La cigale DS et la fourmi 403 - Jean-Michel Normand refait... Le Monde
D'un côté la mythique Citroën, et de l'autre une Peugeot qui n'aura guère marqué les mémoires. Pourtant, à l'heure de dresser le bilan comptable de ces deux voitures aux lancements concomitants, la moins flamboyante des deux l'emporte haut la main.

Sa majesté Ds, carrosserie champagne et toit aubergine, dévoilée sur un podium tournant cerné par une foule de badauds incrédules. Cette apparition – dans le sens religieux du terme, ou presque – observée le 6 octobre1955 sous les ors du Grand Palais figure parmi les images d’Epinal de l’histoire automobile.


On l’a presque oublié mais ce jour-là, une autre nouveauté bien française est présentée au public. La 403 qui partage les honneurs du stand Peugeot avec son aînée la 203 fascine nettement moins les foules. La comparaison avec la DS, à vrai dire, est cruelle. Point de carrosserie fuselée, de suspension oléopneumatique, de volant monobranche, de capot plongeant, de clignotants en forme de tuyère ou d’espace intérieur inspiré des arts ménagers. La 403 aux rondeurs débonnaires dispose d’antiques flèches directionnelles unique fantaisie consiste à dissimuler la trappe à essence derrière le catadioptre du feu arrière gauche.


Célébrée par Roland Barthes, la cathédrale de Citroën, constructeur parisien dirigé par la très catholique famille Michelin, s’adresse à une clientèle aisée éprise de produits d’avant-garde ne dédaignant pas afficher sa réussite sociale. La 403 extrapolée de la 203 et conçue par une maison franc-comtoise au racines protestantes assumées s’en tient à une approche éprouvée mais vieillissante. Première Peugeot dessinée par Pininfarina, cette berline grassouillette n’a rien d’une jeune première mais elle fait sérieux et inspire confiance. La petite bourgeoisie de province s’en accommode fort bien.
Profil bas mais rentabilité au top
Au salon de Paris, la DS engrange 749 commandes en trois-quarts d’heure et 12 000 pendant la première journée du salon. Peugeot, pour sa part, reste discret sur ses ordres d’achat. La firme sochalienne considère depuis longtemps que son principal concurrent se trouve quai de Javel mais elle ne se formalise guère de cet effet de contraste. La veille de l’ouverture du salon, Pierre Bercot, le patron de Citroën, a convié ses homologues à découvrir en avant-première la DS dont il ne doute pas qu’elle va faire grosse impression. Jean-Pierre Peugeot accepte l’invitation et en sort soulagé. Il rassure son conseil d’administration : la nouvelle Citroën, proposée à partir de 950 000 (anciens) Francs, est certes brillante mais elle laisse le champ libre à la 403, 200 000 Francs moins chère. Celle-ci va pouvoir creuser son sillon.
Le début de carrière de la DS est marqué par de fréquents problèmes de fiabilité et les premiers clients, comme il est alors courant, essuient les plâtres. Rien de tel du côté de la 403 qui tourne comme une horloge.
Sur la route, les agiles DS dépassent en trombe les flegmatiques 403 mais si l’on compare les bilans comptables, la marque au lion vire en tête. "Dans ces années, la Peugeot est considérablement plus rentable avec une marge qui tourne autour de 15 % contre quelque 5 % pour la Citroën" rappelle l’historien de l’automobile Jean-Louis Loubet. Explication : "la DS, c’est la technologie aéronautique au prix de la grande série et ce n’est pas facile à rentabiliser alors que la 403, forte d’une base technique éprouvée, coûte beaucoup moins cher à produire."
2,7 millions d'exemplaires à elles deux
Sur ses vingt années de carrière, la DS aura été fabriquée à 1,5 million d’unités et bien résisté à l’usure du temps puisque l’apogée de sa diffusion est atteint en 1970 avec 103 633 voitures. Hélas, longtemps seule à assurer la profitabilité de la marque en l’absence d’un modèle de milieu de gamme – la 2CV, soumise au strict encadrement de son prix par les pouvoirs publics, ne rapporte pas grand’chose – elle ne pourra pas enrayer le déclin de Citroën qui perd beaucoup d’argent au début des années 1970. Dans la France des Trente glorieuses, vendre des voitures de chauffeur de taxi est plus rémunérateur que viser une clientèle de ministres ou de patrons.
Produite à 1,2 million d’exemplaires mais pendant seulement onze ans, la 403 va assurer, seule, la prospérité de Peugeot jusqu’à l’arrivée de la 404 en 1961. Un modèle résolument moderne, hommage indirect au brio de la DS qui mettra un terme à sa carrière en 1975. Quelques mois à peine après l’absorption de Citroën par Peugeot au sein du groupe PSA.

















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