D'abord, parce que les voitures, ce sont elles qui les choisissent. Pas seulement le tiers des voitures neuves que les Françaises se payent et immatriculent elles-mêmes. Lors de l'achat du véhicule familial, c'est, selon les études des constructeurs, Madame qui a désormais le plus souvent le dernier mot. En fait, l'immense majorité des voitures neuves est choisie par des femmes.

Ce sont les mères de famille américaines, puis celles du Vieux Continent, qui ont fait le succès du monospace, l'auto qui a tranché son capot - ce prétendu substitut du kiki chez le mâle occidental. Elles qui ont transformé les vilains 4x4 en gentils SUV qu'elles ont ensuite croisés avec des familiales pour accoucher du mignon crossover, tellement bien élevé qu'il ne grimperait plus un trottoir. La mode du néo-rétro (Mini, Volkswagen Beetle, Fiat 500…) leur serait également imputable, témoignant moins de leur nostalgie que de leur ironie innée à l'égard de la haute technologie.

Qu'on le veuille ou non, ce sont désormais les femmes plus que les hommes qui directement ou indirectement arbitrent les élégances automobiles, et même les succès et les échecs. La voiture d'homme telle qu'on l'entendait au siècle dernier est en voie d'extinction. Les coupés des années 60-70 et les GTI des années 80-90 sont désormais anecdotiques dans les immatriculations. L'honorable berline du paterfamilias a vu ses ventes fondre de plus de moitié ces quinze dernières années. On reconnaît même chez Renault que s'il y avait eu plus de femmes consultées dans les Focus Group où l'on testait auprès de clients potentiels les maquettes de la Vel Satis, celle-ci se serait épargné son design de char FT-17 et sa gaullienne hauteur sous pavillon qui ne lui ont pas réussi.

Avons-nous abdiqué toute passion pour l'automobile ? Ecoutez le mâle moyen choisir sa "bagnole" . Est-ce fiable ? Cher à assurer ? Quel rabais ? Et la revente ? A en croire les vendeurs, nous les hommes achetons nos voitures comme on se paye un lave-linge. Et incultes avec ça, n'hésitant plus entre une traction ou une propulsion, un V6 ou un flat four, mais nous extasiant sur des gadgets. Pour nous faire signer le bon de commande, pas la peine de sortir un schéma technique ni les chevaux de l'écurie, il suffit d'une interface pour smartphone, d'une caméra de recul et d'un régulateur de vitesse adaptatif. Sans nous épargner pour autant des questions existentielles : est ce que ça ne fait pas trop bourge ? Trop cacou ? Trop vieux ? Trop beauf ?

Les femmes ont un rapport moins compliqué avec l'objet : elles regardent et essayent. Ça leur plaît ? Elles achètent. En oubliant parfois de négocier le tarif.

Regardez ce qui roule dans une grande ville : hormis quelques bolides, que reste-t-il d'agréable à voir passer, d'un peu original, coloré ou joliment dessiné ? Des voitures conduites par des filles. Féminines ? Ça reste à voir. La Mini se vend très majoritairement en version Cooper, grosses roues et échappement chromé. Ou encore en 4x4 Countryman, l'engin qui monopolisait le podium du dernier Paris-Dakar… Si la marque anglaise s'est massivement engagée dans la plus virile des compétitions automobiles, ce n'est pas pour élargir sa clientèle aux bûcherons, mais pour rassurer ses clientes : non, vous ne conduisez pas une petite auto de gonzesse, mais bien une bagnole "d'homme". Même Fiat s'échine à mettre du poil aux pattes de sa 500 à coups de kits compète, de versions Abarth et de pubs avec Alonso. Vendre une mignonne voiture "pour vous madame" est devenu le plus sûr moyen de se la garder dans le stock comme l'a montré le bide français de Daihatsu avec ses très "girly" Cuore, Trevis et Materia.

Bref, la voiture de femme est sous testostérone. Tous les vendeurs le disent : on ne vend pas un veau à une femme, même une Citroën C1 il faut que ça accélère, elles sont intraitables sur le sujet. A un homme, il suffit d'expliquer que la boîte tire long pour économiser le carburant, rappeler qu'il y a un bonus de 200 euros, que de toute façon, avec les radars…

Ce n'est pas parti pour changer : un sondage de la société de conseil et de communication A Comm auprès de 1 000 jeunes français de 16 à 18 ans vient de montrer que les filles sont beaucoup plus nombreuses que les garçons à considérer qu'avoir le permis de conduire est important. Et elles sont un peu moins nombreuses qu'eux à voir dans la voiture avant tout un objet utilitaire. Résultat, pendant que nous partons au boulot au volant de notre bétaillère diesel, madame file au turbin dans sa Nissan Juke.

Que nous reste-t-il à nous les hommes ? Une prérogative incontestée : nous tuer sur la route. Trois fois plus d'hommes que de femmes perdent la vie en voiture. Derrière le volant, c'est six fois plus. Les femmes meurent à la place du passager dans 43 % des cas contre 14 % pour les hommes.