Philippe Zamora*, comme ils l'ont reconnu eux-mêmes, paraît limité compte tenu du « débat public portant sur l'effet global des radars ». Ils précisent ainsi : « Cette étude se borne à l'examen de l'effet direct local des radars fixes. Il y a trop peu de sites en France où des radars fixes ont été installés pour que leurs effets locaux, une fois agrégés, puissent intégralement rendre compte de la baisse des accidents constatés au niveau national ». Et au final, une seule étude a donc réellement tenté de répondre à cette question générale de « combien de vies le contrôle automatisé des vitesses a-t-il pu sauver ? », celle de Laurent Carnis et Etienne Blais. Mais une étude qui n'en soulève pas moins quelques interrogations.

 

De 10 000 à 30 000 vies sauvées... à la louche !

Selon l'estimation des deux chercheurs, entre novembre 2003 et décembre 2010, « environ 15 193 tués (...) ont été empêchés grâce aux radars automatiques. » Mais comment expliquer alors que, si l'on prend les mêmes périodes d'étude et de comparaison (soit de 1999 à 2010), nos propres projections n'arrivent même pas à 15 000 vies sauvées, mais précisément à 12 310, toutes causes confondues (et pas seulement du fait des radars) ? « Ah, mais cela ne veut pas dire que les vies gagnées d'un côté n'ont pas été finalement perdues par ailleurs ! », nous a répondu sans ciller Laurent Carnis. Certes. Il n'empêche qu'un tel écart reste troublant pour le profane...

Les plus farouches défenseurs des radars pourront faire remarquer que la fourchette haute de l'étude de Carnis se situe carrément à plus de 22 000 morts gagnées sur la période, et a contrario, ceux qui n'ont de cesse de minimiser leur impact arguer du fait que la fourchette basse est donnée à à peine plus de 8 200... Ce qui en extrapolant sur 2003-2013 donnerait de moins de 12 000 à plus de 31 000 vies économisées en dix ans grâce aux automates. Nul besoin d'être un grand scientifique pour se rendre compte que selon où l'on place le curseur, le bilan n'est plus du tout le même !

Pour tous nos interlocuteurs, l'installation des radars ne peut en outre tout expliquer. Il reste donc des inconnues que les chercheurs interrogés n'ont pour le coup pas réussi à dissiper. Que dire de la hausse des prix à la pompe ? De la crise économique ? Ou encore de l'amélioration de la sécurité des véhicules ? « Si le conducteur se sent à l'abri car sa voiture est équipée de toute une panoplie de dispositifs de sécurité, il n'est pas dit qu'il ne se permette pas justement de prendre davantage de risques sur la route ! », nous rétorque Laurent Carnis. A trop se sentir rassuré, il n'est pas dit en effet que cela soit toujours bien avantageux... L'idée se comprend. En l'occurrence, le bilan resterait quand même positif, selon une étude** mentionnée par Carnis lui-même.

 

Que dire de la réduction des kilomètres parcourus en France ?

Surtout, quelle est l'incidence de la stagnation, voire du recul ces toutes dernières années, du nombre de kilomètres parcourus en France ? D'ailleurs, les radars n'y sont-ils pour rien dans ce coup d'arrêt ? A cela, nos interlocuteurs – des chercheurs aux responsables de la Sécurité routière – nous ont répondu que c'était un argument digne des plus farouches opposants aux radars. La question n'en mérite pas moins d'être posée. Le bilan positif de la mortalité routière est-il en majorité à mettre à l'actif des radars, ou tout simplement à la réduction des distances parcourues ?

Exclusif - Vies sauvées grâce aux radars : les vrais chiffres calculés par Caradisiac

Cela fait déjà quelques années que le phénomène, baptisé « Peak Travel », selon lequel il existe en fait un maximum en ce qui concerne la mobilité, a été identifié en France, comme à à l'étranger. Et l'installation des radars à elle seule ne peut donc entièrement l'expliquer. Mais il reste à savoir si les automates n'ont pas contribué à atteindre cette éventuelle limite plus rapidement.

 

Un palier n'a-t-il pas été atteint ?

Enfin, à y regarder de plus près, il semblerait bien que les gains à espérer sur la mortalité routière soient de plus en plus difficiles à obtenir...On s'en rend facilement compte lorsque l'on s'intéresse au nombre de tués par rapport justement aux distances parcourues (cf. les courbes de dessous). Même si les bilans de la mortalité routière ne cessent encore de s'améliorer, il paraît évident que les gains - compte tenu de ce ratio tués/kilomètres parcourus – ne sont pas aussi intéressants qu'avant. Et tout particulièrement depuis l'arrivée des radars !

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Vu la courbe ci-dessus, on aurait même l'impression d'être d'ores et déjà à l'arrêt. Qu'en penser ? Les chercheurs interrogés ne nous ont guère aidés sur ce sujet. Faut-il en conclure que nous aurons bien du mal à surpasser le dernier bilan obtenu, de quelque 3 268 tués en 2013 ? Que l'objectif fixé par nos autorités de passer sous la barre des 2 000 morts à l'horizon de 2020 est carrément utopique ? A priori, on n'en serait tout de même pas encore là ! Pour l'heure, on se rapprocherait seulement de ce palier sous lequel il sera bien délicat de descendre... tant que la voiture conduite par un conducteur existera, tout du moins. Ou à moins de ne plus rouler du tout !

 

Ce qu'il faut retenir de notre enquête :

Oui, les radars (de vitesse) ont certainement contribué à l'embellie sur les routes. Mais...

  • 1 – Est-ce bien la raison principale ? En tout cas, la seule qui serait valable à évaluer ? Il nous paraît évident que l'installation de radars automatiques – comme leur seule annonce d'ailleurs – a contribué à l'amélioration de la mortalité routière ces dernières années. Mais la baisse des distances parcourues en France aussi, cela pourrait paraître tout aussi évident ! A quand une étude scientifique sur le sujet dans sa globalité, dans laquelle tous les facteurs ayant a priori participé à l'embellie seraient répertoriés et analysés ?
  • 2 – Jusqu'à quel point précisément ? Il paraît bien compliqué de réussir à chiffrer l'impact des radars. Il n'y a qu'à voir la fourchette étendue des morts évités (de 8 230 à 22 157) de l'étude de Laurent Carnis et Etienne Blais...
  • 3 – Que de mensonges – ou au mieux d'informations déformées – diffusés sur le sujet ! Et ce, sans entrave ou presque... On n'a guère entendu les experts se rebeller contre le prétendu bilan des 36 000 vies sauvées du ministère de l'Intérieur au cours de notre enquête ! A quand un vrai changement et une communication honnête dans ce domaine ? Les chercheurs pourraient d'ailleurs commencer par nous éclairer sur la véritable ambition des radars automatiques aux feux rouges... Une belle escroquerie, semble-t-il. Car pour ce qui est de la sécurité routière, ce ne serait « vraiment pas la panacée », n'a pas hésité à nous lâcher l'accidentologue, Jean Chapelon.


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*Dans leur étude publiée par l'INSEE en novembre 2013, ces deux chercheurs du CREST ont évalué que « l'installation des radars fixes (…) aurait évité environ 740 décès ».

**Les améliorations techniques des véhicules, introduites entre 2000 et 2010, et leur diffusion dans le parc circulant en France auraient contribué à réduire de 11 % le nombre de tués et de blessés graves, selon une étude réalisée par Yves Page, Thierry Hermitte et Sophie Cuny en 2011.