La Scuderia Ferrari qui s’est bâtie le plus glorieux des palmarès a toujours exercé un pouvoir attractif sur les pilotes. Une fascination étrange et magique, l’aboutissement d’une carrière sans garantie formelle de succès.

ALAIN PROST LE HUITIEME CAVALIER

Octobre 1947, dans le parc Valentino, théâtre du GP de Turin, la concurrence est sévère pour la toute jeune marque de Maranello. Les deux Maserati de Villoresi et Ascari partagent la première ligne avec la Talbot de Pozzi, mais c’est pourtant la Ferrari 159S de Sommer qui prend le meilleur départ. Pendant les 504 km de course, le Français conservera son avantage et offrira à Ferrari la 4 e victoire de son histoire. Un an plus tard, comme pour marquer cet heureux anniversaire. Ferrari lui confie une vraie F1. La Tipo 125 effectue ici ses débuts et Sommer sous une pluie battante termine en 3 e position. Vainqueur des GP de Reims et de Florence avec une 166 F2 officielle en 1948 toujours, il passe ensuite chez Talbot et Gordini avant d’acheter une Ferrari 125 F1 pour la saison 1950. Avec sa Ferrari couleur bleu-France, il termine 4 e à Monaco mais pilote une nouvelle fois pour la Scuderia à l’occasion du GP de Berne qu’il remporte avec une 166 F2. Ce sera sa dernière sortie comme officiel Ferrari car les négociations entreprises avant le GP d’Italie buteront sur de sombres histoires de règlement. Sommer prendra finalement le départ sur une Talbot pour son dernier GP. Une semaine plus tard, il trouvait la mort à Cadours au volant d’une petite Cooper. " Il fut vraiment un grand pilote et un ami très cher" devait déclarer ensuite Enzo Ferrari en hommage à ce Français qui avait débuté sa collaboration avec la Scuderia en 1936 à l’époque des Alfa Romeo décorées du " Cavallino".

ANDRE SIMON

Garagiste parisien, André Simon partage sa passion des moteurs avec son très respecté "patron", Amédée Gordini pour lequel il pilote en formule 2 au cours de cette année 1951. C’est à l’occasion du GP de Modène que Simon va saisir sa chance. Sur ce circuit, terrain d’entraînement privilégié des équipes Ferrari et Maserati, la Scuderia fait débuter les nouvelles Tipo 500 qui survoleront les championnats du monde 1952-53. Peu impressionnable, Simon et sa Gordini prennent la course en main dès le départ mais l’exhibition sera bientôt ruinée par une défaillance mécanique. Qu’importe, le Français a séduit le Commandatore et lendemain matin, Simon va signer son contrat à Maranello. Ce n’est qu’au mois de mai 1952 qu’il effectue ses débuts au volant de la 500 F2 au GP de Berne en remplacement d’Ascari parti se qualifier à Indianapolis. Farina alors second derrière son équipier Taruffi est contraint à l’abandon et Simon doit lui céder sa voiture. Même scénario au GP de Comminges où cette fois, c’est Ascari qui lui "vole" sa voiture pour la conduire à la victoire. Ce sera son unique victoire (en copropriété) au volant d’une Ferrari officielle. La maladie écartera malheureusement le Français des circuits en 1953 mais il poursuivra une carrière très polyvalente jusqu’au milieu des années soixante, couronnée par une victoire au Tour de France Auto sur une Ferrari 250 GT.

MAURICE TRINTIGNANT

Une étape de trois saisons dans une carrière d’une longévité exceptionnelle commencée en 1938 avec une Bugatti pour s’achever aux 24 Heures du Mans 1965 avec une Ford GT 40. Peu de pilotes peuvent se targuer d’avoir côtoyer sur la piste Nuvolari, Caraciola, Ascari, Fangio, Moss, Clark et Stewart. C’est au début de l’année 1954, qu’il signe son contrat avec Ferrari de retour d’Argentine où il s’est imposé au GP de Buenos Aires avec une Ferrari "privée" de l’équipe de Louis Rosier. Une très belle saison pour le Français qui en seize courses s’offre sept podiums et deux victoires à Rouen et Caen ainsi qu’une 3 e en copropriété avec Gonzales à Silverstone. En 1955, le miracle se produit à Monaco. Avec sa Ferrari 625, il est le premier pilote français à remporter un GP de championnat du Monde. C’est d’ailleurs le seul succès non Mercedes de l’année. Tenté par le retour de Bugatti en GP en 1956, il ne conduit plus pour la Scuderia qu’en Sport mais renoue avec succès à la monoplace en enlevant le GP de Reims F2 en juillet 57 avec une 156 F2. Ce sera sa dernière victoire sur Ferrari.

DIDIER PIRONI

Sur le circuit d’Hockenheim noyé par la pluie, Didier Pironi suit sans la voir la Williams de Derek Daly. Lorsque l’Irlandais libère la trajectoire, la puissance du turbo de la Ferrari le propulse dans les roues arrière de la Renault de Prost masquée par des murs d’eau. La monoplace rouge fait une fantastique cabriole avant de retomber lourdement sur le museau, broyant les jambes de son pilote. Au moment de ce terrible accident, Didier est largement en tête du championnat du Monde avec 39 points d’avance et ce n’est que trois GP plus tard que Rosberg parviendra à égaler ce score puis le dépasser pour empocher le titre. Le Français qui n’avait disputé que 10 GP sur 16 était tout de même deuxième du championnat à 5 points seulement du Finlandais. Vainqueur moral de ce championnat, il aurait pu devenir le premier champion du monde français mais 1982 était une saison d’une noirceur désespérée pour la Scuderia. Première alerte au Canada. Pironi est heurté au départ par l’Osella de Paletti qui trouve la mort, c’est ensuite la rivalité exacerbée de Saint Marin entre le Français et son coéquipier Gilles Villeneuve qui se conclut quinze jours plus tard par la mort du "Petit Prince" aux essais du GP de Belgique. Le Québécois prenant les risques les plus fous pour devancer son ex-ami sur la grille de départ. Et enfin ce tragique samedi en Allemagne. Enzo Ferrari qui aimait passionnément ses deux pilotes envoya un Trophée au Français ainsi gravé : " A Didier Pironi, le vrai Champion du Monde 1982". Pendant les quelques mois qui suivirent l’accident, les relations entre le Commendatore et son ancien pilote se transformèrent en une véritable amitié, brutalement interrompue par le monstrueux accident d’off shore de l’été 1987.

PATRICK TAMBAY

Profondément dépité par le manque de sérieux d’une équipe Mc Laren qui n’est plus que l’ombre d’elle-même avant l’arrivée de Ron Dennis et écœuré encore un peu plus de la Formule 1 par son rôle de figurant au volant de la très laide Theodore, Patrick en cette année 82 a retraversé l’Atlantique pour retrouver le championnat Canam. Le "French man" n’est pas un inconnu aux Etats-Unis où cinq ans plus tôt il a enlevé le championnat qui est encore à l’époque une bonne base de lancement. L’ancien "pilote Elf" se refait donc une santé aux States, lorsque son ami Pironi l’appelle à ses côtés au sein de la Scuderia pour remplacer Gilles Villeneuve. Patrick débute à Zandvoort et, dès sa seconde course en Angleterre, il occupe la troisième place du podium derrière Pironi et Lauda. La Scuderia se met à apprendre le français. Du jamais vu à Maranello, avec une équipe F1 100 % française. Malheureusement. Et puis c’est l’accident de Didier à Hockenheim. Le lendemain Patrick enlève son premier GP tenant ainsi toutes les promesses placées en lui et c’est le visage marqué par la tristesse plus que par la joie de la victoire qu’il monte sur la plus haute marche du podium en tenant symboliquement un drapeau italien. L’année suivante, il est rejoint chez Ferrari par René Arnoux et la cohabitation entre les deux Français n’est pas des plus heureuses. Vainqueur à Saint Marin, Tambay n’est pourtant guère ménagé par les responsables de la Scuderia qui affichent une préférence pour Arnoux. Dès le mois de juillet, le contrat de Patrick n’est pas renouvelé et celui-ci, plein d’espoir, signe chez Renault qui ne sait pas encore qu’en perdant Alain Prost l’écurie avait perdu son âme et ses ambitions.

RENE ARNOUX

Lorsque René Arnoux descend de sa Ferrari qu’il a menée à la quatrième place de ce GP du Brésil, il ne sait pas encore que sa saison 85 est déjà terminée. Dans la coulisse, son sort vient de se sceller entre Marco Piccinini, le directeur de la Scuderia et John Hogan, le responsable du sponsoring de Malboro. C’est en effet le géant américain du tabac qui prend à sa charge le salaire des pilotes de Ferrari. Hogan donne son accord au changement de pilote et dès le prochain GP c’est Johansson qui prend le baquet du Français. Arnoux n’est prévenu qu’une semaine plus tard par le Commendatore en personne au cours d’une entrevue complètement surréaliste qui laisse le Français sans réaction.

Les nuages se sont amoncelés pendant la saison 84, Alboreto offre une meilleure réplique aux intouchables Mc Laren, tandis que le mordant d’Arnoux semble s’être émoussé au contact de la «dolce vita» transalpine. Victime de problèmes musculaires, René a toutes les peines du monde à faire accréditer cette thèse et son contrat tarde à être prolonger. Aux trois victoires de 1983 et aux huit pole positions, il ne peut opposer en 81 que deux secondes places. Arnoux vient d’apprendre à ses dépens que tout relâchement de motivation, toute baisse de forme était interdite au sein de la Scuderia surtout si celle-ci était malmenée par la concurrence.

JEAN BEHRA

La tension monte, le 5 juillet 1959, dans le stand Ferrari du circuit de Reims où se dispute le GP de l’ACF. Déçu par les contre-performances à répétition de sa voiture, irrité par l’interdiction qui lui a été faite de s’aligner au GP F2 avec sa Porsche spéciale, Jean Behra affronte Tavoni, le directeur sportif de la Scuderia. Remonté en 3 e position le moteur de la Ferrari a encore une fois lâché, le ton monte, et selon des témoins Tavoni encaisse une gifle. La rupture est inévitable. Behra quitte Ferrari seulement après trois GP et ce n’est pas la victoire dans le modeste meeting d’Aintree qui peut consoler le Français. En ralliant la Scuderia double championne du monde en F1 et en Sport en 1958, Behra espérait enfin inscrire son nom à un GP de Championnat du Monde. Une victoire après laquelle il courait déjà depuis sept ans où en ce mois de juillet 52 il avait battu les Ferrari officielles à Reims avec sa Gordini. Devenu l’idole du public français, il est toujours passé à côté de la plus haute marche du podium, que ce soit volant des Maserati, BRM ou Gordini de ses débuts. Il n’inscrira mais son nom au palmarès mondial. Le 1 er août 1959, son spider Porsche glissant sur l’anneau de briques l’Avus ira se fracasser sur un bloc béton.

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