Attentats à la voiture piégée : les années noires de l’Irlande du Nord
Août 1998. Quatre mois après la signature d’un traité censé marquer la fin de plusieurs décennies de violences, l’attentat d’Omagh vient semer le trouble dans le processus de paix. Il est 15h10 lorsqu’une voiture piégée, une Vauxhall Cavalier, explose sur Market Street.

Tout d’abord, retour en arrière sur l’un des éléments qui, 26 ans plus tôt, allait cristalliser et amplifier durablement les tensions en Irlande du Nord. Le 30 janvier 1972 une marche voulue comme pacifique se déroule à Londonderry (Derry), deuxième ville d’Irlande du Nord, au profit d’une égalité des droits entre la minorité catholique et la majorité protestante. Face aux manifestants, des parachutistes de l’Armée royale britannique, appelés en renfort avec un mot d’ordre : tirer à balles réelles…
Treize personnes sont tuées aveuglément ce jour-là, dont sept adolescents. On déplore par ailleurs une quinzaine de blessés. Un dimanche noir… Un traumatisme que conteront The Edge et Bono, les enfants du pays devenus leaders de U2 au milieu des années 80, entonnant un « Sunday Bloody Sunday » à la fois déchirant et porteur de paix.
La tragédie d'Omagh
Le conflit nord-irlandais s’est précisément amplifié ce jour de l’hiver 72, pour se pacifier contractuellement à la veille de l’an 2000. Au cœur de ce climat de tensions entretenu depuis la fin des années 60, il y a deux camps. D’un côté, les unionistes et loyalistes, de confession protestante et favorables politiquement au pouvoir britannique. Et de l’autre, les républicains et nationalistes, de religion catholique et partisans de l’indépendance.
Sur la carte de l’Ulster, Belfast, 350 000 habitants, symbolise malgré elle cette division communautaire, avec ses checkpoints nocturnes et ses murs de séparation atteignant parfois 8 mètres de haut. Nombreux de ces « peace walls » subsistent encore, 25 ans après l’accord de paix de 1998, notamment dans le nord-ouest de la ville. Illustration avec cette muraille qui borde froidement Cupar Way, un boulevard bordé de fresques militaristes , où l'on évolue comme dans un quasi « no man’s land ».
Ces trois décennies-là ont plongé l’Irlande du Nord dans une violence chronique. On dénombrait d'un côté des assassinats ciblés, et de l'autre, des vagues d'attentats de masse. Des tueries perpétrées notamment dans des pubs, dans des bus, ou par le biais de voitures piégées (à Belfast, à Derry, entre autres, mais aussi à Dublin ou à Londres), l’un des modes opératoires les plus utilisés par les groupes paramilitaires des deux camps (loyalistes et nationalistes) et avant tout par l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, entrée en résistance face à la mainmise du Royaume-Uni.
Ces années de terreur ont laissé des traces indélébiles. La nation reste particulièrement traumatisée par l'attentat du 15 août 1998. Le cauchemar se joue sur Market Street, dans le centre de la petite ville d’Omagh, 20 000 habitants, située à quelque 60 miles à l’ouest de Belfast. Une voiture est garée dans cette rue commerçante. Elle a été volée à un particulier deux jours plus tôt dans le comté irlandais de Monaghan (en Eire), de l’autre côté de la frontière.
230 kg d'explosifs dans la Vauxhall
C’est une Vauxhall Cavalier rouge, un modèle de troisième génération (1988-1995) maquillé d’une fausse plaque nord-irlandaise et immatriculé MDZ 5211. Devancés par un véhicule jouant les éclaireurs, tout en restant en communication permanente avec deux autres voitures, le conducteur et son passager traversent la frontière sans encombre pour rejoindre Omagh.

Ils viennent se garer à 14h20 dans le bas de Market Street, juste devant une boutique de vêtements. A l’intérieur de la berline familiale anglaise, jumelle de l’Opel Vectra A, les terroristes ont disposé une bombe de 230 kilos chargée de nitrate d'ammonium.
Ils l’activent quelques minutes plus tard puis se dirigent vers des cabines téléphoniques. Ils passent plusieurs appels aux médias sous le nom de code « Martha Pope », pour prévenir qu’une explosion va se produire dans 40 minutes près de « Main Street », plus précisément aux abords du Palais de justice, bâtiment situé pourtant à 300 mètres de la voiture piégée.
Les poseurs de bombe lèvent le camp et quittent Omagh avec la voiture de leurs complices. Prévenues entre-temps de l'appel anonyme, les forces de police organisent en urgence un périmètre de sécurité minime. Les environs directs du Palais de justice sont évacués mais dans la confusion, n’ayant pas pris conscience que la « Main Street » évoquée par les terroristes désignait en réalité « Market Street », cette dernière n’est pas spécifiquement sécurisée. Une erreur d'appréciation lourde de conséquences...
Il est 15h10 quand la bombe éclate, métamorphosant cette rue passante en une scène de guerre. L’explosion de la Vauxhall fracasse littéralement la chaussée et les immeubles au croisement de Dublin Road. Les vitrines et les enseignes volent en miettes. Une tempête de verre, de bois et de métal s’abat en un souffle sur le bitume. Elle provoque la mort de 29 passants : une majorité d’enfants et de mères de familles, ainsi que deux touristes espagnols. L’attentat blesse par ailleurs 220 à 300 autres civils plus ou moins grièvement.
Mémoire vive et enquête en suspens

L’attentat sera condamné immédiatement et sans réserve par l’ensemble des autorités religieuses et politiques nord-irlandaises, mais aussi par la présidente de la République d’Irlande Mary McAleese, par la Reine Elisabeth, le Premier ministre britannique Tony Blair et le président américain Bill Clinton, entre autres.
Le crime, qualifié de pire catastrophe dans l’histoire de l’Irlande du Nord, est revendiqué quelques jours plus tard par l’« IRA véritable », une faction dissidente de l’IRA qui entend déstabiliser les récents accords de paix. Dans un communiqué, les auteurs présentent leurs excuses à la population, arguant du fait d’avoir voulu uniquement s’attaquer au tribunal de la ville, et non aux citoyens... Difficile à entendre...
Une douzaine de suspects sont arrêtés le 22 septembre 1998. Sauf que 27 ans plus tard, si plusieurs prévenus ont été condamnés sur le plan civil à indemniser les familles des victimes, un seul d’entre eux, Seamus Daly, a été jugé coupable pénalement, lors d’un procès tenu en 2014, soit seize ans après les faits.
Depuis, l'enquête a continué son cours péniblement, effectuant des allers-retours réguliers dans l’actualité, tel un serpent de mer. Dans un contexte de paix désormais globalement respecté sur le terrain, précisément depuis le drame d'Omagh et le démantèlement progressif des groupes paramilitaires ennemis (IRA et Ulster Volunteer Force), les gouvernements nord-irlandais et britanniques se sont en fait longuement refilé la patate chaude sur la façon de coordonner les investigations et les poursuites.
Assurément frileux pour se positionner pleinement sur le volet pénal de l'affaire, sur les responsabilités individuelles des co-auteurs de l'attentat, ils ont en revanche, sous la pression des proches endeuillés, donné leur feu vert en 2023 à la réalisation d'une enquête « indépendante ». Objectif : déterminer si la tragédie d'Omagh aurait pu être évitée par les pouvoirs publics et les services de renseignement de l’époque.
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