Filippo Tommaso Marinetti, dont le fameux Manifeste du Futuriste datant de 1909 est demeuré célèbre, était à l’initiative du mouvement littéraire et artistique futuriste, lequel allait, de l’Angleterre à la Russie en passant par la France ou l’Italie, prendre différentes teintes.


Marinetti n’y allait pas de main morte dans son manifeste. Il y écrivait notamment « Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace. » Marinetti n’en était pas, à l’époque, à une provocation près lui qui voulait carrément « tuer le clair de lune ».


Ce soir, je vous propose ce poème de Marinetti, issu du recueil La Ville charnelle publié en 1908.


« À mon Pégase


Dieu véhément d’une race d’acier,

Automobile ivre d’espace,

qui piétines d’angoisse, le mors aux dents stridentes !

Ô formidable monstre japonais aux yeux de forge,

nourri de flamme et d’huiles minérales,

affamé d’horizons et de proies sidérales,

je déchaîne ton cœur aux teuf-teufs diaboliques,

et tes géants pneumatiques, pour la danse

que tu mène sur les blanches routes du monde.

Je lâche enfin tes brides métalliques… Tu t’élances,

avec ivresse, dans l’Infini libérateur !…

Au fracas des abois de ta voix…

voilà que le Soleil couchant emboîte

ton pas véloce, accélérant sa palpitation

sanguinolente au ras de l’horizon…

Il galope là-bas, au fond des bois… regarde !…


Qu’importe, beau démon ?…

Je suis à ta merci… Prends-moi !

Sur la terre assourdie malgré tous ses échos,

sous le ciel aveuglé malgré ses astres d’or,

je vais exaspérant ma fièvre et mon désir

à coups de glaive en pleins naseaux !…

Et d’instant en instant, je redresse ma taille

pour sentir sur mon cou qui tressaille

s’enrouler les bras frais et duvetés du vent.


Ce sont tes bras charmeurs et lointains qui m’attirent !

ce vent, c’est ton haleine engloutissante,

insondable Infini qui m’absorbes avec joie !…

Ah ! Ah !… des moulins noirs, dégingandés,

ont tout à coup l’air de courir

sur leurs ailes de toile baleinée

comme sur des jambes démesurées…


Voilà que les Montagnes s’apprêtent à lancer

sur ma fuite des manteaux de fraîcheur somnolente…

Là ! Là ! regardez ! à ce tournant sinistre !…


Montagnes, ô Bétail monstrueux, ô Mammouths

qui trottez lourdement, arquant vos dos immenses,

vous voilà dépassés… noyés…

dans l’écheveau des brumes !…

Et j’entends vaguement

le fracas ronronnant que plaquent sur les routes

vos jambes colossales aux bottes de sept lieues…


Montagnes aux frais manteaux d’azur !…

Beaux fleuves respirant au clair de lune !…

Plaines ténébreuses ! je vous dépasse au grand galop

de ce monstre affolé… Étoiles, mes Étoiles,

entendez-vous ses pas, le fracas des abois

et ses poumons d’airain croulant interminablement?

J’accepte la gageure… avec Vous, mes Étoiles !…

Plus vite !… encore plus vite !…

Et sans répit, et sans repos !…

Lâchez les freins !… Vous ne pouvez ?…

Brisez-les donc !…

Que le pouls du moteur centuple ses élans ! »




Merci à Pierre.