Le Mastermind est un jeu de logique et de déduction auquel j’ai beaucoup joué enfant et, forcément, j’ai eu envie d’y initier mon aîné, 8 ans. Pour ceux qui ne s’y sont jamais essayés, le principe est simple : sur un socle, vous plantez, cachés à la vue de l’adversaire, quatre bâtonnets de couleurs choisis parmi huit teintes différentes. A lui de rechercher par essais successifs la bonne combinaison à l’aide des réponses que vous lui apportez à l’aide de pions blancs - bonne couleur mais à la mauvaise place - ou rouges : bonne couleur à la bonne place.

Ça, c’était le jeu de 1976.

Celui du Père Noël 2014 est très différent, ressemblant plus à un vaisseau spatial qu’à un jeu de société. On ne plante plus quatre pions derrière un cache, mais on tourne les molettes d’un petit satellite qui tient dans la main pour faire apparaître les couleurs dans des hublots. Hélas, le moindre effleurement de l’objet change la combinaison. Pire, au lieu de planter les bâtonnets blancs et rouges de la réponse à côté de ceux des combinaisons proposées, on tire de chaque côté de l’objet des réglettes blanches et rouges, d’autant de crans que l’on mettrait de pions. L’ennui, c’est qu’en tirant une réglette, on peut enfoncer sa voisine. Et comme en prime elles sont plantées deux centimètres plus bas que les pions, le joueur à l'opposé ne voit pas bien en face de quelles rangées de pions elles se trouvent : question de parallaxe. Bref, un jeu injouable qui fatigue plus les nerfs que le ciboulot et une excellente illustration de comment rendre inutilisable un objet en le sophistiquant.

En automobile, j’en ai déjà vu quelques exemples. Je ne veux pas évoquer l’imbécillité marketing ordinaire qui consiste à garnir un SUV de pneus taille super-basse qui crèveront au premier chemin rocailleux où à moquetter pure laine couleur beurre frais la soute d’un break familial. Je veux simplement citer quelques brillantes idées d’ingénieurs qui se sont voulus plus malins que le client. Et qui, de fait, l’ont été.

Je me souviens notamment de ce petit bouton sur une Audi qui commandait au choix la vitesse de ventilation OU la température. Il suffisait d’appuyer dessus pour passer d’une fonction à l’autre, ce que je n’ai compris qu’après 40 km dans la température de sauna qu’avait choisi le précédent conducteur. On m’objectera qu’un bouton en moins sur la planche de bord, c’est bien et qu’il suffit de le savoir. Je rétorquerai qu’avec ce genre de raisonnement, il faut inventer la pédale unique qui sert à la fois de frein et d’accélérateur en la déplaçant de droite à gauche. Il suffira de le savoir.

Sur une Renault Laguna, Il suffisait de savoir que pour être autorisé à glisser un CD dans l’autoradio, il fallait trouver un menu « Media », puis un sous-menu et un sous-sous menu pour que le bidule avale le CD. J’ai fait la moitié de Paris-Lille avec un copilote qui essayait de me faire écouter un disque qu’il venait d’acheter. Ça s’est arrangé sur une aire de repos avec le mode d’emploi.

Mode d’emploi que j’ai failli sortir pour gravir une rampe verglacée au volant d’un Land Rover : au menu de la transmission intégrale, il y avait « sable, neige, boue » et je ne sais plus quoi d’autre. J’ai préféré improviser une recette à base d’élan à la sauce « pied dans la tôle » pour que ça passe.

Dans une Jaguar à écran tactile (et conducteur débile), j’ai traversé tout Paris sans parvenir à écouter autre chose que Nostalgie. La nostalgie que j’ai ressentie, c’était celle des vieux autoradios à deux boutons…

Ces ingénieurs qui sophistiquent, qui perfectionnent et qui compliquent, au lieu de chercher à rendre le client plus intelligent, ils ne pourraient pas se consacrer à rendre nos voitures moins cons ? C’est qu’elles ont beau posséder la puissance de calcul des premiers Airbus A 320 nos chères bagnoles, elles ne sont toujours pas fichues d’empêcher qu’un plafonnier oublié ne décharge totalement la batterie. Ni d’alerter le conducteur qu’il va bientôt manquer de liquide lave-glace ou qu’une ampoule de feu est grillée.

Quant aux GPS, vingt-cinq ans après que j’aie essayé les premiers prototypes, ils ne sont toujours pas capables de vous emmener à Bois Colombes, mais seulement à Bois-Colombes (avec un tiret) alors que mon téléphone, si j’écris « zob », fait au moins l’effort de me proposer « zone ». Des GPS tellement bourrins qu’ils préfèrent vous faire aller de Peyrat le Château, pardon Peyrat-le-Château (Haute-Vienne) à Entraigues, pardon Antraigues (Ardèche) en 9 heures et 350 km de départementales à vaches alors qu’en faisant un petit écart, il est possible d’y aller en moins de 6 heures par 400 km de bonne nationale.

Ce n’est plus de sophistication dont nous avons besoin, c’est d’intelligence et de simplification. En attendant, si vous avez un vieux Mastermind qui traîne au grenier…